La Liberté

Des colons pas vraiment désintéressés

La motivation socio-économique pousse toujours plus d’Israéliens vers les territoires occupés

Les colons israéliens s’installent dans des villas à prix cassés qui finissent par former de véritables villes à proximité de la Ligne verte. © RTS
Les colons israéliens s’installent dans des villas à prix cassés qui finissent par former de véritables villes à proximité de la Ligne verte. © RTS
De nombreuses infrastructures - tunnels, routes, ponts - ont été mises en place afin de séparer les deux populations. © Valérie Regidor
De nombreuses infrastructures - tunnels, routes, ponts - ont été mises en place afin de séparer les deux populations. © Valérie Regidor
«Les colons profitent de ces terrains volés à des prix imbattables,» explique Benoît Challand. © DR
«Les colons profitent de ces terrains volés à des prix imbattables,» explique Benoît Challand. © DR

Propos recueillis par 
Glenn Ray

Publié le 20.01.2017

Temps de lecture estimé : 8 minutes

Israël » Plus de 400'000 Israéliens vivent actuellement dans les territoires occupés. Depuis les années 1970, plus de 225 implantations et avant-postes y ont été établis. Si les premiers colons justifiaient cet établissement sur une base religieuse, ce phénomène constitue aujourd’hui une opportunité économique pour les Israéliens. Régulièrement dénoncées par la communauté internationale, ces colonies continuent de proliférer grâce à des techniques d’implantation toujours plus agressives.

Spécialiste du Moyen-Orient et professeur à la New School of Social Research de New York, Benoît Challand répond à nos questions.

- Quel est le profil des colons qui s’installent actuellement en Palestine?

Benoît Challand: Dans les années 1970, les premiers colons, du moins les plus actifs, étaeint des colons religieux. Dès les années 1980 émerge une colonisation économique. Les gens n’ayant pas les moyens d’acheter un appartement ou un lopin de terre à l’intérieur d’Israël se tournent vers d’autres terrains mis à disposition à des prix imbattables par l’Etat. Il s’agit de terres prises aux ­Palestiniens.

- Quelles sont les motivations de ces colons? Certains d’entre eux semblent surtout intéressés par le fait de posséder une villa avec piscine…

Ces colons n’ont pas de dispositions différentes à l’égard des Palestiniens. Ils sont tout autant acheteurs de la vision sécuritaire israélienne. Ils sont complètement tournés vers Israël et habitent pour la plupart proche de la Ligne verte. Ces nouvelles villes, comme Maale Adumim ou Modiin-Illit, sont toutes orientées vers la partie juive israélienne.

- Il s’agit donc uniquement ­d’opportunisme, sous couvert d’un intérêt religieux?

Il existe un grand antagonisme dans la société israélienne entre séculier et religieux. Souvent hostiles au religieux, les colons économiques profitent de la présence des colons religieux, qui font figure de fers de lance. Ils sont complices du discours de sécurisation. Même s’ils affirment ne pas être là pour des raisons idéologiques et religieuses, ils finissent souvent par voter à droite.

- L’aspect religieux était pourtant un élément fondamental dans l’établissement des premières colonies…

Le sionisme fonde son idéologie sur un adage-clé: «Une terre sans peuple pour un peuple sans terre.» La Palestine doit donc revenir à Israël pour des raisons de justice. Il s’agit de créer des conditions pour que les gens croient que la terre de Palestine était vide de toute population avant l’implantation des colons.

- C’est ainsi que s’implantent les premières communautés israéliennes…

Oui. Des kibboutz ou des moshavs apparaissent le long de la côte, puis à l’intérieur des terres. Depuis l’occupation de la Cisjordanie et de Jérusalem-Est en 1967, des colonies sont implantées au sommet de collines et dans des régions occupées par des Palestiniens.

- Comment la situation évolue-t-elle au lendemain de la guerre des 
Six-Jours, en 1967?

Un nouvel espace est à disposition, mais le même principe de colonisation continue de s’appliquer. Israël utilise les mêmes techniques militaires, agricoles et d’intimidation afin d’occuper le plus d’espace possible. Entre 1948 et 1967, Israël développait déjà une politique de colonisation visant à la judaïsation de la Galilée, donc des zones arabes.

