La Liberté

Sur les traces de la civilisation hittite

Hisoire vivante - Turquie • Peuple grandiose mais longtemps oublié, les Hittites rivalisaient avec les Egyptiens au IIe millénaire avant notre ère. Malgré un siècle de fouilles, ces Indo-Européens n’ont pas révélé tous leurs secrets. Découverte.

L’emblématique porte des Lions de la grande muraille de la capitale impériale Hattousa. Elle était autrefois bordée de deux tours.
L’emblématique porte des Lions de la grande muraille de la capitale impériale Hattousa. Elle était autrefois bordée de deux tours.
Située à 195km à l'est de l'actuelle Ankara, la capitale hittite Hattousa était entourée d'une imposante muraille de 6.5 km de long, dont un segment a été reconstitué. © Pascal Fleury
Située à 195km à l'est de l'actuelle Ankara, la capitale hittite Hattousa était entourée d'une imposante muraille de 6.5 km de long, dont un segment a été reconstitué. © Pascal Fleury
L'une des portes de la ville était ornée de sphinx. © Pascal Fleury
L'une des portes de la ville était ornée de sphinx. © Pascal Fleury
Atila Ahmet: «Je suis un enfant du peuple hittite.» © Pascal Fleury
Atila Ahmet: «Je suis un enfant du peuple hittite.» © Pascal Fleury
Ici, un bas-relief de l'époque néo-hittite montrant un char de guerre (IXe s. av. J.-C.). © Pascal Fleury
Ici, un bas-relief de l'époque néo-hittite montrant un char de guerre (IXe s. av. J.-C.). © Pascal Fleury
Sur cette image, la statue colossale du roi Tarhunza de 3,20m au style néo-hittite d'inspiration assyrienne (VIIIe s. av. J.-C.) © Pascal Fleury
Sur cette image, la statue colossale du roi Tarhunza de 3,20m au style néo-hittite d'inspiration assyrienne (VIIIe s. av. J.-C.) © Pascal Fleury
Bas-relief du dieu Sarruma protégeant de son bras Tudhaliya, au sanctuaire rupestre de Yazilikaya, près de la capitale Hattousa. © Pascal Fleury
Bas-relief du dieu Sarruma protégeant de son bras Tudhaliya, au sanctuaire rupestre de Yazilikaya, près de la capitale Hattousa. © Pascal Fleury

Pascal Fleury

Publié le 31.10.2014

Temps de lecture estimé : 8 minutes

«Je suis un enfant du peuple hittite!», lance fièrement Atila Ahmet, croisé à la porte des Sphinx, sur les hauts de l’antique cité d’Hattousa. Le gardien émérite du site archéologique connaît bien «sa» capitale. Pendant des décennies, ce natif du village voisin a suivi de près les campagnes de fouilles menées par l’Institut archéologique allemand, et en particulier par feu l’archéologue Peter Neve, à qui la ville impériale doit d’être classée au Patrimoine mondial de l’Unesco depuis 1987.

A l’époque, se souvient le Turc de 55 ans, une centaine de personnes participaient aux fouilles pendant cinq mois par an. Aujourd’hui, les effectifs ont été réduits de moitié, mais l’équipe archéologique, dirigée par Andreas Schachner, continue de trouver des vestiges. Et en particulier des tablettes inscrites.

C’est que la capitale hittite fut le centre politique et religieux d’un immense empire entre 1750 et 1180 avant J.-C., couvrant l’essentiel de la Turquie et de la Syrie, et rivalisant avec Thèbes et Babylone (les Hittites prendront même cette dernière en 1595 avant J.-C.). Depuis sa découverte en 1834 par l’architecte français Charles Félix Marie Texier, et le véritable démarrage des fouilles en 1906 par l’archéologue allemand Hugo Winckler, elle ne cesse de livrer de nouveaux trésors.

En un siècle, c’est une cité de 15 000 à 25 000 personnes qui a été mise au jour, avec les vestiges d’un rempart de 6,5 km de long, trois portes colossales, dont l’emblématique porte des Lions, un vaste palais royal, un «grand temple» où officiaient des centaines de prêtres, devins, scribes, musiciens et chanteurs, et une quarantaine d’autres sanctuaires.

Signe du génie architectural militaire hittite, une poterne voûtée à encorbellement permet encore, après plus de 3000 ans, de traverser la muraille par un tunnel de 71 mètres! «Enfants, nous allions y jouer et nous y réfugier quand nous gardions les moutons», se souvient Atila Ahmet.

Mais le trésor qui fascine le plus les archéologues est de nature scripturale: plus de 30 000 tablettes de terre cuite en caractères cunéiformes ont déjà été exhumées à Hattousa. Depuis que l’assyriologue tchèque Bedrich Hrozný a réussi à traduire le hittite en 1914, elles apportent des informations de «première main» sur les faits et gestes de ce peuple venu vraisemblablement du nord de la mer Noire. La langue hittite est le plus ancien idiome indo-européen attesté par des documents écrits.

Les Hittites utilisaient aussi une écriture hiéroglyphique, différente de celle des Egyptiens, qu’il est possible d’admirer au Musée des civilisations anatoliennes, à Ankara, parmi de nombreux autres vestiges, dont de superbes bas-reliefs néo-hittites et des sculptures en bronze.

