La Liberté

Les vœux de Pâques de l’archimandrite

ArméniePremier Etat à avoir embrassé le christianisme, en 301, l’Arménie se prépare aux fêtes pascales. Dans ce pays du Sud Caucase, la pratique a baissé comme ailleurs, mais la religion participe toujours de l’identité nationale.

«Que l’église de Tatev vous bénisse!», lance l’archimandrite Mikael aux touristes visitant&softReturn;l’emblématique monastère fortifié du IXe siècle, haut lieu de pèlerinage arménien. © PFY
«Que l’église de Tatev vous bénisse!», lance l’archimandrite Mikael aux touristes visitant&softReturn;l’emblématique monastère fortifié du IXe siècle, haut lieu de pèlerinage arménien. © PFY

Pascal Fleury

Publié le 20.04.2014

Temps de lecture estimé : 9 minutes

De retour d’Erevan

«Christ est ressuscité d’entre les morts. Que sa résurrection soit bénie!» Ce Samedi-Saint, à l’occasion de la nuit du renouveau, les jeunes Arméniens vont proclamer la bonne nouvelle à travers les rues des villages. «Après la messe, les enfants sortiront des églises avec des bougies. Ils apporteront la lumière de Pâques dans les foyers», explique l’archimandrite Mikael, supérieur du monastère millénaire de Tatev (IXe siècle), dans la région montagneuse du Siounik, au sud de l’Arménie.

Coiffé d’une capuche pointant vers le ciel «comme les toits coniques des églises arméniennes», le Père Mikael accueille chaque printemps des centaines de pèlerins, qui passent souvent la «grande semaine» de Pâques sur ce balcon surplombant de vertigineux canyons. Difficile d’accès autrefois, l’ermitage est connecté depuis la fin 2010 par le plus long téléphérique du monde (5,7 km), de fabrication suisse.

«La paix de l’Esprit!»

Demain, les fidèles se retrouveront en nombre au monastère pour la messe de Pâques, animée par un chœur de chanteurs venus du séminaire du monastère Sevanavank, joyau architectural de la presqu’île du lac Sevan. La fête se poursuivra par le partage d’un repas bien arrosé dans la cour de l’édifice fortifié. «Que l’église de Tatev vous bénisse!», lance l’archimandrite aux touristes de passage. Il leur souhaite de tout cœur, à la suite du Christ et de l’éminent philosophe et théologien du XIVe siècle Grégoire de Tatev, enterré sur place, «la paix de l’Esprit!».

Cette année, par le hasard des calendriers, les Eglises chrétiennes d’Orient et d’Occident célèbrent en même temps la résurrection du Christ. Pour l’Eglise apostolique arménienne, qui représente 90% de la population, c’est la fête la plus importante de l’année. Elle est célébrée très largement dans tout le pays et dans la diaspora, mais davantage comme l’expression d’une identité nationale que comme un acte de foi.

En fait, la pratique s’est largement érodée durant la période soviétique. Et l’indépendance du pays, en 1991, n’a pas inversé la tendance. «Certaines personnes se rendent bien sûr tous les dimanches à la messe, mais la plupart n’y vont que quelques fois par an. A Pâques et à Noël, les églises sont pleines à craquer», constate l’historienne d’art Liana Vantsian, à Erevan. «Le mariage religieux reste aussi incontournable», sourit-elle. La religion n’est enseignée que pendant une année dans les écoles.

Si la religion est toujours un ferment national, c’est que grâce à elle, l’identité arménienne a pu survivre à des siècles de domination étrangère. L’Arménie est ancrée dans le christianisme depuis le début de l’ère chrétienne. Selon la tradition, la région a été évangélisée par deux apôtres qui ont fini martyrs: Thaddée entre l’an 35 et 43, et Bartholomée, écorché vif en 68 près du lac de Van, aujourd’hui situé en Turquie voisine. Cet héritage explique le qualificatif d’«apostolique» donné à l’Eglise arménienne.

Eglise des origines

Le pays s’est officiellement converti au christianisme en 301, devenant le premier Etat chrétien au monde, alors que l’édit de Milan de l’empereur Constantin, daté de 313, se contentait de «tolérer» le christianisme dans l’Empire romain. Sa primeur, l’Arménie la doit à saint Grégoire l’Illuminateur. Fils d’une noble famille arménienne, Grégoire avait suivi des études chrétiennes en Cappadoce avant d’être arrêté par le roi Trdat, qui vouait une haine farouche aux adeptes du Christ. Emprisonné au fond d’un puits que l’on peut encore visiter aujourd’hui au monastère de Khor Virap, non loin des miradors de l’infranchissable frontière turque, il a survécu miraculeusement pendant treize ans et, selon la légende, a fini par convertir le roi. Consacré prêtre puis évêque, il est devenu alors le premier «catholicos» de l’Eglise apostolique arménienne, une Eglise dite «autocéphale», son chef spirituel n’étant assujetti à aucune autre autorité.

