La Liberté

D’un ancien pont à un pont neuf

Le passé recomposé • Une fois par mois, «La Liberté» présente une photographie ancienne d'un lieu du canton et la compare avec la situation actuelle du même lieu. Cette série est réalisée en partenariat avec la Bibliothèque cantonale et universitaire de Fribourg (BCU). Une série à retrouver dans un dossier sur notre site web.

Le pont Suspendu, à Fribourg. Et sa version actuelle, le pont Zaehringen, bâti en 1924. © Collection Felix Deillon, Lausanne/Vincent Murith
Le pont Suspendu, à Fribourg. Et sa version actuelle, le pont Zaehringen, bâti en 1924. © Collection Felix Deillon, Lausanne/Vincent Murith
Le pont Suspendu, à Fribourg. © Collection Felix Deillon, Lausanne
Le pont Suspendu, à Fribourg. © Collection Felix Deillon, Lausanne
Sa version actuelle, le pont Zaehringen, bâti en 1924. © Vincent Murith
Sa version actuelle, le pont Zaehringen, bâti en 1924. © Vincent Murith

Jean-Pierre Dewarrat*

Publié le 23.09.2014

Temps de lecture estimé : 4 minutes

Consultez notre dossier «Le passé recomposé» en suivant ce lien
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Les ponts ne sont pas seulement des ouvrages d’art, ils sont aussi des acteurs clés des mutations territoriales. Il est délicat de dater avec précision (peu d’indices matériels, pas de cachet postal au dos) la vieille vue. Entre la fin du XIXe siècle et le début du XXe siècle sans doute. Faisant fi d’un compartimentage classique, le photographe a ici opté pour un rapport peu courant: quatre cinquièmes de terre et un de ciel. Pour le bas de l’image, il recourt au flouté avec un cadrage aux limites peu claires (eau mouvante).

Par ce choix, il concourt à une «mise en scène» de son sujet: un pont. Un sujet auquel le format «paysage» sied comme un gant. Avec un pont traversant bien plus le ciel que la rivière, l’effet de «sensation» est largement atteint. Qu’est-il donné à voir? A gauche et au fond, un front de bâti continu typiquement urbain, soit la Vieille-Ville haute de Fribourg autour de la cathédrale et plus loin le secteur de la porte de Morat, le tout se dressant au-dessus de berges plus fortement arborées que de nos jours. A droite, l’avant-garde d’un bâti modeste et une large masse de végétal, soit le petit bout de Basse-Ville sis outre le pont de Berne (pont d’en bas), au pied du Schoenberg. Au milieu coule une rivière, la Sarine. Le dedans contre le dehors.

En haut de ce cadrage (sujet de nombreuses gravures du XIXe siècle, produites avant le développement de la photo) plane le bien nommé pont Suspendu. Ultime décodage: de l’ancien monde médiéval surgit un «pont suspendu» dans le vide, une dentelle métallique. Fine et aérienne de grâce et de légèreté. La Sarine n’est plus un fossé. Fribourg sort de ses murs et marche avec un temps nouveau, le temps des ingénieurs.

Aussi appelé le Grand-Pont suspendu, l’ouvrage d’art est l’œuvre de l’ingénieur français Joseph Chaley. D’une portée de 246 m, un record mondial pour l’époque, il fut inauguré en 1834. Prouesse et nouveauté techniques (fer et câbles), le pont devint l’icône de la ville; les Fribourgeois en étaient fiers, on accourait du monde entier pour le voir! Il traversa le XIXe siècle et fut remplacé, in situ en 1924, par le pont actuel, le pont de Zaehringen. Comme l’ancien, le nouveau pont (pont d’en haut) ne fit que s’adapter aux besoins du XXe siècle et favoriser son développement sur la rive d’en face (quartier du Schoenberg), donnant naissance à un Fribourg de rive droite et d’accès enfin aisé. Pont Suspendu et pont de Zaehringen sont encore des ponts urbains, des ponts de Fribourg-Ville.

Le «petit dernier» de cette brochette de ponts, le pont de la Poya, aussi le plus grand, large et haut de tous (inauguration le 10 octobre prochain) n’est quant à lui plus tout à fait un pont du chef-lieu fribourgeois. Un pont de plus. On ne le voit pas depuis le pont de Berne, il faut se trouver sur celui de Zaehringen pour l’apercevoir. Il relie deux quartiers récents, en constante extension et densification. Il ne conduit pas, à l’instar des ponts Suspendu et de Zaehringen, dans la ville ancienne ou encore comme celui de Pérolles dans la ville nouvelle.

Enfin, il n’est pas droit mais courbe. Il évite Fribourg-Ville. C’est d’ailleurs son propos. Le pont Suspendu était LA nouveauté du début du XIXe et la Poya est celle du début du XXIe. Ce sont deux prouesses d’ingénieurs d’une architecture osée, hardie et gracieuse, érigées à deux moments clés de la ville: Fribourg-Ville et le Grand Fribourg. Un Grand Fribourg, l’agglo, dont l’architecture urbanistique et politique reste encore à écrire…

* Jean-Pierre Dewarrat est archéologue du territoire et chargé de cours à l’EIA-FR

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