Les tablettes retrouvées ont trait à tous les secteurs de la société, des affaires royales aux chroniques de batailles (comme Kadesh, où les Hittites ont triomphé des Egyptiens en 1274 avant J.-C.), des contrats de mariages à la comptabilité des temples. On y apprend même que la veuve du pharaon Toutankhamon avait demandé à l’empereur hittite Suppiluliuma de lui accorder la main d’un de ses princes. Mais ce dernier a été tué pendant son voyage vers l’Egypte.

Potentiel archéologique

Selon notre guide touristique Mehmet Ali Özen, spécialiste de l’Anatolie, la Turquie compterait quelque 3000 sites antiques, mais seulement un dixième d’entre eux seraient déjà fouillés, répertoriés et mis en valeur. Des campagnes de fouilles, menées par exemple à Ortaköy ou à Sirkeli Höyük (avec l’Université de Berne), s’annoncent prometteuses. Mais des villes entières n’ont pas encore été retrouvées. Pas de doute, les archéologues et hittitologues patentés peuvent encore rêver de trésors! Les touristes, eux, se contenteront d’admirer… sans rien emporter!

> Lire aussi: «Les Hittites, un empire évanoui», André Kaplun, Ed. Slatkine, 2014

> Ce reportage a été rendu possible grâce à Turkish Airline et l’Office du tourisme de Turquie: www.tuerkeitourismus.ch

*****

Un peuple qui croyait en «mille dieux»

L’archéologue et philologue Patrick Maxime Michel enseigne les langues et l’histoire du Proche-Orient ancien à l’Université de Genève. Spécialiste des rituels hittites, il explique l’importance de la religion pour ce peuple qui se voulait serviteur des dieux.

On a retrouvé près de 40 temples à Hattousa. Les Hittites étaient très religieux?

Les Hittites étaient polythéistes. Leur panthéon est l’un des plus complexes de l’Antiquité. On lui attribue «mille dieux». En fait, au fur et à mesure de l’expansion de l’empire, il s’est amplifié par syncrétisme de divinités «étrangères», hatties, hourrites, louvites, syriennes ou mésopotamiennes, y compris la déesse de l’amour et de la guerre Ishtar (de Ninive). Le panthéon hittite s’est enrichi surtout au XIIIe siècle avant J.-C., sous le règne du roi Hattousili III, dont l’épouse Puduhepa était fille d’un grand prêtre hourrite du sud de l’Anatolie.

Quels étaient leurs principaux dieux?

Le panthéon hittite était dominé par le dieu de l’orage Tarhunt, qui a ensuite été assimilé au dieu hourrite Teshub. La déesse principale hittite était la déesse solaire d’Arinna. Sous l’influence de la reine Puduhepa, elle a été assimilée à Hebat, une autre déesse hourrite. Ces deux dieux forment alors un couple, avec un fils, le dieu Sarruma. Le dieu de l’orage était associé au cycle des saisons et à l’agriculture. Chez les Hittites, toutes les rivières, sources, étangs et montagnes, et parfois même les arbres, étaient divinisés. La religion hittite a souvent été qualifiée de «naturaliste».

Comment se pratiquait le culte?

Le culte était étroitement lié au rythme agraire. Les deux principales fêtes religieuses de l’année avaient lieu au printemps, quand le dieu de l’orage faisait résonner ses premiers coups de tonnerre annonciateurs des pluies, et en automne, lorsqu’il était temps de le remercier pour les récoltes. Les fêtes comportaient des processions, des offrandes de pains rituels ou encore des sacrifices d’animaux. La population recevait à boire et à manger. La religion d’Etat se pratiquait dans les temples en présence de la famille royale, de prêtres et d’un important personnel religieux. Le reste de l’année, les fidèles pratiquaient aussi des rituels privés, pour se purifier, guérir de maladies ou se protéger de dangers. On brûlait des oiseaux, une pratique d’origine hourrite.

Le roi hittite officiait lui-même comme un «grand prêtre»…

Le roi présidait les cérémonies, procédait aux rituels, participait aux banquets… Pendant les fêtes de printemps, qui pouvaient durer plus de trente jours, il parcourait plusieurs villes de l’empire pour rendre visite aux divinités dans les sanctuaires, faire des sacrifices et participer aux festivités locales, dans un souci de cohésion sociale.

On n’a pas retrouvé de tombes royales…

Les fouilles de cimetières de la période impériale attestent de la pratique mixte de la crémation et de l’inhumation. Les Hittites semblent avoir été le seul peuple de la région à incinérer ses morts, et en particulier ses rois. Les textes nous disent que le rituel funéraire royal durait quatorze jours. On n’a pas retrouvé de tombes royales mais des monuments commémoratifs, comme le sanctuaire rupestre de Yazilikaya, dédié au roi Tudhaliya. Le monarque y est représenté avec son dieu patron Sarruma, qui le protège et le guide. On y voit aussi 66 autres dieux en procession et une divinité du monde souterrain.

> Le culte des pierres à Emar à l’époque hittite, Patrick Maxime Michel, Editions Academic Press Fribourg, 2014.

Articles les plus lus
Dans la même rubrique
La Liberté - Bd de Pérolles 42 / 1700 Fribourg
Tél: +41 26 426 44 11