La Liberté

La vraie histoire des fausses nouvelles

La désinformation ne cesse de prendre de l’ampleur sur la planète média. Comment en est-on arrivé là?

Pascal Fleury

Publié le 15.09.2017

Temps de lecture estimé : 9 minutes

Médias »   De la propagande de la guerre froide aux fake news de la dernière campagne présidentielle américaine, la désinformation n’a cessé de prendre de l’ampleur. Dans notre monde hyperconnecté, elle est même devenue un enjeu stratégique. Mais comment en est-on arrivé là? Comment a-t-on pu tomber dans l’ère de la postvérité au point de ne parfois plus pouvoir distinguer l’info de l’intox, la réalité de la fiction, les faits avérés des fausses nouvelles?

Pour tenter de comprendre cette explosion «virale» de la désinformation, un regard vers le passé s’impose. En fait, rappelle le spécialiste des sciences de la communication François-Bernard Huyghe, l’usage stratégique et politique du faux est immémorial. «L’homme n’est pas que l’animal politique ou l’animal qui rit, c’est l’animal qui ment», souligne-t-il dans une étude approfondie sur la désinformation*.

Déjà les pharaons

Directeur de recherche à l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris), il observe que le vocable de désinformation est entré dans les dictionnaires dans les années 1980, mais que «la propagation délibérée d’informations fausses, prétendues de sources neutres, pour influencer une opinion et affaiblir un camp» – selon sa propre définition – remonte très haut dans l’histoire.

La manipulation des faits était déjà pratiquée par les scribes du pharaon Ramsès II au XIIIe siècle avant J.-C., entre autres pour enjoliver ses «victoires» contre les Hittites. En 1165 de notre ère, la fausse Lettre du prêtre Jean, décrivant un royaume paradisiaque aux confins de l’Orient, a enflammé la chrétienté. Plus tard, la diffusion de l’imprimerie et l’alphabétisation, loin de faire triompher l’esprit critique, ont fourni un nouveau terrain aux faussaires. Les fameux Protocoles des sages de Sion sur la conquête du monde par les juifs sont un faux rédigé en 1901 par un agent de la police secrète tsariste.

Guerre froide du faux

La propagande se systématise durant la Seconde Guerre mondiale. L’un des exemples les plus énormes concerne le massacre de près de 4000 officiers polonais à Katyn. Les nazis, qui ­découvrent le charnier en 1943, attribuent cet assassinat à la police politique de l’URSS (NKVD). Mais après-guerre, les Soviétiques révisent les indices matériels et chargent la Wehrmacht. Leur mise en scène, bien que troublante, tiendra des décennies, jusqu’aux aveux de Mikhaïl Gorbatchev en 1990.

C’est toutefois pendant la guerre froide que la désinformation va se mettre à prospérer, sur fond de luttes idéologiques planétaires. Le mot russe desinformatsia est d’ailleurs attesté dès 1949 dans un dictionnaire soviétique, note le chercheur François-Bernard Huyghe.

Le KGB s’ingénie à diffuser des faux, par exemple pour susciter des tensions entre les Etats-Unis et leurs alliés. Lors de l’assassinat du président John Fitzgerald Kennedy, les services secrets soviétiques ne manquent pas d’apporter de l’eau au moulin des hypothèses, diffusant de faux documents laissant croire à un complot de la CIA.

Autre tentative d’intox en 1983, lorsque le KGB lance l’opération Infektion, avec la Stasi est-allemande. Passant par un journal indien, il répand la rumeur selon laquelle le virus du sida serait une arme biologique fabriquée par les laboratoires de l’armée américaine.

Les services de renseignements des Etats-Unis ne sont pas en reste. Mais dans cette guerre de l’information, ils jouent plutôt la carte de la séduction.

Ils arrosent le bloc de l’Est d’émissions radio à l’enseigne de Voice of America ou Radio Free Europe pour vanter le mode de vie occidental. Même tactique avec Radio Swan qui émet en direction de Cuba, après l’échec du débarquement de la baie des Cochons. «Les propagandistes diffusaient un savant dosage de vraies et fausses informations, habilement intercalées entre des séquences de musique latine et des émissions religieuses», raconte le spécialiste du renseignement et de la désinformation Michel Klen, dans un ouvrage consacré à la «guerre du bluff»**.

