La Liberté

Arbitre, comment fais-tu?

«Bienvenue au club!» • C'était un dimanche de foot, en deuxième ligue, où le FC Orbe recevait le FC Bex. Et où la connerie était également de la partie... 

 

PASCAL BERTSCHY

Publié le 15.04.2015

Temps de lecture estimé : 4 minutes

Arbitre de foot, certains dimanches, ça n'est pas une vie. Cette semaine, j’ai lu dans «20 minutes» l’histoire du match Orbe-Bex en deuxième ligue. Et j’ai essayé de me mettre deux secondes à la place de l’arbitre qui officiait...

Ce jour-là, la mauvaise humeur s’invite sur le terrain. La tension rôde, les injures fusent, la violence menace. Probablement pour un «sale négro» de trop, le gardien brésilien d’Orbe craque à la 77e minute. Coup de sang, crachats, agressions:  tu stoppes la partie sur fond de bataille rangée. 

Il y a là, je suppose, de quoi vous dégoûter des dimanches de foot. Et une bonne raison d’envoyer votre rapport en l’accompagnant de votre lettre de démission.

Après, l’arbitre de cette foire d’empoigne a probablement lu «20 minutes». Et ces propos du président du FC Bex, chagriné par cette affaire: «Avec 90% de joueurs d’ex-Yougoslavie, nous sommes aussi victimes de xénophobie chaque semaine. Je ne peux pas croire que mes gars aient dit de telles choses».

Amis dirigeants, courage!

La belle excuse! L’arbitre ne doute pas que ce président, comme tous les autres, soit dévoué corps et âme à son club. Mais ce ce qui lui ferait peut-être plaisir, parfois, c’est de voir un dirigeant trancher dans le vif.

Oui, le président qui ne passe rien à ses malveillants. Le genre: oh, toi pis toi, venez ici! Oui, président? Dites-moi, les gars, qu'est-ce que tu vous avez crié à ce gardien pour lui faire péter un câble? Ben on lui a dit sale négro de merde, président, parce que… 

Ecoutez-moi, les gars, vos propos montrent que vous vous êtes trompé de club et que votre place n'est pas ici. Vous prenez vos cliques, vos claques, et vous dégagez! Euh... maintenant, président? Voui messieurs, maintenant.

Les mots orduriers et racistes, si j’étais arbitre, je m’en foutrais. Ce qui m'épouvanterait, c’est la connerie. Cette connerie épaisse qui congestionne tout à coup le cerveau, et fait descendre le plafond cérébral à la hauteur du plancher.

Or avec la crétinerie, celle qui pousse un joueur à traiter un adversaire de «macaque», ou un entraîneur à hurler à un de ses gars «fauche-le!», comment fait-on?

Le racisme, le racisme, c'est bien joli...

Le racisme, lui, a ses avantages: on peut le repérer, le combattre, le sanctionner et même organiser de grandioses campagnes contre lui, à l'image des poètes de la FIFA qui ont plein d'argent à dépenser et plein de bons sentiments à exhiber. 

Mais la bêtise pure et dure, celle qui fige soudain les esprits, comment lui répliquer? On peut interdire le racisme, pas la connerie. Ni ces sombres idioties qui clapotent au fond d'une âme et peuvent exploser pour trois fois rien, sous les formes les plus diverses...

La bêtise est souterraine, c’est un ennemi qu’on voit rarement venir. Pas besoin d’expliquer cela à un arbitre: la connerie, sur une pelouse comme dans la vie, peut surgir à tout moment dans la partie. 

Cela dit, les arbitres sont bien placés pour voir le tableau dans son ensemble. Il est loin d'être moche. Allons, le football reste une des valeurs communes à des millions d'hommes. Il demeure ce jeu permettant à des tas de types très différents de tenir un même langage pendant nonante minutes.

Ces héros du dimanche, comment font-ils? 

Tout de même. Messieurs les arbitres en voient de toutes les couleurs, en entendent des vertes et des pas mûres. Et l’extraordinaire, week-end après week-end, c'est qu’ils y retournent.

Ces gens-là ne sont pas comme nous. Dans les petites ligues, pour endurer tous ces joueurs et ces spectateurs qui gueulent ou leur crient dessus, comment font-ils? 

Avant d'écrire cette chronique, j'ai posé la question à un arbitre que je connais. Tes collègues et toi, Pierre-Alain, de quel bois êtes-vous faits pour supporter tant de noms d'oiseau? 

Soupir de mon arbitre préféré: «Oh! moi j'ai l'habitude de me faire engueuler, je suis marié…»

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