La Liberté

Le djihad mondial du wahhabisme

Né au XVIIIe siècle en Arabie saoudite, le mouvement austère conquiert toujours plus la planète islam. Historiens, politologues et anthropologues des religions livrent leurs réponses dans diverses publications. Tour d’horizon.

Les «frères» de la milice religieuse islamique Ikhwan, recrutés dès 1912 parmi les tribus bédouines, constituent le socle sur lequel Abdelaziz al-Saoud s’est appuyé pour conquérir l’Arabie saoudite. © DR
Les «frères» de la milice religieuse islamique Ikhwan, recrutés dès 1912 parmi les tribus bédouines, constituent le socle sur lequel Abdelaziz al-Saoud s’est appuyé pour conquérir l’Arabie saoudite. © DR
«Le wahhabisme? Le protestantisme de l'islam!» compare Jean Louis Burckhardt. © DR
«Le wahhabisme? Le protestantisme de l'islam!» compare Jean Louis Burckhardt. © DR

Pascal Fleury

Publié le 02.12.2016

Temps de lecture estimé : 6 minutes

Musulmans » Puritain, austère, sectaire, fondamentaliste, ultraconservateur, conquérant… Le wahhabisme cumule les qualificatifs extrêmes de l’islam traditionnel. Mais quel est ce mouvement politico-religieux né au XVIIIe siècle dans les sables de l’Arabie? Quels sont sa doctrine et son impact sur la vie quotidienne? Et comment se fait-il que ce courant, qui a inspiré al-Qaïda et Daech, devienne toujours plus influent dans de nombreux pays de tradition musulmane? Historiens, politologues et anthropologues des religions livrent leurs réponses dans diverses publications. Tour d’horizon.

Les origines
Le wahhabisme a été fondé par Muhammad Ibn Abd al-Wahhab, né vers 1703 dans le Najd, le plateau central de l’actuelle Arabie saoudite. Après avoir visité les lieux saints, il se met à prêcher contre ce qu’il appelle le «polythéisme» de ses coreligionnaires, qui prient non seulement Dieu, mais le prophète, les saints et les anges. Lui proclame l’unicité exclusive de Dieu. Préconisant une vie austère libérée de toutes pratiques «superstitieuses», il réunit bientôt un premier noyau de partisans.

En 1744, il convainc l’émir de la ville de Dariya, Muhammad Ibn Saoud, de se rallier à sa doctrine, scellant une union sacrée existant encore aujourd’hui. Porté par l’enthousiasme du réformateur, l’émir fonde le premier Etat saoudien, et se lance dans un djihad contre les tribus voisines dans la péninsule. Son fils poursuit la conquête jusque dans les faubourgs chiites de Bagdad. Repoussée continuellement par les Ottomans durant le XIXe siècle et en proie à des guerres de clans, la famille Saoud gagne finalement son territoire actuel en 1932, avec la fondation du royaume d’Arabie saoudite.

La doctrine
«Qu’est-ce que le wahhabisme? Le protestantisme et même le puritanisme de l’islam!», observe en 1814 l’orientaliste bâlois Jean Louis Burck­hardt, qui rédige un Essai sur l’histoire des wahhabites lors de ses voyages en Arabie. Leur capitale est la «Genève du protestantisme mahométan», renchérit en 1854 l’aventurier Charles Didier. Quant à la baronne lady Anne Blunt, qui découvre en 1878 le «berceau de la race arabe» avec son mari diplomate, elle parle du fondateur comme du «Luther du mahométisme». En fait, cet «islam réformé» prône simplement un retour aux sources coraniques. Abd al-Wahhab dément d’ailleurs fonder une nouvelle secte. Estimant qu’«il n’est de dieu que Dieu», il nomme sa doctrine «unitarisme».

La pratique
Le wahhabisme se distingue par sa lecture littérale de l’islam. Il considère que l’Etat doit fonctionner exclusivement selon la loi religieuse, la charia. Toute «innovation blâmable» en théologie est réprimée. Alcool, tabac, jeux de hasard, magie, vêtements parés d’or ou de soie, et même pierres tombales sont interdits. La vénération des saints et toutes les dévotions populaires sont aussi rejetées. Le salafisme, né au XIXe siècle en Egypte, est très proche du wahhabisme, s’attachant aux croyances et pratiques orthodoxes des «salaf», les «purs» des premiers temps de l’Islam.

