La Liberté

Puck noir et sombres trajectoires

La chronique de Pascal Bertschy • Le drame survenu à la patinoire de Dunkerque, qui vient de coûter la vie au petit Hugo, serre le cœur. Et rappelle deux ou trois choses…

Le petit Hugo avait huit ans et sa mort accidentelle, le week-end dernier, a ému beaucoup de monde. Le drame a surtout dévasté une famille, à Dunkerque, et bouleversé toute une région. © Corsaires de Dunkerque
Le petit Hugo avait huit ans et sa mort accidentelle, le week-end dernier, a ému beaucoup de monde. Le drame a surtout dévasté une famille, à Dunkerque, et bouleversé toute une région. © Corsaires de Dunkerque
Publié le 05.11.2014

Temps de lecture estimé : 4 minutes

Maudit puck. Avec lui, sur les gradins des patinoires, on avait vu déjà pas mal choses. Des épaules meurtries, des visages ensanglantés, des nez fracturés, des femmes et des enfants apeurés. Mais quelqu'un qui perd la vie en suivant une partie de hockey, en Europe, ce n’était encore jamais arrivé.

Le petit Hugo avait huit ans et sa mort accidentelle, le week-end dernier, a ému beaucoup de monde. Le drame a surtout dévasté une famille, à Dunkerque, et bouleversé toute une région.

En Division 1, la ligue B française, Dunkerque affrontait Reims. A trois minutes et demie de la fin, le dégagement d'un Rémois a été dévié par un joueur nordiste. Le puck est parti en diagonale vers la tribune latérale et a frappé Hugo derrière l’oreille.

Difficile d’imaginer aussi affreux, aussi absurde. Votre garçon se trouve à la patinoire, tout heureux de voir jouer son équipe, et il en mourra quelques heures plus tard à l'hôpital. Cela remue les tripes, dépasse l'entendement.

Ce qui serre le cœur, aussi, c'est le portrait du jeune Hugo qui a été fait entre-temps par son petit monde à Dunkerque. Merveille de gosse, toujours le sourire. Le hockey, semble-t-il, lui paraissait une évidence. 

Quand Hugo n'y jouait pas lui-même, il soutenait ses bien-aimés Corsaires de Dunkerque. Avec ça, du haut de ses huit ans, sacré petit bonhomme: dans la vie, il avait eu déjà à combattre une leucémie. 

Si Hugo et les siens ont souvent occupé mes pensées, ces jours derniers, ce drame m'a remis en tête d'autres choses. La première, c'est l'âpreté de ce jeu. Le hockey a quelque chose de dur, de rocailleux, y compris parfois pour les spectateurs. 

Ainsi ai-je repensé à Brittanie Cecila, cette petite de 13 ans, mortellement touchée par un puck perdu alors qu’elle assistait en mars 2002 à un match de NHL entre Columbus et Calgary.

J'ai songé à mes camarades photographes et cameramen, qui travaillent au bord de la glace, et portent un casque ou bénéficient d'autres protections. Il ne s'agit pas d'un luxe.

Me suis souvenu de Mario Lemieux, le plus grand hockeyeur de l'histoire. Il prétendait en son temps que rien n'inquiétait plus les joueurs qu'une rondelle fusant dans le public.

Le public, j'y ai pensé aussi. Aujourd'hui, pour être distraits par mille choses, les spectateurs suivent les matches avec moins d'attention qu'autrefois. Problème: le jeu est plus rapide qu'avant et les tirs autrement plus puissants. 

Suivant la place qu'on occupe dans une patinoire, même si on est à Berne ou à Genève, on ne devrait jamais perdre la rondelle de vue. En clair, frères passionnés de hockey, prière d'être attentifs. 

En parlant de patinoires, j'ai pensé aux nouvelles qui s'ouvriront à Bienne, à Fribourg ou ailleurs.

Si leurs concepteurs ont tout prévu pour la sécurité du public, bravo! Et s'ils ont tenu à installer des baies vitrées aussi sur les côtés de la surface de glace, merci à eux!

Il y a encore cette histoire que je tiens de mon ami Georges Aeschlimann, celle d'un gentil couple qui assistait naguère à tous les matches du HC Bienne. Et puis, un soir, monsieur a reçu un puck en pleine figure. Voyant son mari saigner abondamment, madame a fait un malaise. 

Georges a revu cette dame bien des années plus tard, alors qu'elle était devenue âgée et que son mari avait quitté entre-temps ce monde. Elle lui a avoué qu'à partir de cet accident, elle a été hantée à chacune de ses nuits par l'image de ce puck frappant le visage de son époux.

Tiens, moins triste et plus personnel, j'ai repensé à mes années de jeune journaliste sportif. Il y avait cette équipe dont les joueurs s'exaspéraient de mes articles cassants. Un soir où je suivais leur entraînement depuis la bande, un gars m'a ajusté tandis que je regardais ailleurs. Pan!

Le sniper visait mal, par chance, et son tir m'a frappé en plein thorax. Vingt centimètres plus haut, et mon portrait en eû été rectifié. Probable alors que je n'aurais pas réussi, plus tard, à épouser cette femme qui m'a accompagné une fois à un match. Une fois, pas deux.

Elle a eu si peur de recevoir un puck, ce soir-là, qu'elle ne retournera jamais dans une patinoire. Et l'autre jour, elle m'a posé la question: avec ce qui vient d'arriver à ce pauvre enfant, est-ce que tu te moqueras encore de ma trouille des matches de hockey? Non, chaton, bien sûr que non.

Voilà les à-côtés dans lesquels m'a entraîné le drame de Dunkerque, tandis que mes pensées allaient obstinément à Hugo et à sa famille…

 

Articles les plus lus
La Liberté - Bd de Pérolles 42 / 1700 Fribourg
Tél: +41 26 426 44 11