La Liberté

La grande saga des conteneurs maritimes

Commerce • Symboles de la mondialisation, les conteneurs parcourent la planète sur des cargos toujours plus gigantesques depuis un demi-siècle. Un moyen de transport économique, mais non dépourvu de dangers.

Géant des mers, le MSC-Zoe, plus grand porte-conteneurs au monde, peut transporter jusqu’à 9612 conteneurs de 12 mètres de long par voyage. Ici, à Rotterdam. © MSC/DR
Géant des mers, le MSC-Zoe, plus grand porte-conteneurs au monde, peut transporter jusqu’à 9612 conteneurs de 12 mètres de long par voyage. Ici, à Rotterdam. © MSC/DR


Pascal Fleury

Publié le 05.02.2016

Temps de lecture estimé : 11 minutes

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C’est l’histoire d’une «boîte de conserve» qui a changé la face de l’économie mondiale. Un simple caisson rectangulaire en acier ou aluminium, avec deux battants à une extrémité, sans âme ni cachet, mais standardisé au point de devenir l’une des pierres d’angle de la mondialisation. Le conteneur maritime, de l’anglais «container», a grandement facilité les échanges, accéléré les livraisons, fait baisser les coûts et augmenté l’offre de biens à travers la planète. Pour l’économiste et historien Marc Levinson, il n’y a pas de doute: «Le conteneur a changé le monde!»

Tout a démarré il y a 60 ans aux Etats-Unis, lorsque le magnat du camionnage Malcolm Purcell McLean, cherchant le moyen de baisser ses tarifs face à la concurrence - et accessoirement d’éviter les bouchons des autoroutes côtières -, a l’idée de convoyer ses semi-remorques par bateau. Il acquiert la société maritime Pan-Atlantic en difficulté et rachète d’anciens pétroliers de la Seconde Guerre mondiale, faciles à charger. Mais il réalise vite que les châssis et les roues de ses poids lourds monopolisent trop de place à bord. L’idéal serait de n’embarquer que les bennes des remorques. Leur poids reste toutefois dissuasif.

Enormes économies

McLean fait alors appel à Keith Tantlinger de Brown Industries, qui avait déjà tenté une expérience de conteneurs pour des chalands faisant la navette entre Seattle et l’Alaska. L’ingénieur lui livre deux exemplaires de 10 mètres de long au port de Baltimore. McLean s’empresse de grimper sur l’un des conteneurs avec trois de ses collègues. «La fine équipe se met alors à sauter dans tous les sens pour tester la solidité du toit en aluminium», raconte avec humour Marc Levinson dans l’ouvrage «The Box»*. Convaincu, l’Ecossais d’origine commande 200 caissons compatibles avec ses camions, fait équiper un quai maritime de deux immenses grues rotatives récupérées ailleurs, et se lance tête la première dans l’aventure.

Après diverses difficultés administratives, le premier pétrolier reconverti, l’Ideal-X, peut prendre la mer le 26 avril 1956 à Newark, chargé de 58 conteneurs. A son arrivée à Houston, les débardeurs «n’en croient pas leurs yeux». McLean, lui, se frotte les mains. Alors que cette année-là, charger du fret en vrac coûtait 5,83 dollars la tonne, le chargement de l’Ideal-X revient à seulement 15,8 cents la tonne!

Le succès des conteneurs n’est toutefois pas immédiat. Dans un premier temps, les sociétés de transport critiquent ces «boîtes» qui ne semblent convenir qu’à certaines sortes de marchandises. L’apparition de conteneurs réfrigérés ou de conteneurs citernes (pour les liquides et le gaz) leur donnera tort. Les transporteurs s’écharpent aussi concernant la standardisation des conteneurs. Leur taille n’est finalement établie qu’en 1967 par l’Organisation internationale de normalisation (ISO), avec trois longueurs à choix - 20 pieds (6,09 m), 30 pieds (9,14 m) ou 40 pieds (12,19 m) -, mais une seule largeur de 2,43 m et une seule hauteur de 2,59 m.

