Pour dissuader les immigrants clandestins de venir s’installer en masse dans notre pays, j’ai une solution. Très simple: montrons-leur quelques émissions d’«A bon entendeur». Tête des malheureux qui espéraient trouver refuge dans nos contrées, soudain tous saisis d’épouvante devant la dure réalité helvétique.

On imagine sans mal la nausée qui s’emparerait de nos amis africains, balkaniques, syriens et autres après avoir découvert des vidéos d’«A bon entendeur». La bouche tremblante de dégoût et le cœur levé, ils n’auraient plus qu’une idée en tête: fuir.

Fuir, oui. Partir vite et surtout très loin de ce pays où certains yoghourts contiennent trop de matières grasses, où les petits pâtés à la viande ont un goût parfois douteux, où certaines croquettes sont dangereuses pour les chiens, où les composés de tel vernis à ongles peuvent poser problème et où, péril parmi tant d’autres, des bactéries se glissent quelquefois dans les serviettes hygiéniques de ces dames.

Nous vivons dans un pays dangereux

On ne dit pas assez quel pays dangereux est la Suisse. Dieu et la RTS merci, Manuelle Pernoud et son émission sont là pour rappeler cette évidence semaine après semaine. Et pour guider autant que possible les pas de millions d’affligés helvétiques dans leur enfer quotidien, enfer dont nous savons qu’il est pavé de produits impropres à la consommation.

Si les autres peuples semblent l’ignorer, bizarrement, tel est néanmoins le tableau: les gens en Suisse sont des oubliés du ciel, des damnés de la terre contraints de survivre dans une jungle où d’innombrables prédateurs les tordent ou les saignent à la moindre occasion.

Voyons pourtant le bon côté des choses. Sans «A bon entendeur» et sa productrice-journaliste-présentatrice, ce serait pire. Au moins, grâce à Manuelle et à son équipe, beaucoup d’innocents ont pu déjouer les pièges que leur tendaient les vautours du commerce et de l’industrie.

Du sérieux garanti

«A bon entendeur» est donc une émission salubre. Le principal mérite en revient à Manuelle Pernoud. Avec sa fade intransigeance, sa hargne molle et son sérieux extrêmement sérieux, elle dénonce inlassablement toutes sortes de scandales. Exemple récent pris au hasard: ce bureau d’architecture qui a reçu d’une firme bâloise des cartouches d’encre pour imprimante sans avoir jamais rien demandé. Et ces cartouches, en plus, n’étaient même pas de première qualité! Le genre d’affaire qui fait froid dans le dos.

Manuelle Pernoud: la super nounou qui veille sur nous! La maman de nos mardis soir sait ce qui est bon pour nous et ce qui ne l’est pas, connaît le juste prix de chaque chose et pourrait flairer n’importe quel attrape-nigaud depuis le hublot d’un Boeing 747.

Si les téléspectateurs romands suivaient toutes ses recommandations à la lettre, autant dire qu’ils se porteraient mieux: ils n’achèteraient quasiment plus rien, vivraient d’amour et d’eau fraîche, et feraient des citoyens bien plus vigilants. Enfin aptes à se méfier de tout, y compris d’un rouleau de papier toilette…

Celle qui fait attention à tout

Nounou plus crédible, en tout cas, il n’y a pas. Le téléspectateur voit tout de suite que Manuelle ne badine pas, de son côté, et doit observer sans doute de façon très stricte ses propres prescriptions. On devine à sa longue et mince silhouette la femme qui fait attention à tout, n’achète rien à la légère et ne mange pas n’importe quoi quand il lui arrive de manger.

Manuelle Pernoud présente une émission au «contenu toujours aussi pointu», selon son expression, et c’est probablement pourquoi elle a l’air d’être si contente d’elle-même. Elle a surtout l’impression que tout le monde la regarde. Du coup, quand elle découvre qu’elle n’est pas écoutée, elle prend la mine d’une institutrice sévère. Froissée par telle entreprise qui n’a pas répondu à ses rappels, vexée par telle marque qui n’a tenu aucun compte de la mauvaise note qu’elle lui a donnée…

«A bon entendeur» est très bien, il n’y a pas à dire. La seule chose dommage, c’est son sérieux de plomb. Or, même si elle l’est déjà d’une manière involontaire, l’émission pourrait être vraiment drôle. Il suffirait pour cela que la RTS vende son concept à des chaînes étrangères, qui adapteraient la formule à la sauce locale.

Il faut imaginer la gueule de certains sommaires. «A bon entendeur» Mexique: quel cartel fournit la meilleure cocaïne? «A bon entendeur» Corée du Nord: quelles sont les mines antipersonnel véritablement efficaces? «A bon entendeur» Nigeria: quel est le meilleur rapport qualité/prix d’un otage? «A bon entendeur» Cuba: pourquoi des tarifs du simple au triple, parmi les prostituées de La Havane, pour les mêmes services?

Aspect à ne pas négliger: l’émission perdrait immédiatement le côté tarte à la crème - voire double crème - qu’on lui connaît ici, mais n’y pensons pas! Il y a des limites à l’indécence. Même pour ce roi, pour ce dieu qu’est devenu le consommateur…