La Liberté

Le tsunami a noyé la guerre civile

Le raz-de-marée de 2004 a étonnamment permis de relancer le processus de paix dans la province d’Aceh

Le tsunami du 26 décembre 2004 a fait plus de 130'000 morts et 650'000 sans-abri dans la province d’Aceh. Ce drame a eu pour effet de relancer le ­processus de paix dans cette région qui était en guerre ­civile depuis trente ans. ­Aujourd’hui, la province est ­reconstruite et la paix ­toujours ­durable. © Alain Wicht/La Liberté
Le tsunami du 26 décembre 2004 a fait plus de 130'000 morts et 650'000 sans-abri dans la province d’Aceh. Ce drame a eu pour effet de relancer le ­processus de paix dans cette région qui était en guerre ­civile depuis trente ans. ­Aujourd’hui, la province est ­reconstruite et la paix ­toujours ­durable. © Alain Wicht/La Liberté
Le tsunami a noyé la guerre civile © LIB/VR
Le tsunami a noyé la guerre civile © LIB/VR

Propos recueillis par
 Pascal Fleury

Publié le 12.05.2017

Temps de lecture estimé : 8 minutes

Indonésie »  La province d’Aceh, située à la pointe nord de l’île de Sumatra, a été le théâtre, pendant près de trente ans, d’un sanglant conflit entre les indépendantistes du Mouvement pour un Aceh libre (GAM) et l’armée indonésienne. Le tsunami de décembre 2004, qui a fait plus de 130'000 morts dans la région, a favorisé la relance et l’accélération de négociations, qui ont débouché sur une paix durable dans la province. Les explications de Silvia Vignato, professeure associée d’anthropologie culturelle et sociale à l’Université de Milan-Bicocca, en Italie, et spécialiste du Sud-Est asiatique.

Quel a été l’impact du tsunami sur le processus de paix?

Silvia Vignato: En soi, ce n’est pas le tsunami qui a déclenché le processus de paix. Cela aurait été miraculeux! Il a toutefois accéléré les négociations, mais la préparation d’accords de paix était déjà en cours. S’il est devenu urgent de mener à bien ces accords, c’est que soudainement la province s’est trouvée sous les feux médiatiques. Le gouvernement avait d’abord cru pouvoir maîtriser la catastrophe en envoyant l’armée. Mais vite débordé, il a dû ouvrir les frontières à l’entraide humanitaire. Avec la présence de la presse internationale, le conflit, jusque-là largement méconnu, est apparu au grand jour. Le gouvernement, qui venait de se doter d’un nouveau président, Susilo Bambang Yudhoyono, n’a plus eu d’autre solution que de jouer la carte de la négociation. L’accord a été signé en un temps record, le 15 août 2005 à Helsinki.

Les ONG et les pays donateurs ont-ils fait pression pour faire avancer ces négociations?

A ma connaissance, absolument pas. L’aide humanitaire, qui a été exemplaire avec la construction de milliers de maisons, d’hôpitaux et de ponts, a été totalement séparée du processus de paix. Même dans les orphelinats, que j’ai visités, les enfants étaient clairement identifiés comme victimes du conflit ou comme victimes du tsunami.

Quelles sont les origines de ce conflit de trente ans?

Le motif le plus souvent évoqué est l’exploitation des ressources naturelles, et en particulier du gaz naturel, par le régime Soeharto, qui pratiquait le clientélisme et la corruption à grande échelle. Les habitants de la province ne bénéficiaient en rien de ces richesses, alors que les proches du président et les Américains d’ExxonMobil enregistraient d’énormes profits.

Le problème a aussi des racines plus profondes?

Le Mouvement de libération d’Aceh (GAM), qui a été fondé en 1976, s’enracine dans un long passé. La province d’Aceh a été un sultanat indépendant du XVIe au XIXe siècle. Lors de la conquête hollandaise, les colons ont eu toutes les peines à contrôler la région en raison d’actes de résistance, de crimes et autres sabotages. Après la Seconde Guerre mondiale, la jeunesse résistante d’Aceh a participé avec enthousiasme à la guerre d’indépendance de l’Indonésie. En fait, Aceh, séparé du reste de Sumatra par la forêt primaire et les montagnes, s’est toujours tourné plutôt vers l’océan Indien que l’arrière-pays. La région a son ethnie et sa langue propre.

Le conflit a été très violent...

