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Iran - Israël: pourquoi tant de haine?

Moyen-Orient • Depuis la révolution islamique, Téhéran et Jérusalem passent pour les pires ennemis. Pourquoi une telle animosité alors que leur collaboration était étroite auparavant? L’avis du professeur Ilan Greilsammer.

On les qualifie volontiers de «meilleurs ennemis du monde». L’expression n’est pas exagérée, s’agissant de l’Iran et d’Israël. © Keystone
On les qualifie volontiers de «meilleurs ennemis du monde». L’expression n’est pas exagérée, s’agissant de l’Iran et d’Israël. © Keystone
En 2012, à la tribune de l’ONU à New Yo rk, le premier ministre israélien Benyamin Netanyahou avait tracé la «ligne rouge» à ne pas franchir par l’Iran. © Keystone
En 2012, à la tribune de l’ONU à New Yo rk, le premier ministre israélien Benyamin Netanyahou avait tracé la «ligne rouge» à ne pas franchir par l’Iran. © Keystone

Propos recueillis par Pascal Fleury

Publié le 05.06.2015

Temps de lecture estimé : 10 minutes

On les qualifie volontiers de «meilleurs ennemis du monde». L’expression n’est pas exagérée, s’agissant de l’Iran et d’Israël. Depuis la révolution islamique de 1979, une crispation viscérale bloque toute relation entre les deux Etats, qui alimentent leur querelle chronique à coups de déclarations incendiaires et de menaces redoutables.

Dernière pierre d’achoppement, l’épineux dossier du nucléaire iranien - qui devrait normalement déboucher sur un accord international d’ici la date-butoir du 30 juin - a été l’occasion de nouvelles joutes verbales outrancières le mois dernier. Le général iranien Yahya Rahim Safavi a ainsi brandi la menace de 80'000 missiles en cas d’agression israélienne, tandis que le ministre israélien de la Défense Moshe Yaalon donnait l’exemple d’Hiroshima et de Nagasaki comme «mesure» possible pour garantir la sécurité d’Israël.

Mais pourquoi tant de haine, alors que l’Iran a été le deuxième Etat à majorité musulmane à reconnaître l’Etat d’Israël - considéré alors comme son meilleur ami non musulman - et que Jérusalem, pour sa part, a longuement coopéré avec Téhéran à l’époque du shah Mohammad Reza Pahlavi? Les explications du politologue franco-israélien Ilan Greilsammer, professeur de sciences politiques à l’Université Bar-Ilan à Tel-Aviv, qui était récemment de passage à Fribourg à l’invitation du professeur d’histoire contemporaine Benoît Challand.

- Au Moyen-Orient, Israël et l’Iran passent pour les pires ennemis. Pourquoi tant de haine?

Ilan Greilsammer: En fait, il n’y a pas de haine historique entre Israël et l’Iran. Au contraire! Les juifs ont une très longue tradition de présence en Iran, avec une culture juive persane de grande valeur. Après la création de l’Etat d’Israël, des relations extrêmement étroites se sont nouées entre les deux Etats, sur tous les plans et en particulier le militaire. Jusqu’à la Révolution khomeyniste, les relations entre Israël et l’Iran ont été excellentes. Les tensions sont nées après la révolution iranienne, lorsque l’islamisme radical a pris le pouvoir en Iran. Cet islamisme radical version chiite a considéré les Etats-Unis et Israël comme les ennemis de l’humanité, les associant à l’empire du mal.

- Les coopérants israéliens ont dû fuir d’Iran en toute urgence. Comment les antagonismes se sont-ils alors développés?

Premièrement, les ayatollahs se sont entièrement solidarisés avec la cause palestinienne. L’Iran a été beaucoup plus loin que les pays arabes, soutenant les mouvements terroristes radicaux qui ont œuvré contre Israël. Deuxièmement, il y a eu des appels à rayer Israël de la carte. Le troisième point, c’est l’antisémitisme. Récemment, l’Iran a encore organisé une conférence négationniste, dont l’objectif était de montrer que l’Holocauste n’avait pas eu lieu, ou du moins pas dans les dimensions communément reconnues. Enfin, à cela s’ajoute la volonté de l’Iran de se doter de l’arme atomique. Ce cocktail explosif inquiète les Israéliens et beaucoup de gens dans le monde.

- Malgré le changement d’attitude de l’Iran, Israël a continué de lui fournir énormément d’armement pendant la guerre Iran-Irak, par l’intermédiaire des Etats-Unis, ce qu’a révélé le scandale de l’Irangate. Comment comprendre cela?

Selon moi, cela n’a pas été une politique gouvernementale ou endossée par le gouvernement. Ce qui est vrai, c’est qu’il y a eu des hauts militaires et des techniciens israéliens qui se sont reconvertis dans la vente d’armes à des régimes souvent peu recommandables. Cela en infraction à la loi israélienne qui interdit toute vente d’armements militaires à des Etats ennemis comme l’Iran. Mais on sait qu’il y a, comme dans tous les pays, des gens peu scrupuleux qui vendent des armes. Certains d’entre eux ont été jugés pour cela en Israël.

- Concernant la défense de la cause palestinienne, l’Iran cherche-t-il à prendre la place des pays arabes?

