La Liberté

Mort du Che, naissance d’un mythe

Selon le général Gary Prado, qui a capturé le Che, le guérillero a été sacrifié sur l’autel du castrisme

Nadine Crausaz

Publié le 22.09.2017

Temps de lecture estimé : 9 minutes

Cinquante ans » Le 8 octobre 1967, le général bolivien Gary Prado, alors capitaine, arrêtait Che Guevara dans les contreforts des Andes. Il est l’un des derniers à l’avoir vu vivant. Cinquante ans après, l’ancien militaire de 78 ans, qui a aussi été ambassadeur au Royaume-Uni et au Mexique, témoigne. Il prétend que le Che a été sacrifié sur l’autel du castrisme, que Fidel Castro l’a abandonné en l’envoyant combattre en Bolivie sans appui, le condamnant de fait à l’échec et à la mort.

Le Che a été exécuté le lendemain de son arrestation, alors que Gary Prado était reparti avec ses soldats à la recherche des derniers guérilleros. En 2009, le général a été accusé par le président bolivien Evo Morales, grand admirateur du révolutionnaire cubain, d’avoir assassiné le Che. Il s’en défend avec véhémence. Rencontre à Santa Cruz de la Sierra, où le général Prado vit paralysé des membres inférieurs, depuis qu’une balle perdue lui a touché la colonne vertébrale.

Alors que vous étiez capitaine, vous avez capturé le Che, blessé à la jambe, et vous l’avez emprisonné dans l’école du hameau de La Higuera. Ce fait d’armes vous a propulsé sur le devant de la scène internationale en 1967…

Gary Prado: Il est vrai que la capture du Che m’a fait con­naître internationalement, mais cela n’a pas été un facteur influent sur le reste de ma vie. Je suis convaincu que j’ai accompli des choses plus importantes que l’arrestation du Che. J’ai eu une brillante carrière militaire, on me connaît et on me respecte pour ma contribution au retour à la démocratie en Bolivie et mes diverses activités jusqu’à ma retraite de l’armée, après 30 années de bons et loyaux services.

Vous avez quand même vécu avec ce «poids»? Après sa mort, le Che est devenu un mythe…

Au moment d’être capturé, le Che m’a dit: «Ne me tuez pas, j’ai plus de valeur pour vous vivant que mort.» Mais sa mort a eu l’effet inverse. Car pour Fidel Castro, le Che valait davantage mort que vivant. Son élimination le libérait d’un problème délicat et il pouvait ainsi construire un mythe autour du Che, ce qui lui a permis de survivre avec son système.

Vous affirmez que ses «amis» l’ont envoyé en Bolivie pour 
en finir avec lui?

Le Che a été sacrifié sur l’autel du castrisme. Et Cuba devra admettre un jour que l’envoi du Che en Bolivie était un moyen de se débarrasser de lui, car il ne correspondait pas à la position prise par Cuba sous la pression de l’URSS. L’envoyer en Bolivie, le priver de tout soutien et couper la communication avec lui était le meilleur moyen de le mettre à mort.

Lorsque vous avez arrêté le Che, avez-vous imaginé tout ce qui allait se passer ensuite?

Non, le Che était l’une des figures de la révolution cubaine et non le mythe construit. Pour moi, à ce moment-là, la chose la plus importante était que nous en finissions avec ce problème, que nous puissions revenir à la paix et rentrer dans nos foyers. Quand j’ai arrêté le Che, il était dans un piteux état. J’ai eu l’impression qu’il marchait vers son sacrifice pour une raison fondamentale: il n’avait nulle part où aller, il n’y avait pas un pays où il aurait pu se diriger. Il serait devenu réfugié politique et un hôte mal à l’aise. Pour toutes ces raisons, il a décidé d’aller jusqu’à la fin, menant une lutte avec lui-même entre l’instinct de survie et le sacrifice pour la cause à laquelle il avait cru et à laquelle il avait consacré sa vie.

Vous aviez dit au Che qu’il serait jugé par un tribunal militaire. Or le lendemain, il était sommairement exécuté sans procès?

Ce fut une décision politique prise au plus haut niveau par le président de la République René Barrientos et le commandement militaire pour mettre fin à la question une fois pour toutes. Il y a 50 ans, les droits des prisonniers de guerre n’étaient pas reconnus et les droits de l’homme n’avaient aucun effet. C’était une époque bien différente de la nôtre et on ne peut pas juger avec les paramètres actuels.

