La Liberté

Le mur n’est pas complètement tombé

Berlin • Vingt-cinq ans après la chute du mur de Berlin, de nombreuses disparités subsistent entre les deux Allemagnes. L’exode de l’Est vers l’Ouest a ralenti, mais le redressement économique prendra encore des années.

Pascal Fleury

Publié le 24.10.2014

Temps de lecture estimé : 10 minutes

Entre 1500 et 2000 milliards d’euros ont été investis dans l’ex-Allemagne de l’Est depuis la Réunification, notamment dans le cadre du «Pacte de solidarité». Cet effort considérable porte aujourd’hui ses fruits: les nouveaux Länder bénéficient d’une meilleure qualité de vie, d’infrastructures et de transports modernes, d’un environnement dépollué, d’une économie plus performante et de centres de recherche de pointe.

Les Allemands de l’Est se disent d’ailleurs satisfaits de l’unification, à en coire un récent sondage de l’institut Infratest Dimap: 75% d’entre eux y trouvent davantage d’effets positifs que négatifs, contre seulement 48% des Allemands de l’Ouest. A l’Est, les plus enthousiastes sont les jeunes de moins de 29 ans.

Disparités économiques

Des «écarts notables» persistent toutefois entre l’Est et l’Ouest, affirme Iris Gleicke, responsable gouvernementale en charge des nouveaux Länder. Elle l’a souligné le mois dernier à l’occasion de la présentation du rapport annuel sur l’état de l’unité allemande.

Ainsi, le PNB par habitant dans les nouveaux Länder n’équivaut qu’aux deux tiers de celui de l’Ouest. En 2013, il était de 23'585 euros contre 35'391 euros à l’Ouest. «Le manque de grandes entreprises continue d’être un facteur expliquant la faiblesse de la productivité», note Iris Gleicke. Il y a tout de même progrès, si l’on sait qu’en 1991, le PNB par habitant des Länder de l’Est ne représentait qu’un tiers de celui de l’Ouest.

Symptomatique des progrès accomplis en 25 ans à l’Est, l’hémorragie démographique des jeunes et des personnes qualifiées s’est arrêtée. En 2013, les nouveaux Länder ont même enregistré plus d’installations que de départs. Un bémol toutefois: si les régions à l’économie dynamique et les villes universitaires attirent du monde, les zones rurales continuent de subir l’exode de leur population.

Cette tendance globalement positive s’explique en partie par l’émergence à l’Est de pôles de recherche et d’innovation de pointe, dont la renommée est internationale. De Dresde à Leipzig en passant par Berlin ou Iena, la recherche dans les nouveaux Länder n’a rien à envier ni à celle de l’Ouest de l’Allemagne, ni même à celle du reste du monde, note le rapport annuel sur l’état de l’unité allemande.

Reste que le décollage économique des nouveaux Länder est plus lent: selon une enquête de l’institut Ifo, «l’économie de l’ex-République démocratique allemande (RDA) a certes enregistré une croissance de 20% mais celle de l’ancienne République fédérale d’Allemagne (RFA) a été de 27% entre 1995 et 2013».

Davantage de chômage

Les disparités se mesurent également au seuil de pauvreté. Selon des statistiques gouvernementales publiées mercredi par «Die Zeit», les Est-Allemands accusent le plus haut «risque de pauvreté» du pays, mis à part leurs voisins de Brême. Et si le taux de chômage des nouveaux Länder a atteint en 2013 son niveau plancher depuis la Réunification, il reste «beaucoup trop haut» dans les Etats de Brandebourg, Mecklembourg-Poméranie-Occidentale, Thuringe, Saxe et Saxe-Anhalt, avec un taux de 10,3% contre 6% à l’Ouest. L’ex-Allemagne de l’Est se montre en revanche plus efficace dans certains domaines sociaux, comme l’accueil préscolaire ou les campagnes de vaccination.

Impossible enfin d’évoquer les disparités entre l’Est et l’Ouest sans parler de sport. Alors que les clubs allemands comme Bayern Munich ou Borussia Dortmund brillent au firmament du football européen, l’Est reste le parent pauvre du pays. A regarder le classement des clubs évoluant en Bundesliga, on finirait par croire que l’ex-RDA et ses 16 millions d’habitants n’appartiennent toujours pas à l’Allemagne, 25 ans après la Réunification. Parmi les 18 clubs de première division, aucun n’est de l’Est! Depuis que Cottbus est descendu en deuxième division en 2009, plus aucune équipe orientale n’a évolué dans l’élite.

Champion d’Allemagne?

Aujourd’hui, toutefois, les regards se tournent vers le RB Leipzig, soutenu à coups de millions par le géant Red Bull. Installé en haut de tableau de la 2e division allemande, il est le candidat le plus sérieux à la montée dans l’élite. Dans un entretien accordé cet été, le patron de Red Bull, l’Autrichien Dietrich Mateschitz, évoquait même un futur titre de champion d’Allemagne! Si son vœu se réalise, le «mur de la honte» sera alors vraiment entièrement tombé…

Avec ATS/SI/AFP

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L’Est-Allemand de la photo était Français!

Jeudi 9 novembre 1989: crête, cuir et jeans, un acharné entame le mur de Berlin à coups de marteau. Il n’est pas Est-Allemand, comme l’ont cru les médias du monde entier qui ont repris sa photo, mais Français! Les images qui restent de la chute du mur: flots d’Allemands de l’Est qui se pressent aux check points, files interrompues de Trabant et coups de marteau, de burin, de masse puis enfin les bulldozers pour abattre la barrière qui sépare la ville en deux.

