La Liberté

Les Soviets touchés par la glace

Grand écran • Signé Gabe Polsky, le film «Red army» retrace la saga de la grande équipe d’URSS. Et de ses hockeyeurs qu’on disait, ici à l’Ouest, choyés par leur régime...

Signé Gabe Polsky, le film «Red army» retrace la saga de la grande équipe d’URSS. © ARP Sélection
Signé Gabe Polsky, le film «Red army» retrace la saga de la grande équipe d’URSS. © ARP Sélection
Le film est encore mieux que ce que tout le monde en dit: impossible de le regarder sans avoir, ici ou là, la gorge qui se serre. © ARP Sélection
Le film est encore mieux que ce que tout le monde en dit: impossible de le regarder sans avoir, ici ou là, la gorge qui se serre. © ARP Sélection

Pascal Bertschy

Publié le 10.03.2015

Temps de lecture estimé : 5 minutes

On peut bien le dire aujourd’hui, le communisme a été une réussite. Il a fonctionné pendant près de trente ans. En hockey sur glace. Du milieu des années 1960 jusqu’en 1990, l’équipe nationale d’URSS a dominé et ébloui le monde. La grâce, la vitesse, l'imagination, le courage, l'élégance, la profondeur, l'équilibre, la force, l'ampleur collective, la Sbornaja avait tout ça. La seule chose que les joueurs n'avaient pas, en fait, c'était la joie de vivre. Sur ce point, ils avaient toutefois une excuse.

Cette saga, un jeune cinéaste américain nommé Gabe Polsky vient de la porter à l’écran. Son documentaire, visible dans plusieurs grandes villes du pays, s’intitule «Red Army». Le film est encore mieux que ce que tout le monde en dit: impossible de le regarder sans avoir, ici ou là, la gorge qui se serre.

L’empire rouge qui dévisse

Bien plus qu’un film sur le hockey soviétique, «Red Army» est une sorte de tableau de maître. Avec vue sur la guerre froide et la bataille idéologique qui faisaient rage, alors, dans la course à la conquête de l'espace et à la suprématie nucléaire comme dans le sport. Avec ça, la métaphore sur la chute de l'URSS est parfaite. On voit en arrière-plan un empire sombrer au ralenti.

On voit également dans le film un Fribourgeois, Andreï Khomutov, qui est évoqué au sujet d’un épisode douloureux. En camp d’entraînement, l’ailier avait eu l’audace de demander à l’entraîneur Viktor Tikhonov la permission de s’absenter pour se rendre au chevet de son père mourant. Réponse: niet. Allez, du balai, retourne t’entraîner!

L’apôtre dit son peu de foi

En voyant cette séquence, une autre anecdote m’est revenue en tête. Elle, je la tiens d’un ancien de Fribourg-Gottéron. Ce joueur était proche d’Andreï Khomutov, à Saint-Léonard, et il m’a raconté que le diamant russe lui a avoué un jour qu’il n’aimait pas le hockey. Le coéquipier en était resté comme deux ronds de flan. Même incompréhension que s’il avait entendu Jimi Hendrix lui expliquer qu’il n’aimait pas le rock...

Quand on a vu «Red Army», pourtant, cela se comprend. Le sport d’élite, en Union soviétique, était un goulag à peine amélioré. Jouer au sein de la Sbornaja et du CSKA Moscou, le club de l’Armée rouge, avait de quoi vous dégoûter du hockey. L’état de grâce, alors, était rouge. L’enfer aussi. Il était rouge comme ces visages qui pissaient le sang à l’entraînement, ou comme le feu qui clignotait sous le nez des champions désireux d’aller jouer à l’Ouest.

Une vie, ça? Un enfer, oui! Les joueurs vivaient en caserne onze mois par an, s’entraînaient à raison de quatre séances quotidiennes d'une intensité défiant les limites humaines.

Aujourd’hui en Suisse, dira-t-on, les hockeyeurs s’entraînent aussi onze ou douze mois par année. Oui, sauf qu’il leur est permis d’avoir à côté de ça une existence. Ils ne sont coupés ni de leur famille, ni du monde. Ne sont pas sous surveillance permanente du KGB. Ne se font pas tabasser par la police, ni dénoncer comme traîtres à la patrie s’ils souhaitent partir à l’étranger. Et ne sont pas traités en bêtes de cirque, comme le montre «Red Army» dans un saisissant montage parallèle avec des ours jouant au hockey en patins.

Du gardien Vladislav Tretiak au regretté Vladimir Krutov, qui témoigne en larmes, le film de Gabe Polsky fait défiler à l’écran les derniers des géants soviétiques. Le rôle principal revient cependant à Slava Fetisov, le plus grand des défenseurs russes. Le déserteur, aussi, à qui on a fait payer chèrement son départ en Amérique dans la foulée de la perestroïka chère à Gorbatchev.

A l’exception de la Série du siècle de 1972 contre le Canada, de rares titres mondiaux remportés par les héroïques rivaux tchécoslovaques, et de l’or olympique de 1980 raflé par une jeune équipe américaine survoltée, la Sbornaja a accumulé les triomphes. Sur la glace, ses joueurs semblaient pratiquer un autre sport que les autres. Leur art relevait tantôt du Bolchoï, tantôt de la partie d’échecs, ce qui n’était pas interdit par le règlement.

Tikhonov le tyran

Ces succès avaient un prix. Exorbitant! Viktor Tikhonov, le dictateur en chef, menait son monde d'une main de fer, instaurait un régime de terreur dans les rangs. Il n’y a guère qu’à Fribourg, un soir où des milliers de spectateurs l’avaient acclamé en pleine période Bykov-Khomutov, où on a vu ce tyran sourire. Vous avez dit monstre? Ma foi, Tikhonov fut de son siècle et de son camp. C'était lui ou le chaos, c'était ça ou laisser le champ libre à ces saletés de capitalistes. Pas de quartier! La guerre froide exigeait de se donner en tout les moyens de sa politique.

Ici, au temps de leurs triomphes, on devinait sans mal que les patineurs soviétiques faisaient plus de sacrifices que les autres. Mais, de ce côté du rideau du fer, tout le monde disait aussi qu’ils obtenaient leurs résultats pour être choyés par le régime communiste.

Là-dessus, «Red Army» se passe de sous-titres: il ne faut souhaiter à personne d’être dorloté de cette manière. 

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