La Liberté

Chine: les religions en pleine expansion

Université • Le jésuite Benoît Vermander vit et travaille dans le monde chinois depuis 1992. Professeur à l’Université Fudan à Shanghai, il donnera une conférence mardi à Fribourg sur le réveil religieux en Chine.

Pascal Fleury

Publié le 05.10.2014

Temps de lecture estimé : 8 minutes

Docteur en sciences politiques et en théologie, le jésuite français Benoît Vermander est professeur à la Faculté de philosophie de l’Université Fudan, à Shanghai. Etabli depuis plus de vingt ans en Chine, il est aussi directeur de recherche de l’Institut Ricci, à Taipei. Ce sinologue chevronné officie en outre comme consultant auprès du Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux.

Mardi prochain, Benoît Vermander donnera une conférence publique intitulée «Un réveil religieux aux caractéristiques chinoises?» à l’Université Miséricorde, à l’invitation de la Section romande de la Société Suisse-Chine. Spécialiste des religions chinoises et de la théologie catholique chinoise, il dresse pour nous un état des lieux de la spiritualité en Chine.

- Quelle est la situation actuelle des chrétiens en Chine?

Benoît Vermander: Le christianisme connaît une expansion continue depuis au moins trente ans. Avec la «politique des réformes et de l’ouverture» lancée par Deng Xiaoping à partir de 1979, les Eglises ont pu récupérer une partie de leurs biens et de leur liberté d’action. Cela s’est traduit par une «fièvre religieuse» qui ne concerne pas seulement le christianisme mais aussi d’autres religions, notamment le bouddhisme. Bien entendu, qui dit «fièvre» dit aussi «crises», et ces dernières ne manquent pas: le problème de la formation du clergé et des fidèles, la situation politique très particulière de la Chine, le rythme effréné de croissance avec ses conséquences sur les comportements et la culture, la dislocation de la société rurale… Tout cela influe en permanence sur les communautés chrétiennes.

- On parle d’Eglise «officielle» et d’Eglise «clandestine». Comment les fidèles chinois distinguent-ils ces deux Eglises?

Il y a de fait, tant chez les protestants que chez les catholiques, des Eglises «officielles», c’est-à-dire encadrées par une «association patriotique» et des organes de gestion qui en dépendent, et des groupes «clandestins» ou «à la maison». Mais la situation est souvent celle d’un continuum: il y a moins une coupure nette que des lignes de césure souvent indécises, souvent recomposées. La qualité des leaders religieux locaux, le type de gestion des affaires religieuses en vigueur d’un endroit à un autre, des traditions locales différenciées: tout cela contribue à façonner le kaléidoscope religieux actuel, si ondoyant que personne ne s’y reconnaît complètement.

- Dans plusieurs provinces chinoises, la police a exercé récemment des actions répressives à l’encontre de communautés chrétiennes, protestantes ou catholiques, «officielles» ou «clandestines». Quel est le problème?

La croissance très rapide des communautés chrétiennes, notamment dans certaines villes du sud-est de la Chine, comme Wenzhou, crée de fortes appréhensions chez les autorités provinciales, surtout lorsque cette croissance se manifeste par des édifices de plus en plus nombreux et visibles. Les événements des derniers mois suscitent beaucoup d’interrogations. Espérons simplement qu’ils vont s’apaiser rapidement. En Chine, comme ailleurs, il y a des «flux» et des «reflux»…

- Le pape François aurait envoyé récemment une lettre au président chinois Xi Jinping pour l’inviter à venir lui rendre visite au Vatican. Avez-vous des précisions?

C’est un fait très positif, et les autorités chinoises ont aussi laissé percer des signes d’une appréciation à la fois prudente et globalement favorable du présent pape. Nous ne savons pas quelle forme prendra la réponse s’il y en a une. Mais on peut parier qu’un certain mode de coopération ou de dialogue va se dessiner sur des sujets ayant trait à la paix mondiale et au dialogue interreligieux. C’est un fait nouveau: moins d’accent posé sur la possibilité d’un accord diplomatique complet, qui pose de très nombreux problèmes, et davantage sur des initiatives permettant de bâtir progressivement un certain climat de compréhension, voire de confiance.