Le cadavre du Che a ensuite été transféré à Vallegrande pour que des centaines de personnes puissent le voir. Cela a été toute une mise en scène théâtrale?

L’hélicoptère a fait des transports durant toute la matinée entre La Higuera et Vallegrande, d’abord avec les blessés, puis nos morts et à la fin les morts de la guérilla. On ne pouvait transporter que deux corps à la fois, fixés aux patins externes. Les instructions du commandant de la compagnie étaient que le corps du Che soit le dernier à être transféré à Vallegrande pour avoir le temps de faire des préparatifs avant son arrivée.

Pourquoi lui a-t-on coupé les mains et la peau de son visage?

Les mains ont été coupées pour assurer l’identification par des experts argentins qui devaient mettre plusieurs jours pour atteindre Vallegrande, car à l’époque il y avait à peine un vol hebdomadaire entre Buenos Aires et Santa Cruz. A ce moment-là, il n’y avait pas de chambre froide pour conserver le corps qui commençait déjà à se décomposer. Son visage n’a pas été touché.

Le Che a-t-il vraiment été enterré avec ses compagnons?

J’ai toujours tenu secret le nom de l’officier chargé de faire disparaître le corps du Che, étant donné qu’il s’agissait d’une question très délicate et que je voulais lui éviter un harcèlement par les médias. Toutefois, en 1997, lorsque la Commission cubaine a travaillé en Bolivie pour rechercher les restes de combattants, avec les informations limitées que l’armée avait en sa possession, le général Mario Vargas Salinas a déclaré à un journaliste américain qu’il était l’officier en charge des restes d’Ernesto Guevara et que ces derniers n’avaient pas été détruits mais enterrés avec les dépouilles des autres guérilleros tombés au combat dans la Quebrada del Churo les 8 et 9 octobre 1967. Avec cette déclaration, la découverte du charnier dans un endroit proche du cimetière de Vallegrande a mis fin au mystère des restes.

Le Che est désormais enterré dans un mausolée à Cuba…

Le transfert des restes du Che à Cuba en 1997, au moment de célébrer les 30 ans de son immolation, était idéal pour réalimenter le mythe et redorer l’aura du guérillero. Pour Fidel Castro, cela permettait de cacher les faiblesses du Che dans le domaine militaire et politique et en même temps de passer sous silence le fait qu’il avait abandonné son ami au moment où le Che aurait eu un grand besoin de soutien et d’engagement.


 

Le Guerrillero Heroico, une véritable institution à Cuba et en Bolivie

D’innombrables tee-shirts à son effigie, des posters, films, chansons, œuvres d’art, expositions photographiques… cinquante ans après sa mort, le Guerrillero Heroico reste très présent dans l’iconographie révolutionnaire. Le Che est même devenu une «institution», tant à Cuba qu’en Bolivie, avec de nombreuses réalisations portant son nom. Ainsi en est-il du Centre d’études Che Guevara de La Havane, qui est situé là même où le Che a passé les dernières années de sa vie en famille, à un jet de pierre de la place de la Révolution. Plus qu’un musée, ses archives et objets personnels font désormais partie du Patrimoine mondial de l’Unesco dans la catégorie internationale.

Autre réalisation emblématique, la route du Che en Bolivie. Ce circuit touristique, situé entre Samaipata et La Higuera, suit la route empruntée par le Che et ses guérilleros en 1967. A mi-chemin, la ville de Vallegrande, qui accueille régulièrement des groupes de sympathisants (photo Keystone), propose notamment un musée et un centre culturel. Le local où son cadavre avait été exposé est encore visible, couvert de graffitis. On peut aussi voir le lieu où le Che aurait été enterré. C’est là que le président Morales, son grand admirateur, organisera un immense rassemblement anti-impérialiste au début octobre.

A noter aussi l’exposition Che Fotógrafo, qui montre une facette peu connue dans la vie du Che: sa passion pour la photographie. Cette exposition, qui est régulièrement visible à La Havane mais aussi parfois à travers la planète, constitue un intéressant témoignage de vie du Che. Elle est composée de clichés réalisés lors de ses premiers voyages au Guatemala, au Mexique, à Cuba ainsi que dans d’autres parties du monde. NC/PFY

 

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