La Liberté

Marine Le Pen, la stratégie androgyne

Depuis plus de 40 ans, des femmes cherchent à percer le plafond de verre de la présidence française

«En politique, les traits de personnalité sont travaillés,» explique Marlène Coulomb-Gully. © DR
«En politique, les traits de personnalité sont travaillés,» explique Marlène Coulomb-Gully. © DR


Propos recueillis par
 Pascal Fleury

Publié le 13.01.2017

Temps de lecture estimé : 9 minutes

Elections françaises » En mai, pour la seconde fois après Ségolène Royal en 2007, une femme, Marine Le Pen, pourrait se retrouver au second tour de l’élection présidentielle française. Le facteur «femme» se retournera-t-il alors contre elle, comme ce fut le cas pour Hillary Clinton face à Donald Trump? Ou au contraire sa condition de femme jouera-t-elle en sa faveur?

Auteure de plusieurs ouvrages sur les femmes en politique*, Marlène Coulomb-Gully, professeure en sciences de la communication à l’Université Toulouse 2 Jean Jaurès et membre du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes, nous livre son analyse de spécialiste des questions de genre. Entretien.

- Dans quelle mesure le facteur «femme» peut-il jouer dans la campagne de Marine Le Pen?

Marlène Coulomb-Gully: Ce qui est primordial, s’agissant de Marine Le Pen, c’est qu’elle est à la tête d’un parti qui prône des valeurs viriles. Sa stratégie de femme doit être comprise en articulation avec cette dimension fondamentale dans l’histoire du Front national.

Si pour les uns, son statut de femme est un élément négatif, elle reste la fille du chef historique, à la tête d’un parti viril. Pour les autres, le caractère parfois perçu comme brutal des partis d’extrême-droite peut être compensé par l’image stéréotypée de douceur souvent associée au féminin.

- Marine Le Pen exploite-t-elle sa féminité dans sa stratégie?

Marine Le Pen joue sur les deux tableaux au niveau de son incarnation. Elle est à la fois féminine, cheveux longs, blonds, robes, jupes… Mais elle est aussi, par certains aspects, ce que le sociologue Edgar Morin appelle la «masculine feminine girl». Elle n’hésite pas à adopter une dégaine masculine, avec un jeans serré dans de hautes bottes de cuir. Et sa voix de fumeuse, ses gueulantes, son rire à gorge déployée, sont autant de traits perçus comme peu féminins, et qui font signe vers le masculin.

- Est-ce vraiment dans sa nature?

On peut en tout cas parler d’identité stratégique. Comme Hillary Clinton ou Ségolène Royal, chaque femme en politique a une stratégie bien particulière dans la mise en avant de sa féminité. Les traits de personnalité sont travaillés. Les médias jouent aussi leur partition dans cette coconstruction stratégique. Cela dit, le Front national a deux cibles: les femmes et les milieux populaires. Pour gagner des voix, Marine Le Pen va sans aucun doute mettre en avant cette espèce de féminité populaire, n’hésitant pas à rire gras et à parler haut.

- Va-t-elle aussi jouer la carte de la femme dans son programme?

Le Front national ne parle pas que d’une voix. Marion Maréchal-Le Pen, de son côté, a une position beaucoup plus réactionnaire par rapport aux droits des femmes, puisqu’elle n’hésite pas à dire qu’elle est contre l’avortement. Marine Le Pen n’est pas sur cette ligne-là. D’ailleurs, si elle a encore parlé d’«avortement de confort» lors de la présidentielle de 2012, elle ne formule plus les choses dans ces termes aujourd’hui. Elle n’hésite pas non plus à mettre en avant qu’elle est une femme divorcée, qui a élevé seule ses enfants, qui travaille, autant de traits qui participent d’une perception plus «moderne». On en saura plus lorsque le programme du parti sera finalisé, mais on peut s’attendre à des thèmes qui vont être pensés pour attirer le vote des femmes.

- Une stratégie profemmes 
ne suffit cependant pas toujours à convaincre les électrices. 
On l’a vu avec Hillary Clinton…

Hillary Clinton n’avait absolument pas mis en avant cette dimension lors de la présidentielle de 2008. En 2016, en revanche, elle s’est présentée clairement comme grand-mère, n’hésitant pas à évoquer sa petite-fille. Elle a aussi mis en avant des points de son programme destinés spécifiquement aux femmes. Cela a pu jouer auprès d’une certaine partie de la population. Donald Trump, en face, a mené une campagne très virile. Avec des propos misogynes sur les femmes qu’il fallait «attraper par la chatte». Le plus étonnant, c’est que beaucoup de femmes, sans doute nostalgiques du passé, ont voté pour lui.

