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Education physique: coefficient 0

Chronique - Gymnastique • De tous les dons, un seul ne sert à rien à l’école: c’est le bon usage de son corps.

Education physique: coefficient 0
Education physique: coefficient 0

Jean Ammann

Publié le 26.02.2016

Temps de lecture estimé : 3 minutes

A la veille de carnaval, il est l’heure de revêtir le costume de père: le livret est sous mes yeux, qu’une main tremblante me tend. Fini de rire, car déjà je brandis ce stylo d’où naîtra la signature implacable, ce hiéroglyphe rageusement griffé, signe d’une auto- rité que je revendique en cette occurrence. Alors, oui, oui, bof, oui et «Education physique»… Note: 5,5, bravo. Coefficient: 0.

Contrairement aux mathématiques, qui comptent deux fois au pays des banquiers et des assureurs, la gymnastique compte zéro fois au pays des 28% d’obèses (lire cet article de «La Liberté» de mardi passé). Les sciences religieuses comptent une fois, il faut bien alimenter les gardes pontificaux; l’anglais compte une fois, on ne sait jamais, cette langue peut être utile; l’éducation physique compte zéro fois.

Je m’interroge. Pourquoi, au collège, dans le canton de Fribourg en tout cas, la gymnastique est-elle la seule branche qui ne vaille rien? Je réfléchis. Peut-être qu’en fait, la gymnastique n’est que l’expression de la génétique et qu’il serait injuste de taxer notre ADN. Il y a des gens qui ne sont naturellement pas souples, naturellement pas endurants, naturellement pas rapides. Il y a des gens qui sont infichus de recevoir une balle, tout le monde n’a pas la coordination d’une conjonction. En intégrant la note de gymnastique, l’école appliquerait une double peine. Ce serait injuste.

Puis, me suis-je dit, un livret scolaire est-il autre chose que la moyenne des injustices? Tenez, moi, par exemple, je suis dépourvu d’oreille musicale: sur la grande échelle de l’humanité, je suis aux antipodes de l’oreille absolue, il y a Mozart à un bout et moi à l’autre, juste à côté de mon fils. Quand il y avait des dictées de chant, où il faut remplacer na-na-na-na par sol, mi, ré, la, j’étais nul. Cela n’a pas empêché mes professeurs de me mettre un 4, ce qui montre bien la charité de ces bonnes âmes musicales, le 4 étant pour eux la marque du désespoir. Toujours est-il que ce 4 comptait dans la moyenne scolaire de l’écolier, avec ou sans oreille. On peut faire le même raisonnement pour les mathématiques: j’avais un copain qui lisait des bandes dessinées pendant les cours de maths, ce qui ne l’a pas empêché de frôler le 6 au baccalauréat et de finir philosophe. Pour dire que cet homme poussait le goût de l’abstraction jusqu’au vice. Et le dessin? A l’école enfantine, je me suis retrouvé à côté d’un gamin capable de dessiner en perspective un canot pneumatique avec un rameur dessus! Je me souviens de cette œuvre comme si c’était hier: on avait l’impression que ce canot pneumatique allait sortir de la feuille… Cet homme fit les beaux-arts, il est aujourd’hui prof de dessin et il note avec compassion ceux qui sont moins doués que lui, soit le reste de l’humanité.

Donc, le système scolaire évalue les dons et entérine les hasards de la naissance. Tous les élèves en profitent, sauf les gymnastes. En d’autres termes, le corps ne vaut rien, coefficient 0.

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