Les installations portuaires doivent également être équipées avec des portiques géants et des grues pour permettre un transbordement rapide sur camion ou sur train (moins de 2 minutes par opération). Certains ports sans espace libre, comme Manhattan ou Londres, doivent être complétés par de gigantesques installations loin des villes. Les syndicats des dockers font de la résistance, mais de nouveaux métiers spécialisés prennent forme. Les barges sur les voies fluviales doivent aussi être repensées.

Finalement, c’est toute la chaîne de transport qui doit être adaptée, du fournisseur au client, du conditionnement du produit à sa distribution. «La conteneurisation est sans aucun doute l’un des symboles forts de la mutation de l’économie mondiale en cours», souligne Paul Tourret**, directeur de l’Institut supérieur d’économie maritime, à Nantes St-Nazaire.

Folie des grandeurs

La première traversée de l’Atlantique d’un cargo porte-conteneurs a lieu en 1966. Dès lors, les box métalliques connaissent un boom incroyable. Les porte-conteneurs acheminent désormais 90% des marchandises mondiales. Et ils ne cessent de s’agrandir, par souci de rentabilité.

Actuellement, le plus grand au monde est, officiellement, le MSC-Zoe de l’armateur Mediterranean Shipping Company, dont le siège social est à Genève. Mis en service en juillet dernier, ce bâtiment mesure près de 400 mètres de long et 60 mètres de large. Sa capacité en conteneurs est de 19'224 EVP (équivalents vingt pieds). Autrement dit, il peut charger 9612 conteneurs de 12 mètres de long! Certains porte-conteneurs sont si grands qu’ils ne passent plus les canaux de Suez ni de Panama!

Question de poids

Malgré leur importante consommation en diesel, l’impact économique des porte-conteneurs sur le prix des produits transportés reste faible: le coût du trajet d’un conteneur entre Shanghai et Le Havre est équivalent à celui du trajet routier entre Le Havre et Lyon. Le coût environnemental est aussi faible, en particulier si la traversée maritime est combinée en amont et en aval par un transport par voie fluviale ou par train.

Par mesure de sécurité, les conteneurs sont scellés pendant le voyage et identifiés par une puce électronique. Les douanes se contentent de contrôles très sporadiques. Comme d’importantes variations de poids ont été constatées ces dernières années, avec un risque de déstabilisation des navires, les conteneurs devront à l’avenir être pesés avant l’embarquement ou alors être munis d’une liste détaillant le poids précis de leur contenu. Cette nouvelle réglementation, qui entrera en vigueur le 1er juillet, concerne aussi la Suisse. I

* «The Box - Comment le conteneur a changé le monde», Marc Levinson, Editions Max Milo, 2011.

** «Conteneurs - La mondialisation a un cœur d’acier», livre de l’exposition «The Box», Port- Musée de Douarnenez, Editions Locus Solus, 2015.


 

Repères

De l’amphore au conteneur

> Dès l’Antiquité, le transport maritime, plus rapide, plus sûr et moins cher que le transport terrestre, est privilégié pour les échanges commerciaux. En Méditerranée, de grandes routes se développent, entre Byzance et Alexandrie pour l’axe nord-sud, et entre Alexandrie et Gadès (Cadix), pour l’axe est-ouest. Egyptiens, Grecs et Etrusques pratiquent surtout le cabotage.

> Les Romains, qui contrôlent ensuite la «Mare Nostrum», exploitent des navires d’une capacité allant jusqu’à 600 tonnes et faisant 5 nœuds (9 km/h). Pour transporter vin, huile, olives, dattes, noisettes, poisson ou «garum» (soupe de poisson), ils utilisent des amphores, marquées avec poids, producteur et contrôle douanier, mais aussi des sacs, ballots et tonneaux. Certains navires sont équipés de jarres géantes, les «dolia», de 2000 à 3000 litres.

> Au Moyen Age, le contrôle du transport maritime se partage entre la Ligue hanséatique, fondée en 1161, qui domine l’Europe du Nord avec ses cogues à voile carrée, et les républiques de Venise et de Gênes, qui tirent leur richesse du commerce entre l’Orient et l’Occident. Bruges est au cœur de ce vaste réseau. Draps des Flandres, fourrure, cire et bois de Russie, céréales et ambre de Prusse et de Pologne, cuivre et fer de Suède, s’échangent en vrac, en tonneaux ou en sacs de chanvre contre du vin, du sel et des épices.

