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Avant et après nous, le déluge!

Noyade - «L'humanité n'a plus besoin qu'un Dieu furibard déverse sur elle toutes les eaux du ciel: elle crée elle-même les conditions de sa perte», ou le déluge selon Jean Amman.

Le vieux Noé, avec ses gros bras à la Russell Crowe, s'est interposé et voilà le résultat. DR
Le vieux Noé, avec ses gros bras à la Russell Crowe, s'est interposé et voilà le résultat. DR

jean ammann

Publié le 21.04.2014

Temps de lecture estimé : 3 minutes

L’idée n’était pas mauvaise: se débarrasser de l’humanité sans attendre les catastrophes à venir, car comme le dit Anthony Hopkins, «l’homme a corrompu ce monde et l’a empli de violence, nous devons disparaître». D’un point de vue théorique, l’oscarisé Hopkins a raison: l’homme est un désastre qui n’a que trop duré. Cependant, je ne saurais critiquer le dessein originel du Créateur: c’était bien pensé, ce projet de façonner un primate surmonté d’un encéphale mahous. Allez savoir, peut-être que ce grand singe découvrirait un jour la pénicilline ou l’analgésique. C’était bien pensé, mais ça a foiré. Après quelques millénaires, selon la Bible, après quelques millions d’années, selon les paléontologues, il faut bien admettre que l’expérience humaine est un fiasco et le déluge était la seule solution. Hélas, Noé, avec ses gros bras à la Russel Crowe, s’est interposé et nous voilà surnageant dans la calamité.

Ce qui étonne, quand on regarde l’histoire de l’humanité, c’est la rareté du déluge: «Il n’y a que l’inutilité du premier déluge qui empêche Dieu d’en envoyer un second», a dit le merveilleux Chamfort. Dieu n’est pas persévérant. On dirait qu’il a baissé les bras, et les derniers tsunamis, parmi lesquels il faut ranger le printemps 2013 en Pays fribourgeois, trahissent un manque certain de conviction.

Ce ne sont pourtant pas les raisons qui manquent. En voulez-vous quelques-unes? La guerre du feu, la guerre entre Lagash et Umma, la guerre de Troie, la première guerre punique, la deuxième guerre punique, la troisième guerre punique, la guerre des Gaules, la première guerre de Cent Ans qui dura 140 ans, la deuxième guerre de Cent Ans qui dura 116 ans, la Terreur, la guerre de 14, la guerre de 39, le génocide arménien, l’holocauste, les purges de Lénine, les purges de Staline, la Révolution culturelle, les purges de Pol Pot, Sabra et Chatila, le génocide rwandais, l’esclavage des enfants, le pillage de la terre, l’extermination du monde animal puisque nous sommes responsables de la sixième extinction de masse, qui fait regretter à la Terre le bon vieux temps où les astéroïdes nous visitaient du côté du Yucatan.

Certains rétorquent: oui, mais l’humanité, c’est aussi la pensée, l’art, la littérature, la chapelle Sixtine, la Passion selon saint Matthieu, les Pensées de Pascal et celles de Desproges, comme s’il fallait trouver une excuse à ce cerveau qui engendra Nagasaki et «la solution finale». Excusez-moi, mais les plateaux de la balance ne sont pas très équilibrés: Auschwitz d’un côté, Hiroshima, mon amour de l’autre. Les deux supplices ne se valent pas.

Au terme d’un bel effort d’émancipation, l’humanité n’a plus besoin qu’un Dieu furibard déverse sur elle toutes les eaux du ciel: elle crée elle-même les conditions de sa perte. Par exemple, selon l’Organisation mondiale de la santé, la pollution de l’air a tué 7 millions de personnes en 2012. En quelques millénaires, nous sommes passés de l’Apocalypse au suicide. On appelle ça le progrès. I

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