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«Une machine à faire de l’argent»

Compétition au FIFF • Dans «Gonzáles», un film noir en hommage à Scorsese, Christian Diaz Pardo dénonce les pratiques mafieuses et manipulatrices des églises néo-évangéliques au Mexique.

Christian Diaz Pardo, réalisateur de «González», long métrage de la compétition. © Charly Rappo
Christian Diaz Pardo, réalisateur de «González», long métrage de la compétition. © Charly Rappo
Christian Diaz Pardo utilise les codes du polar pour dénoncer l’idéologie des sectes. © Charly Rappo
Christian Diaz Pardo utilise les codes du polar pour dénoncer l’idéologie des sectes. © Charly Rappo
«González», réalisé par Christian Diaz Pardo. © DR
«González», réalisé par Christian Diaz Pardo. © DR

Eric Steiner

Publié le 24.03.2015

Temps de lecture estimé : 6 minutes

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Chômeur harcelé par sa banque qui lui réclame jour et nuit le remboursement de sa dette, Gonzáles vit à Mexico City avec sa télévision à écran plat pour seule compagnie. En désespoir de cause, il postule pour un emploi dans un centre d’appels d’une église néo-évangélique. Là il découvre une redoutable organisation qui extorque un maximum d’argent à des personnes pauvres et désespérées. Fasciné par ces pratiques, il rêve de devenir lui aussi pasteur…

Le réalisateur chilien Christian Diaz Pardo utilise brillamment les codes du polar pour dénoncer des pratiques sectaires qui trouvent un terreau fertile dans un Mexique miné par la violence et la pauvreté. Entretien avec un cinéaste passionné de films noirs qui dédie ce premier long-métrage à Martin Scorsese.

- Comment vous est venue l’idée de faire un film autour des pratiques des églises néo-évangéliques?

Durant mes études de cinéma, une collègue de classe m’a dit qu’elle s’était rendue dans une de ces églises et qu’elle avait naïvement demandé si elle pouvait filmer quelques images pour un exercice de documentaire. Après s’être fait sèchement expulser, elle s’est rendu compte que des gens étranges, avec des lunettes noires, la suivaient dans la rue. Cette anecdote m’a incité à m’intéresser à ce sujet et je me suis rendu compte qu’on avait affaire à une véritable mafia. J’ai découvert sur internet qu’ils étaient accusés de fraude, de blanchiment d’argent, etc.

- Pourquoi le pasteur dans votre film est-il brésilien?

Parce que ces gens viennent du Brésil où ils ont un pouvoir considérable. Par exemple, ils possèdent le deuxième plus grand réseau de télévision du pays, ils ont leur propre parti politique et ils se sont répandus à travers toute l’Amérique latine, jusqu’en Amérique du Nord.

- Les scènes de culte dans votre film sont impressionnantes de réalisme. Etes-vous allés vous-mêmes à ce genre de réunions pour comprendre comment cela fonctionne?

Oui, avec un des acteurs. Mais nous avons dû nous déguiser pour ne pas nous faire repérer, mettre des vieux souliers et des habits défraîchis, car les personnes qui vont à ces réunions sont de condition très modeste. Et même si j’avais déjà vu des images sur YouTube, j’ai vraiment été choqué. Ces gens fonctionnent comme une machine. Ils vous demandent de l’argent toutes les cinq minutes: pour le journal de l’église, pour la publicité à la télévision, pour distribuer des Bibles dans les prisons, etc. Tout fonctionne autour de l’argent et autour d’une philosophie de la prospérité. Pour réussir il faut donner à Dieu et Dieu vous le rendra…

- Pourquoi raconter cette histoire à la façon d’un film noir?

Je suis un fan de films noirs et dès le début je voulais que le personnage soit un antihéros, un gars plutôt antipathique, comme on les trouve par exemple chez Martin Scorsese que j’adore et auquel je rends hommage à travers de nombreuses citations, notamment à «Taxi Driver» ou «The King of Comedy».

- Les deux acteurs principaux sont fabuleux et tous deux sont très connus. Comment avez-vous réussi à les engager?

Quand j’écrivais le scénario j’avais tout le temps en tête Harold Torres comme interprète. Lorsque nous l’avons contacté, il a tout de suite été enthousiasmé par le sujet et il est devenu le premier fan du film. Mais pour jouer le rôle du pasteur, je n’avais pas d’idée, je pensais éventuellement faire un casting pour trouver un acteur brésilien. Finalement c’est Harold Torres qui m’a convaincu de proposer le rôle à Carlos Bardem, avec lequel il venait de tourner un autre film. Et lorsque je l’ai rencontré, Carlos m’a avoué que ça faisait partie des quelques personnages qu’il a toujours rêvé d’interpréter. Et il m’a aussitôt incité à regarder «Elmer Gantry» de Richard Brooks, avec Burt Lancaster dans un rôle semblable de pasteur menteur et manipulateur…

- Votre film peut paraître choquant, parce qu’il nous montre un personnage qui devient un criminel et qui réussit à s’en sortir…

Depuis le début je voulais montrer un personnage que l’on puisse haïr et aimer en même temps. Et je crois que c’est ce qui se passe quand on voit le film: Gonzáles a des problèmes que tout le monde peut avoir. Ce n’est peut-être pas le cas en Europe, mais en Amérique du Sud vous êtes harcelé par les banques qui vous appellent à 2 heures du matin pour vous demander quand vous allez les rembourser. Et quand vous avez trouvé un petit boulot, vous devez vous battre parfois des mois pour être payé. Chacun peut ressentir de genre de choses…

- Il se dégage du film une impression de violence sous-jacente qui finit par exploser, mais aussi un terrible sentiment de solitude. Cela correspond-il à une réalité?

Il y a beaucoup de films mexicains sur la violence des narcotrafiquants, sur tous les crimes qui ont lieu sans cesse, mais il y a aussi la violence des rapports sociaux que l’on peut ressentir au quotidien, et c’est de cela que je voulais parler. Quant à la solitude, c’est quelque chose que j’ai senti moi-même très fortement lorsque je suis arrivé à Mexico, qui est une ville gigantesque de 20 millions d’habitants. Je ne connaissais absolument personne, je vivais en solitaire un peu comme le personnage de mon film.

- Le film a-t-il été distribué au Mexique?

Oui, il est sorti il y a trois semaines et il est toujours à l’affiche. Il suscite beaucoup de discussions, certains me disent que je vais brûler en enfer, d’autres me félicitent de dénoncer cette bande de voleurs…

> Me 19h45 Cap’Ciné 1; je 13 h Rex 1.

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