- Cette politique de colonisation fait-elle l’unanimité en Israël?

Deux grandes tendances politiques s’opposent. La tendance «minimaliste», proche du Parti travailliste, voit les implantations comme un moyen de protéger Israël. La vision «maximaliste», proche du révisionnisme, prône quant à elle une colonisation proactive. L’ensemble des territoires palestiniens doit être colonisé, toute la terre d’Israël «appartenant» au peuple juif.

- L’approche «maximaliste» finit donc par prendre le dessus…

Absolument. A partir des années 1980, la vision «maximaliste» d’Ariel Sharon finit par l’emporter. L’implantation doit dès lors se faire dans toute la Cisjordanie, notamment par le recours aux avant-postes, colonies sauvages israéliennes en terre palestinienne.

- Quel est le rôle du Gouvernement israélien dans la colonisation?

Les Gouvernements israéliens successifs ont financé la colonisation, ils la reconnaissent donc. Si Israël y met des formes c’est parce qu’il doit s’en tenir à des obligations internationales. La colonisation n’en a pas moins été soutenue et promue par les gouvernements de gauche comme de droite. Les années d’Oslo, quand le Parti travailliste était au pouvoir, sont souvent perçues comme celles de la construction de la paix. Pourtant la population de colons n’a jamais cessé d’augmenter.

- La droite nationaliste religieuse a-t-elle une influence dans ces implantations?

Dans les années 1970, le Gush Emunim, ou Bloc des Croyants, appelle à de nouvelles techniques d’occupation comme les avant-postes. Progressivement, Ariel Sharon s’allie à cette mouvance. Ce n’est qu’au milieu des années 1990 que leur vision est mise en pratique par les Gouvernements israéliens successifs. Le régime actuel de Benyamin Netanyahou, le plus à droite de l’histoire d’Israël, est à l’apogée de cette approche «maximaliste».

- Qu’en est-il du statut juridique réel de ces colonies?

Les conventions de Genève, le CICR et plusieurs Etats continuent à marteler que cette occupation est illégale. Les capacités de propriété des Palestiniens doivent être reconnues. Tel-Aviv argue que le droit international ne s’applique pas en Palestine s’agissant de territoires «disputés» et non de territoires occupés. Le régime sait pertinemment que c’est une violation grave du droit international. Sinon, il n’aurait jamais retiré ses colons du Sinaï et de la bande de Gaza.

- Peut-on qualifier l’occupation israélienne de la Palestine d’apartheid?

Il y a beaucoup de points communs avec l’apartheid, notamment dans les techniques de séparation très fortes. L’apartheid en Afrique du Sud est un régime légal, ouvertement raciste et discriminatoire. En Israël, la pratique est discriminatoire mais la loi place théoriquement les Palestiniens et les Israéliens sur un pied d’égalité. Il faut être prudent, l’analogie est tentante mais elle n’est pas complètement correcte.


Un endiguement par les infrastructures

L’implantation israélienne en territoire palestinien ne se limite pas aux techniques d’occupation militaires, agricoles ou d’intimidation. De nombreuses infrastructures – tunnels, routes, ponts – ont été mises en place afin de séparer les deux populations. Ces constructions servent la stratégie d’«endiguement asymétrique» utilisée par Israël. L’objectif est de «contenir les Palestiniens dans de petites poches afin d’empêcher la viabilité d’un Etat palestinien», souligne le professeur Benoît Challand.

Toujours en construction, le mur de séparation s’étend aujourd’hui sur plus de 700 kilomètres. A l’origine, son tracé devait suivre la Ligne verte, frontière établie en 1949 au terme de la guerre israélo-arabe. Le mur devait constituer une ligne de défense contre l’intrusion de ­terroristes palestiniens en Israël, une logique reprenant la vision «minimaliste» du Parti travailliste. Le gouvernement Sharon hérite du ­projet en 2001 et décide l’ajout d’un second niveau de mur dans les territoires occupés pour «protéger la colonisation tout en poursuivant l’expropriation de terres palestiniennes», comme l’explique Benoît Challand. Ce mur de sécurité ne couvre aujourd’hui que 20% de la Ligne verte et participe de la stratégie d’endiguement et de non-continuité imposée par Tel-Aviv face à l’établissement d’un Etat palestinien indépendant. GLR

 

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