L’une des plus graves affaires de désinformation éclate en décembre 1989, à l’heure où le communisme s’effondre. C’est la révélation des charniers de Timisoara, en Roumanie, étayée par des images de cadavres diffusées dans les médias. Libération titre «Boucherie», parle de «milliers de corps nus tout juste exhumés». Le quotidien espagnol El Pais affirme que «l’armée a découvert des chambres de torture». Un mois plus tard, l’affaire se dégonfle lorsque Le Figaro révèle que les morts avaient été déterrés d’un cimetière. Entre-temps, le président Nicolae Ceausescu et son épouse ont été exécutés à la suite d’un simulacre de procès.

Des images manipulées

La manipulation des images, déjà pratiquée par Staline pour «effacer» ses camarades indésirables (Trotsky, etc.), a permis à George W. Bush d’attaquer Saddam Hussein en 2003, en faisant la preuve, photos-satellite à l’appui, d’une soi-disant présence d’armes de destruction massive en Irak. Cette semaine encore, plusieurs photos et vidéos impressionnantes de l’ouragan Irma diffusées sur la blogosphère étaient des faux, comme l’a fait remarquer Libération dans sa rubrique «Désintox» (lire ci-dessous).

Avec internet, la désinformation a trouvé le support idéal pour semer le doute et enfumer les esprits. Cela tient à la facilité de fabrication et de distribution du faux que permet le support numérique. Mais aussi à la composante financière du Net, qui amène de nombreux sites à collecter les «clics» en attirant les lecteurs par des nouvelles souvent simplistes, sans vérification des sources ni souci déontologique. L’effet viral peut alors même intoxiquer les médias traditionnels, déjà affaiblis par la concurrence du web.

«Plus il y a des moyens de dire et de montrer, de pluralisme des sources, de moyens de communication, plus les témoins ou les acteurs peuvent s’exprimer, plus progresse le doute», observe François-Bernard Huyghe, n’hésitant pas à parler de «scepticisme de masse». Pour s’y retrouver dans ce «brouillard du réel», le chercheur ne voit qu’une solution: «Apprendre à reconnaître les méthodes et les constantes du faux, au prix de la méfiance et de l’effort.» Autrement dit: garder l’esprit critique!

* François-Bernard Huyghe, La désinformation – Les armes du faux, Editions Armand Colin, 2016.

** Michel Klen, La guerre du bluff est éternelle – Mensonges, manipulations 
et ruses de guerre dans la tourmente 
de l’histoire, Editions Favre, 2017.


 

La résistance s’organise face au phénomène des fake news

Popularisée par Donald Trump dans ses tweets, lors de la campagne présidentielle, l’expression fake news renvoie littéralement à ces «fausses nouvelles» ou rumeurs fabriquées de toutes pièces sur internet. Le phénomène, récupéré à toutes les sauces, des simples hoax ou canulars (souvent malveillants) aux théories conspirationnistes, s’inscrit en général dans une perspective de propagande, de persuasion ou de manipulation, avec le plus souvent une volonté de générer du profit par contagion virale dans les réseaux sociaux. Les fake news seraient relativement peu efficaces, si l’on en croit une étude de l’Université de New York portant sur leur influence réelle lors des élections américaines.

Pourtant, comme les fake news engendrent une perception erronée de la vérité, elles font peur aux décideurs. «Je suis comme tout le monde très préoccupé au sujet des fausses informations», a déclaré l’Estonien Andrus Ansip, vice-président de la Commission européenne. Bruxelles a émis une mise en garde en janvier dernier. Pour contre-attaquer, un projet international de contrôle des nouvelles douteuses, nommé CrossCheck, a aussi été lancé par First Draft (un site qui collecte et vérifie des informations pour les journalistes) et par Google News Lab, conjointement avec divers grands médias, dont Le Monde et l’agence AFP. Plusieurs médias proposent également des rubriques en contre-feux: «Décodex» dans Le Monde ou «Désintox» dans Libération. Des sites spécialisés se sont aussi lancés dans le combat. En outre, le réseau social Facebook a annoncé récemment vouloir sévir. A chacun toutefois d’être vigilant. Comme le recommande le spécialiste Michel Klen, détournant la formule de Descartes: «Je pense donc je doute!» PFY

 

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