- A Fribourg, vous allez parler d’un «réveil religieux aux caractéristiques chinoises». Quelles sont vos observations sur le terrain?

Je viens d’évoquer cette efflorescence des groupes locaux, et les problèmes de formation, de maturation qui l’accompagnent souvent. Elle s’observe sur le terrain notamment dans des grandes villes comme Shanghai. J’entends montrer comment s’exerce cette «créativité de terrain» et comment elle évite de s’engager trop avant dans des questions proprement politiques. Notre approche de la Chine est souvent trop marquée par la perception des confrontations, par le grossissement de la dimension politique. Il s’agit aussi d’observer les tactiques d’évitement, de compromis, de croissance endogène typiques de la société civile. C’est à l’inventivité constante des Chinois que je voudrais rendre hommage, cela au travers de l’observation du fait religieux.

- Quelles sont les relations entre la minorité chrétienne et les fidèles des autres religions en Chine?

Ces relations sont hélas trop distantes. La Chine est traditionnellement un pays de souplesse, de dialogue, de circulation entre les appartenances. Mais depuis le milieu du XIXe siècle, les aléas politiques et sociaux ont en quelque sorte durci les appartenances. Il y a donc des groupes vigoureux chez les bouddhistes, dans le taoïsme ou la religion populaire, chez la minorité musulmane Hui, etc. Jusqu’à présent, le dialogue interreligieux est surtout «officiel», organisé par l’Etat. Il faut désormais que les organisations religieuses locales se l’approprient et qu’une idée fasse son chemin: le dialogue entre les religions à l’intérieur de la Chine est un chemin pour mettre en œuvre un modèle de développement plus humain, éthique et durable. Cette idée commence à apparaître, il faut qu’il y ait davantage de personnes qui prennent l’initiative de lui donner une forme et un contenu spécifiques. I

> Conférence mardi 7 octobre à 18 h 15 à l’Université de Fribourg, Miséricorde, auditoire A. Accueil dès 17 h 45.

 

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«Le goût de l’Autre»

Le professeur Benoît Vermander enseigne la spiritualité comparée, le latin et la religion romaine ainsi que l’anthropologie religieuse à la Faculté de philosophie de l’Université Fudan, à Shanghai. Cette faculté de grande taille est considérée avec constance comme la première en Asie et en Chine par plusieurs classements internationaux.

«C’est une grande joie que de travailler au jour le jour avec des étudiants chinois, de la première année au doctorat», souligne le professeur. Qui précise: «Je suis privilégié: ce sont d’excellents étudiants, les conditions de travail sont bonnes, le temps donné à la recherche est considérable. Ce n’est pas partout le cas, ni en Chine ni ailleurs, très loin de là. Je mesure donc mon bonheur!»

Evidemment, il y a les aléas de la rencontre interculturelle: «Il faut faire preuve de patience et d’humilité, se rendre compte en enseignant que certains concepts, certaines notions qu’on pensait aller de soi ne «passent pas». Et puis, professeur comme étudiants sont soumis en permanence au brassage des langues. Ce n’est pas toujours facile d’enseigner en chinois, ce n’est pas non plus facile pour des étudiants chinois d’entrer dans l’esprit et la rigueur de la langue latine par exemple, mais ils le font avec grande curiosité et appétit», explique le jésuite.

Benoît Vermander croit donc aux «petits pas»: «Il faut travailler avec les jeunes générations à acquérir le «goût de l’Autre», un goût des racines culturelles de l’Autre, qui rende chacun plus curieux, plus tolérant, et capable alors d’interroger sa propre culture et ses pratiques. La Chine et le reste du monde ne peuvent changer que dans une interaction maintenue, confiante, riche en humanité, quels que soient les aléas. La transformation ne peut qu’être réciproque.» PFY

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