L’expansion
Lorsque Abdelaziz Ibn Abderrahmane al-Saoud devient roi d’Arabie saoudite en 1932, après avoir reconquis la péninsule avec le soutien de la milice islamique Ikhwan («frères») et le blanc-seing des Britanniques, les oulémas lui font allégeance. La doctrine wahhabite est alors déjà présente dans toute la péninsule. Elle va se diffuser internationalement dès 1945 avec le «pacte pétrole contre protection», signé avec le président Franklin Roosevelt.

Grâce à l’apport de milliards de pétrodollars, de nombreuses mosquées sont construites à travers la planète, le prosélytisme passant aussi par l’aide humanitaire, les écoles coraniques, les livres religieux ou les chaînes satellitaires. Depuis sa création en 1961, l’Université islamique de Médine a produit plusieurs dizaines de milliers de religieux destinés à «porter la bonne nouvelle» au monde entier. L’Arabie saoudite a adopté «une politique califale qui ne dit pas son nom», commente le politologue Nabil Mouline.

La dérive
Les pétrodollars servent aussi à soutenir des mouvements armés, moudjahidin, palestiniens, bosniaques, tchétchènes… Avec parfois de sévères retours de manivelle. Ainsi, le Saoudien Oussama Ben Laden, engagé en Afghanistan puis écarté lors de la seconde guerre du Golfe, est devenu l’un des pires ennemis de l’Arabie saoudite proaméricaine.

Et il y a cette jeunesse déboussolée, qui se radicalise parfois dans les centres islamiques sponsorisés par des fonds saoudiens, et finit par s’embrigader dans 
al-Qaïda ou Daech, deux organisations terroristes qui s’inspirent du wahhabisme. Pas étonnant, alors, que l’Arabie saoudite soit accusée de double jeu…

Hamadi Redissi, Une histoire du wahhabisme – Comment l’islam sectaire est devenu l’islam, Ed. du Seuil, 2016.

Malek Chebel, Changer l’islam, Editions Albin Michel, 2013.

Yves Besson, La fondation du royaume d’Arabie saoudite, Editions des Trois continents, 1980.

Nabil Mouline, Le Califat – Histoire politique de l’islam, Flammarion, 2016


 

Des lieux saints objets de toutes les convoitises

La Mecque et Médine sont en proie à de régulières luttes de pouvoir. Les wahhabites ont pris le contrôle en 1924.

Depuis la mort du prophète, les lieux saints de l’islam se sont trouvés sous dominations diverses, avec suprématie ottomane dès le XVIe siècle. En 1802, les wahhabites ont pris La Mecque et Médine, portant un rude coup au prestige des Turcs. Les «réformateurs» ont été chassés après une décennie, mais sont revenus en force en 1924, sous le commandement d’Abdelaziz al-Saoud, le futur roi d’Arabie saoudite.

Depuis lors, les lieux saints vivent à l’heure du wahhabisme: les pratiques non orthodoxes ont été abolies et une grande partie du patrimoine religieux a été détruit par crainte d’idolâtrie. Les pèlerins des obédiences minoritaires restent tolérés.

Désormais, c’est le «calife» de Daech, Abou Bakr al-Baghdadi, qui rêve de s’emparer de La Mecque. Il a appelé à «allumer les volcans du djihad en Arabie saoudite» et plusieurs attentats ont déjà secoué le pays. PFY

 

En dates

1703
Naissance présumée du fondateur Muhammad Ibn Abd al-Wahhab.

1744
Création du premier Etat saoudien.

1932
Fondation de l’actuel royaume d’Arabie saoudite par Abdelaziz al-Saoud.

1945
Signature du «pacte pétrole contre protection» entre le roi Abdelaziz et le président américain Franklin Roosevelt.

2015
Septième monarque de la famille al-Saoud, Salman accède au trône. Il continue de cultiver l’héritage du wahhabisme. PFY

 

Histoire vivante

Radio: Ve 20 h

TV: Arabie saoudite – Les liaisons dangereuses
 Di 21 h 10 et Ma 01 h 20


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