A bientôt 42 ans, Chris Horner vient de gagner la Vuelta. C’est vieux, hein, 42 balais. Non, ne me dites pas le contraire: un athlète, à cet âge, n’est plus qu’un vieux poireau bon pour le compost. Et comme c’est ce que vous pensez, laissez-moi vous parler de mon ami Jo. Jo, c’est Georges Aeschlimann.

Le grand sportif par excellence, fou de vélo, infatigable marcheur et tout. Ancien joueur et dirigeant du HC Bienne, aussi, du glorieux Bienne qui a été trois fois champion. Il a eu pour père l’autre Georges Aeschlimann, le cycliste, qui fut le coéquipier de Koblet et de Kübler. De son côté, Jo a eu des fils hockeyeurs –  Jean-Jacques, Joël et Frank – tandis que son petit-fils Marc compte parmi les espoirs du HC Davos. Dois-je ajouter que le sport, chez les Aeschlimann, est une religion?

Religion ou pas, le sport ne vous met à l’abri de rien. Fin 2011, on diagnostique à Georges un cancer. Je l’entends encore m’annoncer la nouvelle. Humble et serein, il m’avait dit: «T’inquiète pas, je vais tout faire pour gagner ce match-là.» En 2012, il ne fait donc que ça, lutter contre l’adversaire. Adieu la vie sociale et les copains, bonjour l’hosto et la chimio. Je vous la fais courte, mais Jo s’est débrouillé pour ramener les trois points. Il a gagné la partie.

Aujourd’hui, quand on lui demande comment ça va, il est gêné de répondre. Pourquoi gêné? Parce qu’il s’est rarement aussi bien porté que maintenant, dit-il, et qu’il tient une forme olympique. Question posée l’autre jour au téléphone: mais à part ça, Jo, pourquoi tu es devenu si difficile à joindre? Tu as gagné à la loterie, tu as rencontré une blonde? Non, si je réponds rarement, c’est parce que je suis presque tout le temps à Granges. A Granges? Qu’est-ce tu fous à Granges? Ben je vais au vélodrome, tu sais, celui qu’a fait construire Andy Rhis, et c’est génial.

Qu’est-ce qui est génial? Je fais le guide pour les visites de groupe. J’ai un copain lui-même copain des administrateurs de Vélodrome Suisse, il leur a dit que je m’y connaissais un peu en vélo et c’est comme ça qu’on m’a demandé de m’occuper des visites. Et à côté de ça, je roule aussi...

Toi, Jo, tu fais de la piste? Ouais, ne m’en parle pas. A l’époque, quand je faisais du cyclisme sur route, on regardait les pistards de haut. Ces types tout fins portaient des maillots de soie et ne savaient pas ce qu’était de rouler sur une bosse ou sous la pluie. Pour nous, c'étaient des danseuses. Mais tout a changé et, d'ailleurs, regarde les deux derniers vainqueurs du Tour de France: Wiggins et Froome viennent de la piste.          

Jo aura 72 ans en novembre et tel est le cadeau que vient de lui faire la vie: elle a offert à ce cinglé de cyclisme un vélodrome de classe mondiale, où il est comme chez lui. Si vous allez le trouver à Granges, un de ces jours, il vous régalera. Pourquoi la piste est faite en bois de Sibérie, pourquoi ceci, pourquoi cela, il vous expliquera tout. Passion est son deuxième prénom. Au fait, Jo, tu roules souvent sur ton vélodrome? Tous les deux jours et à chaque fois, je fais une soixantaine de kilomètres.

Bravo, mais à force de tourner en rond, tu dois t’emmerder, non? Au contraire, une fois que je commence, je ne peux plus m’arrêter. C’est comme si j’entrais un autre monde. Et moi qui n’avais jamais fait de piste, j’ai l’impression de vivre un renouveau. Je suis le néophyte de la maison, tu comprends? Oui, Jo, je vois, tu es le petit débutant du coin. Tu es en somme un gamin, hein? Tu peux le dire, je suis un gamin.

Bon, revenons-en au début. Qu’est-ce qu’on disait? Que Chris Horner, fantastique vainqueur de la Vuelta, c’est Mathusalem? Maintenant que je vous ai mis sur la piste de Jo, ce néophyte de 72 ans, parlons sérieusement: le petit père Horner, avec ses 42 piges, vous le trouvez toujours vieux?