> Dès le XVe siècle, de nouvelles routes vers l’Orient et l’Amérique consacrent la suprématie portugaise puis hollandaise dans le commerce des soieries et cotonnades, des épices, du café d’Arabie, du thé ou de la porcelaine de Chine. L’Angleterre et la France répliquent avec leurs compagnies des Indes orientales. Grâce au commerce triangulaire et à la traite négrière, le commerce du sucre décuple au XVIIIe siècle. Les vaisseaux armés de 800 tonneaux rivalisent avec les frégates et flûtes plus petites mais plus rapides. Le «tonneau» devient l’unité de mesure de la capacité des navires (= 2,83 m3).

> Le XIXe siècle voit l’arrivée des clippers, voiliers élancés rapides (10 nœuds ou 18 km/h), des steamers à vapeur, des paquebots (à l’origine des bateaux postaux) et des cargos réservés aux marchandises. C’est la course à la livraison: en 1866, deux clippers partis simultanément de Chine chargés de thé arrivent à Londres à 10 minutes d’intervalle, après une «régate» de 99 jours! Les échanges avec l’Asie et le Pacifique sont bientôt facilités par l’ouverture des canaux de Suez (1869) et de Panama (1914). Les bateaux s’équipent de systèmes réfrigérés. La mondialisation est en marche. PFY

Source: Musée national de la marine, Paris. www.musee-marine.fr


 

Des centaines de «box» tombent à la mer chaque année

Le transport maritime n’est pas sans risques. Les nombreuses épaves trouvées par les historiens ou chasseurs de trésors en témoignent. Certaines remontent à l’Antiquité, comme ce navire étrusque découvert au large de la presqu’île de Giens (Var), avec un millier d’amphores à vin dans ses cales. Aujourd’hui, malgré des dispositifs de sécurité sophistiqués, les dangers ne sont pas écartés. En 2014, l’assureur Allianz Global Corporate et Specialty (AGCS) a ainsi déploré 75 pertes totales de navires dans le monde. Il s’agit principalement de naufrages, mais aussi d’échouements ou d’incendies. Si la tendance est à la baisse depuis 2005, les incidents graves de navigation sont en augmentation (2773 cas en 2014).

La zone «îles Britanniques/mer du Nord/Manche/golfe de Gascogne» est la plus accidentogène de ces dix dernières années. Cette semaine encore, c’est le roulier Modern Express qui s’est retrouvé en perdition, avant de pouvoir être remorqué vers l’Espagne. En fait, les incidents sont fréquents, et concernent en particulier les porte-conteneurs qui, par gros temps, peuvent perdre une partie de leur chargement. Entre 350 et 675 conteneurs seraient perdus chaque année dans les mers du monde, selon une étude du World Shipping Council publiée en 2011. Certaines années toutefois, lors d’accidents graves, les conteneurs à la mer se compteraient par milliers, selon d’autres sources.

En février 2014, au large de la Bretagne, le Svendborg Maersk a perdu à lui seul 520 conteneurs lors de la tempête Ulla, rapporte le site «Mer et Marine». Un mois plus tôt, dans la même zone, deux autres cargos perdaient respectivement 33 et 14 caissons métalliques. S’ils ne peuvent être récupérés, ces conteneurs flottent et dérivent plusieurs mois en mer avant de couler. Ils sont alors un danger pour la navigation et une source de pollution potentielle.

Ces incidents inquiètent aussi les assureurs, d’autant que la capacité des porte-conteneurs a augmenté de 80% en dix ans. «Des navires de plus grande taille peuvent être à l’origine de sinistres plus importants. Le secteur doit se préparer à des pertes supérieures à 1 milliard de dollars à l’avenir dans le cas des porte-conteneurs», analyse Gilles Mareuse, directeur Marine de la région Méditerranée chez AGCS, cité par l’hebdomadaire «Le Marin». Les seuls à se réjouir sont les riverains qui, parfois, récupèrent des cargaisons échouées sur la plage. Comme ces motos flambant neuves, retrouvées dans un conteneur défoncé à Branscombe, en Angleterre, après le naufrage du cargo MSCNapoli en 2007…


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