Le conflit a été d’une cruauté inouïe à partir de 1989, lorsque la région a été décrétée «zone d’opérations militaires» et que l’armée indonésienne est intervenue massivement sur le terrain. Dès lors, les rebelles indépendantistes se sont aussi militarisés. Des combattants sont allés se former en Libye et s’en sont pris à l’armée gouvernementale avec efficacité. Le pouvoir central javanais a alors répliqué avec une violence disproportionnée. Entre 1989 et 1998, à la chute de Soeharto, les pics de violence ont été extrêmes, avec des razzias dans les villages, des maisons brûlées, de la torture, des viols, des exécutions sommaires. La province souffrait aussi de son isolement forcé. Globalement, le conflit aurait fait plus de 28 000 morts.

Après l’éviction de Soeharto, des initiatives peuvent enfin être lancées pour retrouver la paix?

Oui, car la situation s’améliore: la presse retrouve sa liberté et la circulation devient à nouveau possible dans la province, jusque-là complètement fermée. En 1999, des étudiants tentent d’organiser un référendum pour l’autodétermination d’Aceh. Mais la répression militaire est à nouveau cruelle. Une trêve humanitaire est obtenue en 2000, puis une seconde tentative de paix est instaurée grâce à la médiation du Centre Henri-Dunant, à Genève. Un accord de cessation d’hostilité est signé en 2002, mais à nouveau dénoncé un an avant le tsunami. Après la signature de paix de 2005, nombre d’anciens rebelles se sont lancés dans la reconstruction de la région.

Deux ans après le tsunami, c’est un membre du GAM, Irwandi Yusuf, qui est élu gouverneur. La province est-elle toujours calme?

Oui. Irwandi Yusuf vient d’ailleurs d’être réélu en avril. La province est désormais largement reconstruite, une politique de natalité est encouragée et des efforts sont consentis pour développer le tourisme. Il existe même des tours «macabres» sur les traces du tsunami. Le fait que la province, profondément musulmane, pratique la charia, rebute toutefois certains touristes occidentaux. L’interdiction du bikini les empêche de profiter des merveilleuses plages. Ils se tournent alors vers l’offre de randonnées, en plein développement.


 

La Suisse a contribué au retour de la paix à Aceh

La Suisse a offert ses bons offices dans le processus de paix qui a mis fin à trente ans de conflit, en 2005 à Aceh.

Après le tsunami de 2004, la Suisse ne s’est pas contentée d’apporter un soutien humanitaire aux populations sinistrées de la province d’Aceh. Elle a participé au processus de paix entre les indépendantistes du Mouvement de libération d’Aceh (GAM) et le Gouvernement indonésien.

«La médiation était menée par l’ancien président finlandais Martti Ahtisaari. La Suisse a apporté son soutien avec l’accord des parties et du médiateur. Son rôle a été d’aider les négociateurs du GAM à se préparer à la médiation. Un expert suisse a travaillé avec eux les méthodes de négociation, leur expliquant la culture du compromis et du consensus, afin qu’ils soient «à niveau» pour négocier. Cela, bien sûr, en toute neutralité», explique Georg Stein, conseiller en médiation à la Division sécurité humaine du Département fédéral des affaires étrangères.

Après la signature de l’accord de paix, le 15 août 2005 à Helsinki, la Suisse a également participé à la réinsertion des anciens indépendantistes dans la société. «Elle a apporté entre autres un soutien à la transformation du mouvement armé en partis politiques, sous forme d’ateliers. Ce beau projet a permis aux militants du GAM de réfléchir en d’autres termes que militaires», précise l’expert.

Parallèlement à ses bons offices, la Suisse a apporté une aide importante aux victimes du tsunami. La DDC a investi près de 13 millions de francs, principalement dans l’aide aux familles accueillant des sans-abri, dans l’aide médicale d’urgence et dans l’approvisionnement en eau. Plus de 600 puits ont été nettoyés et plusieurs installations de traitement d’eau potable ont été remises en état.

De leur côté, grâce aux dons record de 228 millions de francs versés à la Chaîne du bonheur, les ONG suisses et leurs partenaires locaux ont pu contribuer à la reconstruction de 23 000 maisons, hôpitaux, écoles et jardins publics en Indonésie, Thaïlande, Sri Lanka et Inde. Aujourd’hui, 90% des bénéficiaires sont en mesure de subvenir seuls à leurs besoins essentiels. PFY

 

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