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Les deux faces de la guerre sainte

Djihad • Ils sont Suisses, Belges ou Français, se convertissent à l’islam radical et s’engagent en Syrie. Des dérives fanatiques qui existent aussi dans le christianisme. Mise en perspective.

Gabrielle Desarzens

Publié le 07.06.2014

Temps de lecture estimé : 4 minutes

En Suisse, les jeunes djihadistes seraient une quarantaine, dont 15 sont partis pour la Syrie. Environ 700 Français y seraient actifs, dont la moitié comme combattants. Il y aurait 300 à 400 djihadistes belges sur place en Syrie, même si les chiffres officiels font état de 150 personnes. Qu’est-ce qui se cache derrière leur engagement?

Djihad spirituel

Il y a d’abord une clarification de vocabulaire à entreprendre: «Dans l’islam, le djihad signifie faire un effort et se divise en deux: il y a le djihad spirituel et le djihad militaire», explique le spécialiste des droits arabes Sami Aldeeb. Il précise: «Le djihad spirituel, c’est quand vous vous battez contre vos propres défauts. C’est même le grand djihad. Le djihad signifie donc combattre l’adversaire, mais tant intérieur qu’extérieur!»

«Une religion peut être saine, mais elle peut aussi tomber malade», lui fait écho Michel Grandjean, professeur d’histoire du christianisme à l’Université de Genève. Et d’ajouter: «La notion de guerre en tant que telle n’est pas forcément mauvaise si on la comprend au sens le plus noble: le patriarche Athénagoras disait que le seul combat qu’on doit mener est celui contre soi-même, soit contre tout ce qui en soi empêche d’être pleinement, et d’être avec les autres.» Sur ce terrain-là, nul doute que les penseurs musulmans et chrétiens s’entendent.

Fanatisme à l’index

Le djihad naît à la période guerrière de Mahomet, quand il est à Médine, au VIIe siècle. Dans l’histoire du christianisme, la guerre sainte fait irruption à la fin du XIe siècle, au moment où se déclenche le vaste élan militaire des croisades. Le mouvement comprend une recherche identitaire: «Il y a dans les croisades la volonté de trouver son identité en étant sûr qu’on est du côté de la vérité», commente Michel Grandjean. «Si Dieu agit par notre main, qu’on est porté par cette idéologie, notre identité est assurée.»

Cette entreprise religieuse violente peut faire cependant place au fanatisme, qui exclut toute remise en question. «Le fanatisme religieux n’est pas mort. Au contraire, il connaît un regain d’intérêt», souligne le professeur Grandjean. «En Europe, on est dans une société qui semble avoir perdu ses repères. Le fanatisme se présente alors comme un semblant d’identité qui rassure. On observe d’ailleurs aujourd’hui le succès grandissant d’un certain nombre de mouvements extrémistes, tant du côté chrétien, avec des milieux charismatiques, que du côté musulman avec le djihad militaire. Ces phénomènes montrent que le combat qui a été mené du temps des Lumières - et qui prône notamment que la religion ne peut être imposée - n’est pas encore totalement victorieux et qu’il doit être poursuivi au quotidien.» Pour Michel Grandjean, il y a là aussi une donnée sociologique: «On a besoin de se raccrocher à un groupe qui nous donne un but dans la vie. Or une société doit être capable de transmettre une motivation à la jeunesse, par exemple l’inciter à lutter en faveur de plus de justice. Si elle n’arrive plus à faire passer de telles choses, c’est un signe d’échec.»

Examen des idéologies

Pour Sami Aldeeb, il s’agit dans l’immédiat de mieux intégrer les musulmans et de veiller à ce que leur nourriture spirituelle ne soit pas «empoisonnée». «Qu’est-ce qu’on fait ingurgiter aux gens?…. Certains meurent après avoir absorbé de l’alcool frelaté. De la même manière, il faut empêcher l’absorption de mauvaises idéologies.» Autrement dit, examiner la formation des imams et des autres prédicateurs, ainsi que le contenu des enseignements religieux. Et le juriste suisse d’origine palestinienne d’ajouter qu’en ce sens, un centre national de formation des imams à Fribourg serait une bonne chose.

Interpellé sur ces jeunes Occidentaux qui s’engagent au combat au nom de l’islam, Sami Aldeeb indique encore que ceux-ci partent se battre contre les «mécréants» en faisant allégeance avec la terre de l’islam. Le recrutement s’effectue par internet et les réseaux sociaux: «Il y a 2000 à 3000 sites de prise de contact en arabe, mais aussi dans d’autres langues. La majorité d’entre eux ont une durée de vie de 2 à 3 semaines. Ils disparaissent puis renaissent sous un autre nom de domaine. Ainsi pensent-ils échapper aux différents services de contrôle nationaux», commente-t-il.

> A écouter: une série d’entretiens sur le djihad et la guerre sainte, du 16 au 20 juin, à 16 h 30, dans l’émission «A vue d’esprit» sur RTS Espace 2.

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