Il faut savoir que les électrices ne pénalisent pas nécessairement un parti pour ses positions réactionnaires ou antifemmes – on a vu que le Front national a obtenu un large soutien féminin en 2012 – pas plus qu’elles ne se portent spontanément vers un parti qui aurait des positions profemmes, comme du côté de l’extrême gauche.

- En 2007, Ségolène Royal n’avait pas eu plus de succès avec les femmes…

Le contexte était assez différent en 2007. En France, les premières lois sur la parité en politique venaient d’être votées. Ségolène Royal a incarné ce mouvement, en jouant sur deux tableaux. Elle a mis en avant sa maternité, un argument classique des femmes en politique. Mais elle a aussi exploité son image de femme séduisante et glamour: habillée avec élégance, avec des tailleurs près du corps, les cheveux lâches accentuant sa féminité, elle a également abandonné ses lunettes pour mettre en valeur le bleu de ses yeux.

Conforme aux critères de beauté dominants, elle a été classée 6e femme la plus sexy par le mensuel masculin FHM. Ce double positionnement lui a valu à la fois une bordée d’injures sexistes («Qui va garder les enfants?», «Royal, c’est l’image sans le son», «Elle change d’idées comme de jupes») et les critiques de féministes déçues de cette double concession aux diktats machistes.

- Les féministes comptent-elles aujourd’hui sur Marine Le Pen pour briser le plafond de verre?

Il est difficile pour les féministes d’être favorables à une candidature d’extrême-droite, fût-elle incarnée par une femme! En fait, le combat risque d’être encore long avant d’avoir une femme présidente de la République. Les obstacles se trouvent sans doute davantage chez certains politiques que dans la population. Il faut donc continuer à durcir les lois sur la parité.

En même temps, à l’autre bout de l’échelle, il faut poursuivre le travail sur les mentalités, au niveau de l’éducation des jeunes générations. La solution ne passera que par une déconstruction des stéréotypes sexistes qui se transmettent souvent sans qu’on en ait conscience.

* Marlène Coulomb-Gully, Présidente: 
le grand défi, Editions Payot, 2012, et Femmes en politique, en finir avec les seconds rôles, Editions Belin, 2016.


 

Le poids d’une culture et d’un imaginaire politique pensé au masculin

Plus de 40 ans après la candidature d’Arlette Laguiller à l’élection présidentielle, la France n’a toujours pas été présidée par une femme, alors que, par exemple, la Grande-Bretagne a déjà eu plusieurs premières ministres et l’Allemagne Angela Merkel. Pour la professeure Marlène Coulomb-Gully, cette disparité s’explique en partie par le fait que dans ces deux pays, on a des régimes parlementaires.

«Cela fait une grosse différence, souligne-t-elle. Ces femmes ont été élues sur la base d’un programme, où les questions d’incarnation jouent un rôle moins important que dans l’élection présidentielle en France, où la question de l’incarnation est fondamentale. On se heurte là à un imaginaire politique pensé au masculin.» La spécialiste des questions de genre ajoute qu’en France, quand on parle de «grand homme politique», on pense d’abord à un grand orateur: «La prise de parole est pensée au masculin, avec un organe puissant et une capacité physique à haranguer les foules – dans le style de Jean-Luc Mélenchon, par exemple. Or les femmes sont souvent mal à l’aise avec ce type de prise de parole. La parole d’autorité est une parole masculine. On pourrait aussi évoquer le décor de l’Assemblée nationale, entièrement masculin! Ce sont autant d’obstacles symboliques à l’accession des femmes en politique.»

Et Marlène Coulomb-Gully de rappeler que les siècles passés déjà, alors qu’il y avait des reines un peu partout en Europe, en France, en vertu de la loi salique, les femmes ne pouvaient accéder au trône. Aujourd’hui, grâce aux lois de parité introduites dès 2000, les conseils départementaux, généraux et municipaux sont paritaires. A l’Assemblée nationale et au Sénat, en revanche, où les scrutins sont «in nomino», la part des femmes n’est que d’environ un quart. Les partis, à commencer par Les Républicains (ex-UMP), préfèrent payer de lourdes amendes plutôt que de présenter autant de femmes que d’hommes aux élections législatives. PFY

 

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