Aujourd’hui, le «catholicos de tous les Arméniens», 132e du nom, est Karekine II, élu en 1999. Son siège est à Etchmiadzin, la «ville sainte» arménienne, située à une vingtaine de kilomètres de la capitale. La cathédrale d’Etchmiadzin est le plus ancien édifice chrétien d’Arménie, du moins théoriquement, car il a été maintes fois détruit par les envahisseurs. Son aspect actuel remonte au XVIIe siècle.

Architecture innovante

Sa structure, en revanche, trahit encore le style d’origine très particulier des églises arméniennes, avec quatre piliers porteurs sur une base cruciforme, surmontés d’un tambour coiffé d’un toit conique. Un style qui a partiellement influencé l’art roman et qui se retrouve aujourd’hui décliné dans près de 4000 édifices religieux du pays, enrichis de narthex, porches, absides et autres clochetons. «A travers les siècles, les bâtisseurs ont fait preuve d’une grande imagination», se réjouit l’architecte Samvel Ayvazyan, qui a déjà restauré plusieurs sites historiques. Certains de ces trésors architecturaux sont classés au Patrimoine mondial de l’Unesco. I

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Des traditions qui font l’identité arménienne

En Arménie, la chasse aux œufs n’est pas connue. En revanche, les Arméniens, petits et grands, pratiquent avec joie le combat des œufs en duels le jour de Pâques, frappant pointe contre pointe les œufs cuits qu’ils ont auparavant joliment teints, surtout en rouge, couleur du sang vivifiant du Christ, versé pour le salut de l’humanité. Cette tradition ancestrale, où l’œuf est lui-même un symbole de vie, marque la fin d’une Semaine sainte riche en célébrations et gestes commémoratifs.

«Chaque jour de cette grande semaine comporte des temps forts», explique le moine Edgar, diacre rencontré au monastère troglodyte de Geghard, au fond d’une impressionnante gorge basaltique, dans le sud du pays. Aux Rameaux, par exemple, le prêtre bénit des branches de saule pleureur avant de les distribuer aux fidèles. Le Mardi-Saint est lue la parabole des dix vierges. Dix enfants portent chacun une bougie. Cinq d’entre elles sont allumées, pour symboliser les vierges sages qui attendent l’arrivée du Seigneur. Les cinq autres sont éteintes, pour représenter les vierges folles. Le mercredi, dans plusieurs diocèses, l’évêque consacre le saint chrême et bénit les huiles saintes. Le jeudi, jour de la sainte cène, a lieu le rituel du lavement des pieds. Puis le soir, la lecture du procès de Jésus. Et le Vendredi-Saint, un cercueil couvert de fleurs est amené en procession sur le parvis de l’église, en témoignage de la passion et de la mort du Christ.

Vient enfin le jour de Pâques, avec la messe chantée, puis les retrouvailles en famille et le repas festif. «Avec Pâques se termine le long jeûne du carême», commente le diacre Edgar. «Au monastère, nous mangerons du poisson, du riz aux fruits secs et, bien sûr, des œufs!» Spécialiste de la cuisine traditionnelle, qu’il fait revivre au travers d’une association, le cuisinier Artavazd Saroukhanian, rencontré à Erevan, proposera pour sa part un «Ghapama» quelque peu plus raffiné: une citrouille farcie de riz aux abricots, prunes et raisins secs, qu’il agrémentera de cannelle et de miel.

Toutes ces traditions pascales, jalousement conservées à travers les siècles, contribuent à l’identité arménienne. Un sentiment national qui s’appuie bien sûr aussi sur les arts, l’architecture, la musique, la poésie… Et qui se cristallise surtout dans la langue, l’arménien. Un langage complexe, qui s’est doté d’une écriture propre dès le Ve siècle, fixée par le moine Mesrop Machtots, créateur d’un alphabet de 36 lettres. Un chef-d’œuvre de graphisme que l’on peut admirer aujourd’hui sur de très beaux manuscrits enluminés, exposés à l’Institut Matenadaran à Erevan. Mais aussi sur toutes les devantures des magasins… PFY

> Ce reportage a été rendu possible grâce à l’agence Aratours Travel Services à Fribourg, www.aratours.travel, et à la compagnie Ukraine International Airlines, www.flyuia.com

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