La Liberté

Ces femmes qui ont brisé l’apartheid

Dans l’ombre de Mandela, de nombreuses femmes ont lutté contre la ségrégation en Afrique du Sud

Pascal Fleury

Publié le 01.09.2017

Temps de lecture estimé : 7 minutes

Afrique du Sud »   Sous le régime de l’apartheid, introduit en 1948 en Afrique du Sud, les femmes subissaient une triple oppression: en tant que Noires, que femmes et que travailleuses. Pas étonnant, dès lors, que nombre d’entre elles se soient engagées avec courage et détermination, parfois au prix de leur vie, contre les discriminations raciales, les inégalités sexuelles et les injustices sociales.

Cette triple cause, certaines pionnières l’avaient déjà embrassée au début du siècle, à l’époque de la création du Congrès national africain (ANC), le mouvement de défense des intérêts de la majorité noire qui deviendra plus tard le parti de Nelson Mandela. Ainsi en est-il de l’enseignante et missionnaire méthodiste Charlotte Maxeke. Seule femme à avoir participé, en 1912, à la fondation de l’ANC (nommée jusqu’en 1923 South African natives national congress, SANNC), elle lance en 1918 la Ligue des femmes bantoues dans le but de défendre les droits des femmes noires.

Passeport intérieur

Première femme d’Afrique à avoir obtenu (aux Etats-Unis) un diplôme d’études supérieures, Charlotte Maxeke avait fourbi ses armes en Angleterre, au contact de suffragettes rencontrées lors d’une tournée de chorale. Elle s’est battue en particulier contre l’introduction du passeport intérieur pour les femmes, une mesure coercitive que le premier ministre Louis Botha prévoyait d’étendre afin de mieux contrôler les mouvements de population, en particulier les migrations vers les villes.

Héritage du temps de l’esclavage, ce pass, qui servait à la fois de pièce d’identité et de livret de travail, devait être porté en permanence sur soi par tout homme noir. C’est d’ailleurs pour protester contre cette obligation que 3000 Noirs ont détruit leur document en public en 1919, dans le cadre d’une campagne de résistance passive organisée par l’ANC. Cette manifestation a été suivie par une série de troubles extrêmement violents.

La Marche des femmes

En 1923, la loi sur les régions urbaines indigènes va confirmer l’obligation du pass, tout homme noir trouvé sans livret étant immédiatement renvoyé en zones rurales. La règle est étendue aux femmes lors de la mise en place de l’apartheid. C’est cette mesure, décrétée en 1952, et mise progressivement en place pour pouvoir contrôler strictement tous les travailleurs et leurs familles, qui va finalement amener les femmes à descendre massivement dans la rue.

La première manifestation multiraciale organisée par la Fédération des femmes d’Afrique du Sud a lieu le 27 octobre 1955. Elle réunit 2000 femmes devant le siège du gouvernement, à Pretoria. Parmi elles, l’enseignante et travailleuse sociale blanche Helen Joseph, qui fera l’objet de plusieurs tentatives d’assassinat. Et Lillian Ngoyi, la présidente noire de la Ligue des femmes de l’ANC. Toutes deux seront ensuite interpellées pour «haute trahison».

Mais la manifestation n’empêche pas Pretoria d’émettre des livrets de circulation pour les femmes noires en zones urbaines. Les militantes réitèrent alors leur action le 9 août 1956, mobilisant cette fois environ 20 000 femmes de tous horizons. La grande marche a lieu un jeudi, jour traditionnellement chômé par les domestiques noires. En raison de l’interdiction de défiler, les femmes rejoignent les jardins des Union Buildings par petits groupes de deux ou trois. Une pétition est déposée à l’intention du premier ministre Johannes Strijdom. Membre de la Ligue des femmes de l’ANC et corédactrice de la Charte de la liberté en 1956, la syndicaliste Frances Baard, qui sera plus tard maintenue en isolement cellulaire pendant douze mois, décrit ce moment mémorable: «Nous sommes restées en silence pendant une demi-heure. Toutes le poing levé, silencieuses sous le soleil. C’est à peine si les bébés pleuraient. Puis Lillian (Ngoyi) a commencé à chanter et nous avons toutes chanté avec elle.» La loi sera tout de même appliquée jusqu’en 1986.

En 1994, le président Nelson Mandela a fait du 9 août «la journée de la femme» en l’honneur de ces militantes «courageuses, persévérantes et infatigables».

Héroïnes de l’ombre

Ces activistes sont le plus souvent restées dans l’ombre, à la différence de Winnie Mandela, la seconde épouse du Prix Nobel de la paix (lire ci-contre). On pourrait évoquer la journaliste de gauche Ruth First, épouse de l’avocat des opposants à l’apartheid Joe Slovo, qui sera tuée par un colis piégé en 1982. Ou Helen Suzman, symbole de la lutte des Blancs contre l’apartheid, qui a fondé le Parti progressiste qu’elle a représenté au parlement de 1961 à 1974, condamnant sans relâche les lois racistes.

On n’oubliera pas Albertina Sisulu, l’épouse de Walter Sisulu, condamné à perpétuité sur Robben Island avec Nelson Mandela. Seule, elle a poursuivi inlassablement le combat tout en refusant de recourir à la violence. Elle a été élue députée en 1994 et a eu droit à des funérailles nationales en 2001.

Audrey Pulvar, Libres comme elles – Portraits de femmes singulières, Editions de La Martinière, 2014.
Mike Nicol, Mandela, le portrait autorisé, Editions Acropole, 2006.
Paul Coquerel, L’Afrique du Sud, Editions Gallimard, 2010.

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Winnie Mandela, héroïne d’une tragédie épique

Personnage controversé, l’ex-épouse de Nelson Mandela a connu la gloire comme militante avant de subir revers et condamnations.

Qualifiée tour à tour de madone des pauvres, de reine de Soweto, d’héroïne de la lutte antiapartheid, d’icône de la cause des Noirs ou de mère de la nation, la militante sud-africaine Winnie Madikizela-Mandela a fait partie de ces femmes courageuses qui ont joué un rôle primordial dans le combat contre le régime ségrégationniste de Pretoria.

Durant les 27 ans de détention de son époux Nelson Mandela (de 1962 à 1990), l’activiste a poursuivi le combat avec hargne. Elle devient la pasionaria adulée des jeunes des ghettos, mais subit aussi l’oppression du gouvernement, qui l’assigne à résidence et ne lui permet de voir son mari que deux fois par an à la prison de Robben Island. Avec les années, son combat se radicalise. Elle va jusqu’à justifier le supplice du pneu enflammé autour du cou des «traîtres» noirs pour libérer le pays. Et à endosser des slogans comme «Un Boer, une balle».

Après la libération de Nelson Mandela, Winnie doit affronter de graves témoignages devant la Commission vérité et réconciliation. Femme de poigne, elle est accusée d’avoir été impliquée dans divers enlèvements, violences et meurtres dans les années 1980, dans le township de Soweto. En 1991, elle est condamnée pour complicité dans le meurtre du jeune Stompie Moeketsi. Son mari la soutient d’abord, mais finit par demander le divorce.

Winnie Mandela préside alors la Ligue des femmes du parti antiapartheid ANC et devient un temps vice-ministre des Arts et de la Science. Mais elle est cette fois reconnue coupable de fraude concernant des emplois fictifs au profit de la Ligue des femmes.

Aujourd’hui octogénaire, Winnie Mandela continue de défendre son attitude radicale, dénonçant les faiblesses de l’ANC et assurant que sans elle, «il n’y aurait pas eu de Mandela, le monde entier l’aurait oublié et il serait mort en prison». PFY

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