Laurent est parmi les premiers à se hisser en haut des 3,50 m du mur à la porte de Brandebourg, très vite rejoint par une foule incrédule. «On ne savait pas ce qu’il y avait de l’autre côté. Peut-être qu’on allait se faire tirer dessus. Ce truc était là depuis 30 ans et il faisait peur à tout le monde. A un moment, ils ont utilisé le canon à eau pour faire descendre tout le monde, mais tout s’est bien passé.»

Laurent est venu à la porte de Brandebourg «pour voir ce qui se passe à l’endroit le plus symbolique de la ville». Sur un chantier, en passant, il a pris un marteau «au cas où il y aurait eu des problèmes avec la police est-allemande, raconte-t-il, et aussi pour me ramener un souvenir».

Quand il arrive vers 23 h, la frontière est ouverte depuis une heure et demie à Bornholmer Strasse mais pas encore dans le reste de la ville. Progressivement, tous les postes-frontières céderont dans la nuit. Ceux de l’Est affluent en masse. C’est déjà la fête, mais personne n’y croit.

«Là-haut, il y avait déjà quelques personnes qui essayaient d’entamer le béton. Mais ils s’y prenaient vraiment n’importe comment. Ils tapaient à plat sur le haut du mur. J’ai sorti mon marteau et je leur ai montré comment faire.» Tailleur de pierre, sa technique est efficace. A genoux, comme en transe, il détache de longs morceaux. Ceux qui sont au-dessous récupèrent ces premiers fragments. Il s’en garde quelques-uns. Entraîné par la foule, il entame le mur sur une trentaine de mètres. Une aubaine pour les quelques photographes qui sont là.

Sans le savoir, Laurent vient d’entrer dans l’histoire. Un photographe de DPA, la principale agence de photo allemande, l’immortalise une première fois. Quelques minutes plus tard, David Burnett, une star du photojournalisme, fait une version couleur pour «Time magazine». L’image de Laurent fera le tour du monde.

Le lundi matin, sa photo est dans tous les kiosques à journaux. «Bunte» en a fait sa une. L’hebdomadaire allemand est un des plus gros tirages de l’époque. «On se foutait de ma gueule au boulot. J’ai fait profil bas pendant un moment…» L’Agence France-Presse distribue la photo en France. «Libération» la publie en pleine page et la presse régionale l’utilise largement. «Les Allemands de l’Est portaient des jeans bon marché, comme moi ce soir-là. Alors, on m’a pris pour l’un d’entre eux.» Certains journaux n’hésitent pas à inventer une interview qui n’a jamais eu lieu. «Un jeune Allemand de l’Est entame le mur à la porte de Brandebourg», légendait un quotidien local.

Depuis, on trouve la photo dans les livres d’histoire, dont l’imposante «Chronik der Deutschen», cette encyclopédie des grandes dates de l’Allemagne. Les îles Saint-Martin dans les Caraïbes l’ont même utilisée sur un timbre, mettant Laurent côte à côte avec Helmut Kohl. Mais impossible de retrouver le nom du photographe. L’agence DPA aurait même perdu le cliché, pourtant utilisé jusqu’en 2009.

Laurent avait 30 ans en 1989, presque l’âge du mur. De Tours, il était venu à Berlin cinq ans avant pour le mode de vie alternatif, les squats et le punk. Avant 1989, avec ses immenses friches industrielles, ses espaces déserts et la dispense de service militaire obligatoire pour les résidents, Berlin-Ouest attirait tous les antimilitaristes, hippies, punks, gauchistes, artistes… Et Laurent est un punk.

«La ville n’a pas vraiment évolué comme je le souhaitais. Elle est beaucoup plus dure aujourd’hui. Il y a une certaine ironie à ce que ce soit moi qui aie participé à tout cela», livre-t-il avec une certaine amertume. «On ne peut pas regretter ce qui s’est passé, mais pour moi, les bonnes années, c’était avant.»

Aujourd’hui artiste - il crée des œuvres à partir de matériaux de récupération -, Laurent habite toujours dans le quartier de Wedding (ancien secteur ouest). Les squats ont tous fermé, se sont transformés en galerie, en bar bobo ou en loft. Les anciens jardins ouvriers turcs des terrains vagues au pied du mur se vendent une fortune aux promoteurs. En septembre dernier, le Tacheles, le plus grand squat artistique de la ville, en plein centre, a été vendu pour 150 millions d’euros à des investisseurs américains pour ouvrir des commerces et des bureaux.

Sans illusion, Laurent promène aujourd’hui les copains de passage dans la ville qu’il a connue et qui s’efface…

Guillaume Fontaine/Rue89

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Repères

Trois jours de fête

> La chute du mur de Berlin, érigé durant 28 ans entre la RDA et la RFA, sera commémorée par trois jours de fêtes, du 7 au 9 novembre, avec illumination spectaculaire le long de la frontière et concerts (dont Peter Gabriel) à la porte de Brandebourg.

> La chancelière Angela Merkel inaugurera une exposition au Mémorial du mur de Berlin. Diverses personnalités de l’époque, dont Gorbatchev et Walesa, participeront aux festivités. PFY

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Semaine prochaine

La saga du mur

L'histoire du mur de Berlin sera évoquée dès lundi sur RTS-La Première et le 2 novembre sur RTS2. Ce dimanche, rediffusion de «Naples ville ouverte 1943-1948».

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