La Liberté

Etats-Unis, la démocratie de l’argent

Les campagnes présidentielles sont toujours plus onéreuses. Elles se chiffrent en milliards de dollars

Pascal Fleury

Publié le 30.09.2016

Temps de lecture estimé : 7 minutes

Elections américaines » Le solide financement des campagnes électorales américaines est-il soluble dans la marmite démocratique? La question n’est pas nouvelle et suscite la polémique depuis plus d’un siècle. Dans les années 1890 déjà, la forte augmentation des sommes dépensées par les candidats faisait craindre un «dévoiement de la démocratie» *.

Dans un élan de moralisation des pratiques électorales, plusieurs Etats se mettent dès lors à adopter des lois pour limiter les dépenses de campagne. Le Congrès fédéral fait de même en 1907, sous le règne de Theodore Roosevelt. La loi Tillman interdit aux entreprises privées et aux banques pourvues d’une charte fédérale d’«effectuer une contribution pécuniaire en lien avec une élection fédérale quelconque».

Contre la corruption

Cette mesure visait en particulier à éviter une corruption par l’argent, un fléau qui touchait à l’époque de nombreux secteurs du pays et que combattait avec véhémence le président Roosevelt. Le républicain s’est ainsi battu contre la corruption au sein de la police de New York (NYPD) et des grandes sociétés, dont celle du magnat Jay Gould, qui contribua à l’essor du chemin de fer aux Etats-Unis.

Quatre ans après la loi Tillman, ce sont les comptes de campagne des primaires qui doivent être rendus publics. Les dépenses ne sont pas freinées pour autant, les candidats contournant les lois en sollicitant directement les riches particuliers. En 1912, Roosevelt va dépenser 611'118 dollars avant la convention de son parti, pour tenter un retour en politique. En vain.

La fortune de Kennedy

En 1947, la loi Taft-Hartley est rédigée dans le but d’élargir les restrictions aux syndicats, toute «contribution directe ou dépense en lien avec une élection politique, quelle qu’elle soit» étant dès lors «contraire à la loi». Ce qui n’empêche pas les chiffres de prendre l’ascenseur. La campagne du président Dwight David Eisenhower, en 1952, atteint les 2,5 millions de dollars.

La polémique fait à nouveau rage en 1960, lorsque le candidat à la Maison-Blanche John Fitzgerald Kennedy se fait sévèrement reprocher par son concurrent démocrate Hubert Humphrey de mener la campagne «la plus copieusement financée, la plus luxueuse et la plus extravagante de l’histoire des Etats-Unis». JFK venait de dépenser 72 000 dollars en publicité dans le Wisconsin, soit l’équivalent de plus d’un demi-million de dollars aujourd’hui. Kennedy était effectivement soutenu par la fortune de son père. Mais sa victoire remportée «d’un cheveu» sur Richard Nixon, il la doit aussi «au basculement de deux Etats – l’Illinois et le Texas –, dont le scrutin fut entaché par de multiples irrégularités», souligne l’avocat et historien Georges Ayache, dans un intéressant ouvrage qui sort de presse sur les présidents des Etats-Unis**.

En 1971 est adoptée la loi sur les campagnes électorales fédérales. Plusieurs fois amendée, elle exige que les candidats et les comités d’action politique (PAC) révèlent leurs ressources et leurs dépenses. Elle plafonne aussi les contributions financières des citoyens comme des comités. Si les candidats le souhaitent, leur campagne électorale peut être financée par des fonds publics, mais sous de strictes conditions.

Ce n’est toutefois qu’en 1974, après le scandale du Watergate qui força Richard Nixon à quitter le pouvoir, que le pays se dote d’un vrai pouvoir de contrôle, la Commission électorale fédérale (FEC), habilitée à imposer des amendes en cas de violations.

Mais les dispositions législatives, aussi détaillées et pointilleuses soient-elles, sont interprétées et détournées. «A côté du hard money du financement de la campagne d’un candidat, il y a le soft money. Là, on entre dans une zone grise», observent les historiens Hélène Harter et André Kaspi1.

Libéralisation générale

Ainsi, en 2000, les milliardaires texans Charles et Samuel Wyly contribuent à l’élection de George W. Bush en finançant une série de spots publicitaires au travers d’un «comité 527», du nom d’un article du code de la fiscalité exonérant certaines organisations (lire ci-dessous).

La multiplication de pareilles structures conduit à une nouvelle inflation des coûts des campagnes. La levée de fonds grossit encore avec l’exploitation d’internet. En 2004, face à Bush, le candidat aux primaires démocrates Howard Dean récolte plus de 50 millions de dollars par ce biais. Mais c’est l’arrêt «Citizens united» de la Cour suprême, en 2010, qui ouvre finalement grandes les vannes, supprimant les limites des contributions financières des entreprises et des syndicats. Le déplafonnement des dons individuels suit sur la lancée.

Résultat des courses: les campagnes de Barack Obama et de Mitt Romney, en 2012, ont dépassé le milliard de dollars chacune. Qui dit mieux?

* André Kaspi et Hélène Harter, Les présidents américains – de Washington à Obama, Ed. Tallandier, 2012.

** Georges Ayache, Les présidents 
des Etats-Unis, Editions Perrin, 2016.


 

Des financements toujours moins transparents

Depuis la décision de la Cour suprême, en 2010, de lever les restrictions de financement des campagnes politiques qui étaient imposées aux entreprises, un certain flou règne sur l’origine des dons.

Pour financer leur campagne électorale, les candidats à la présidence américaine peuvent compter sur les aides publiques et les dons privés. Les fonds publics, attribués par la Commission électorale fédérale (FEC), sont de moins en moins sollicités, étant assortis de contraintes, notamment un plafond des dépenses très strict et l’obligation de renoncement aux fonds privés une fois l’investiture passée.

Les candidats font donc appel aux dons privés. Provenant à la fois de particuliers et de sociétés issues des divers secteurs d’activité (finance, industrie, bâtiment, immobilier, santé, syndicats, médias ou autres), ces fonds sont collectés principalement par deux types d’entités.

Il s’agit d’une part des «super-PAC», les supercomités d’action politique, qui sont des comités de soutien théoriquement indépendants des partis. Ils visent à lever des fonds pour financer des campagnes publicitaires, indépendamment de celles des candidats. Ce peut être par exemple pour défendre les idées générales d’un candidat ou démolir celles de ses adversaires. Les collectes d’argent sont illimitées, mais l’identité des donateurs, ou des sociétés, doit être communiquée à la FEC. Au nombre de ces super-PAC, on peut citer American Crossroads du côté républicain ou Priorities USA Actions du côté démocrate.

L’autre type d’entités consiste en «associations 501c» ou en «comités 527», des noms faisant référence à des catégories fiscales exemptées d’impôt. Les premières sont des organisations à but non lucratif, autorisées à lever des fonds sans dévoiler l’identité des donateurs. Les secondes peuvent aussi collecter des fonds illimités, mais doivent détailler leurs chiffres.

Pareilles récoltes financières, libérées depuis 2010 en vertu du droit à la liberté d’expression (1er amendement), ne facilitent pas la transparence. Pas étonnant que des associations de vigilance démocratique, comme Democracy 21, dénoncent les excès du soft money et un risque accru de corruption. PFY

Histoires d’Amérique, ve 20 h

Hillary Clinton – La femme à abattre suivi de Les années Obama

Di: 21 h 10 Lu: 23 h 55


Histoire vivante

La Liberté - Bd de Pérolles 42 / 1700 Fribourg
Tél: +41 26 426 44 11