Il est vrai que les pays arabes ont évolué vers une acceptation d’Israël sous conditions, alors que l’Iran reflète toujours la position adoptée par les Etats arabes pendant de longues années après la création d’Israël, à savoir qu’il faudrait supprimer purement et simplement l’Etat juif. C’est donc un peu le remplacement d’un ennemi par un autre. C’est triste, parce que pour sa part, Israël n’a rien contre le peuple iranien, un peuple hautement performant et cultivé. Le problème vient du guide suprême Ali Khamenei, du gouvernement et des ayatollahs qui multiplient les déclarations incendiaires à l’égard d’Israël.

- Les attaques verbales contre Israël sont bien connues. Mais du côté israélien, on a aussi entendu des menaces de guerre, en particulier sous Sharon, dans le cadre du projet d’armement nucléaire iranien…

Oui, mais ces menaces ne sont pas du tout comparables. Car d’un côté, ce qui a été proclamé, surtout à l’époque du président Mahmoud Ahmadinejad, moins avec le président actuel Hassan Rohani, c’est une volonté de rayer Israël de la carte et de «jeter les juifs à la mer». Une sorte d’anéantissement total. En revanche, lorsque Israël parle - et il en parle toujours - d’une possibilité d’attaque sur des sites nucléaires en Iran, il ne s’agit pas de détruire l’Iran ni d’exterminer sa population, mais seulement de viser des installations nucléaires iraniennes. Actuellement, les Etats-Unis, dans une politique de rapprochement, négocient avec l’Iran pour trouver un accord sur le nucléaire. Israël est certes très critique mais n’attaquerait pas les sites iraniens sans l’aval des Etats-Unis.

- Si un accord international est trouvé sur le nucléaire iranien, Israël va-t-il l’applaudir?

En Israël, on observe une vive critique contre l’accord qui est censé être conclu fin juin. Les opposants à ces négociations reprochent aux Etats-Unis d’être naïfs, de se laisser rouler dans la farine. Le premier ministre Benyamin Netanyahou a essayé de mobiliser le Congrès américain contre cet accord, mais il reste que la diplomatie est menée par le président Obama. Je ne vois pas ce qu’Israël pourrait faire pour empêcher cet accord, mis à part une déclaration critique publique. I

> Voir le documentaire «Iran-Israël - Avant la révolution», dimanche, RTS 2.

> Ecouter la série d’émissions de RTS-La Première «Iran: politique, révolutions et voisinage» sur www.histoirevivante.ch

 

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Relations cordiales au temps du shah

A l’époque du shah, les relations étaient très cordiales entre l’Iran et Israël. Des milliers d’Israéliens vivaient d’ailleurs à Téhéran où ils étaient reçus à bras ouverts comme coopérants techniques ou militaires, vivant dans la douceur et le luxe, du fait de leur relation privilégiée avec le Shah et sa dictature. «Nous vivions dans une bulle», raconte un ancien coopérant dans le documentaire «Iran-Israël - Avant la révolution», de Dan Shadur, à voir ce dimanche sur RTS 2.

Les Israéliens participaient à la modernisation du pays - ils ont construit le plus grand barrage d’Iran -, et fournissaient une expertise militaire. Ils vendaient aussi des armes au shah, qui admirait Israël en raison de ses succès militaires, comme la guerre des Six Jours en 1967 contre l’Egypte, la Jordanie et la Syrie. Même les services secrets du Mossad et de la Savak collaboraient.

Pour le professeur de sciences politiques Ilan Greilsammer, il ne faut pas pour autant se réjouir aujourd’hui de cette étroite collaboration d’avant la révolution islamique: «Nous savons que le régime du shah était un régime dictatorial de la pire espèce. Israël aurait dû privilégier ses relations avec des régimes démocratiques. Mais d’un autre côté, on parle d’une époque où Israël était extrêmement isolé au Moyen-Orient. Toute amitié, tout soutien d’autres Etats était alors le bienvenu. C’était le cas avec le shah d’Iran.» PFY

 

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Joutes verbales

Après les années de collaboration étroite entre l’Iran et Israël sous le régime du shah, la révolution islamique de 1979 a imposé un changement de ton drastique entre les deux Etats. Ainsi l’ayatollah Ruhollah Khomeini, fondateur de la République islamique d’Iran, exhortait déjà la population à manifester contre les Etats-Unis et Israël, qualifiant les Etats-Unis de «Grand Satan» et appelant à détruire Israël. Citant le charismatique guide de la révolution, l’ancien président Mahmoud Ahmadinejad a souligné en 2005 que «ce régime qui occupe Jérusalem doit disparaître de la page du temps». Ses propos antisémites, traduits par l’expression approximative «Israël doit être rayé de la carte», ont été condamnés par la plupart des gouvernements occidentaux.

Pareil langage menaçant n’est cependant pas propre à l’Iran. En 2006, le vice-premier ministre israélien Shimon Peres a par exemple repris la balle au bond dans un entretien accordé à l’agence Reuters, affirmant que «le président iranien doit savoir que l’Iran peut aussi être rayé de la carte». Rappelons qu’Israël serait l’unique détenteur de l’arme nucléaire dans la région, un atout que brandissent régulièrement les Israéliens. PFY

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