«Nous sommes pleins d’espoir»

Compétition • Avec «Hair», le réalisateur iranien Mahmoud Ghaffari signe une tragi-comédie bouleversante sur trois sportives interdites de compétition. Interview.

Commencé sur le ton de la comédie, «Hair» se conclut dans la rage et les larmes. © DR
Commencé sur le ton de la comédie, «Hair» se conclut dans la rage et les larmes. © DR

Eric Steiner

Publié le 15.03.2016

Temps de lecture estimé : 6 minutes

Trois ans après «It’s a Dream», un thriller haletant sur une jeune femme qui tente de se dépêtrer d’une lourde dette, le réalisateur iranien Mahmoud Ghaffari est de retour en compétition à Fribourg avec un autre film choc présenté en première mondiale. Dans «Hair», il raconte le parcours rocambolesque de trois championnes de karaté sourdes qui tentent de convaincre les autorités de les laisser participer aux championnats du monde en Allemagne. Commencée sur le ton de la comédie, cette odyssée kafkaïenne dans les labyrinthes de l’administration se conclut dans la rage et les larmes à travers une scène bouleversante, symbole de toutes les frustrations accumulées par une jeunesse avide de changement. Volubile, souriant et détendu, Mahmoud Ghaffari nous parle de son film via Skype avec une étonnante franchise, confiant dans l’évolution positive de son pays.



- Quelle est l’origine de ce film?

Il est basé sur des faits réels. J’ai vu dans les journaux la photographie de ces trois filles qui n’ont pas pu concourir uniquement pour une question liée au voile islamique. Tout à la fin du film, je montre d’ailleurs l’image de ces trois sportives qui sont vraiment passées par là. C’est un problème récurrent qui n’a toujours pas trouvé de solution et j’ai considéré que c’était mon devoir en tant que cinéaste de refléter cette réalité. Je me considère comme un réalisateur social et j’ai voulu que mon film soit le plus proche possible de la réalité.

- Pourquoi avoir choisi des interprètes non professionnelles, de surcroît malentendantes?

En Iran, le contact entre le pouvoir et ceux qui y sont soumis est à sens unique, nous ne faisons que subir. J’ai trouvé que c’était intéressant d’utiliser des actrices malentendantes dans la mesure où cela symbolise cette incompréhension. Moi-même après avoir choisi, avec beaucoup de difficultés, ces trois jeunes femmes, j’ai eu énormément de peine à établir un contact avec elles. Donc pendant un mois nous sommes sortis ensemble, nous nous sommes amusés, nous avons été au restaurant. De plus, je suis plus à l’aise avec des acteurs non professionnels et j’aurais eu beaucoup de peine à trouver des professionnelles prêtes à accepter un pareil rôle.

- Comment s’est déroulé le tournage? On a l’impression que vous avez dû travailler à la sauvette, comme la plupart des cinéastes iraniens indépendants?

En Iran, on a toujours un double souci quand on commence à filmer: le premier, c’est que le film peut s’arrêter à tout moment, soit à cause du gouvernement, soit à cause des protagonistes qui peuvent vous lâcher. Je vous expliquerai peut-être un jour comment nous procédons pour organiser un tel tournage, mais pour le moment je préfère rester discret.

»Ce qui est amusant, c’est que comme je suis barbu, les gens ne pensent pas tout de suite que je suis en train de filmer sans autorisation. Cela m’a par exemple permis de tourner la scène où les filles achètent un drapeau iranien dans un magasin de Téhéran qui est le plus grand centre commercial d’Iran pour les articles religieux. Quoi qu’il en soit, quand un tel film est terminé, il finit directement dans les archives, il ne passera jamais sur les écrans. D’ailleurs je n’avais pas l’intention de le montrer et je me suis finalement laissé convaincre par Thierry Jobin de le présenter à Fribourg.

- Qu’est-ce qui vous a fait changer d’avis?

Vous savez, la situation en Iran change à chaque seconde. Il y a deux ans, j’aurais eu beaucoup de problèmes en laissant projeter ce film. Là je suis en train de vous parler assis sur une place de Téhéran grâce à internet. C’est aussi grâce à internet que les récentes élections ont débouché sur les résultats que vous connaissez sans doute. J’ai donc eu l’impression que le moment était venu de sortir ce film. Et je suis confiant que l’année prochaine la situation sera encore meilleure.

- Les jeunes femmes sont en contact avec des animaux avec lesquels elles communiquent bien mieux qu’avec les hommes. Qu’est-ce qui vous a donné l’idée de ces scènes apparemment hors sujet?

Elles sont symboliques parce qu’effectivement les jeunes filles parviennent à avoir avec un contact avec ces chevaux ou ces chiens alors que dans la société il n’y a personne qui veuille les entendre. Dans notre religion, les animaux ont aussi un statut de victimes: on n’a pas le droit de posséder un chien par exemple. Je n’essaie pas de tout politiser, comprenez-moi bien, mais je veux montrer que ces personnes souffrant d’un handicap et ces animaux ont des problèmes en commun.

- Vous brisez un tabou en montrant les cheveux de votre actrice et par ailleurs, la dernière scène, qu’on ne dévoilera pas, témoigne d’une violence et d’une colère extrêmes…

Oui, nous avons osé dépasser cette ligne rouge. L’actrice était parfaitement consciente des risques qu’elle prenait mais elle a décidé d’aller jusqu’au bout, bien au-delà de ce que j’attendais d’elle, avec une violence qui répondait à ma propre violence, à la rage que j’avais accumulée notamment suite à l’interdiction d’un de mes films précédents. Mais je dois vous dire qu’aujourd’hui nous autres, représentants de la nouvelle génération, nous sommes pleins d’espoir parce que nous faisons des films non seulement pour nous-mêmes, mais pour tout un chacun. Nous savons que nous pouvons faire changer les choses de l’intérieur et les faire évoluer vers le meilleur et c’est effectivement ce qui se produit. I

>  Ma 15 h45 Arena 1, me 12 h45 Rex 1, ve 18h15 Arena 1.

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