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Son «Ranz des vaches» irrite les puristes

Chant • Le chef de chœur et compositeur fribourgeois Gonzague Monney est l’auteur d’une nouvelle partition chorale du célèbre «Ranz des vaches», qui ne plait pas à tous. Retrouvez la vidéo dans l'article.

«J’ai beaucoup de respect pour la musique chorale traditionnelle. C’est parce que je l’aime que je fais ça», souligne Gonzague Monney. © Alain Wicht/La Liberté
«J’ai beaucoup de respect pour la musique chorale traditionnelle. C’est parce que je l’aime que je fais ça», souligne Gonzague Monney. © Alain Wicht/La Liberté
Son «Ranz des vaches» irrite les puristes
Son «Ranz des vaches» irrite les puristes
Son «Ranz des vaches» irrite les puristes
Son «Ranz des vaches» irrite les puristes
Son «Ranz des vaches» irrite les puristes
Son «Ranz des vaches» irrite les puristes
Son «Ranz des vaches» irrite les puristes
Son «Ranz des vaches» irrite les puristes

Elisabeth Haas

Publié le 30.06.2015

Temps de lecture estimé : 6 minutes

Y toucher ou ne pas y toucher, telle est la question. Régulièrement - c’était déjà le cas à la Fête des vignerons de 1999 - le célébrissime «Ranz des vaches» refait l’actualité: c’est fort pour un chant traditionnel. Le chef de chœur et compositeur fribourgeois Gonzague Monney en sait quelque chose, lui qui essuie depuis 10 jours les foudres de la sphère Facebook. On l’accuse de «dénaturer» le sacro-saint mythe, on trouve son arrangement «très moche», on le décrit même comme du «massacre». Des remarques pas très fines pour un compositeur qui fait pourtant son travail avec une rigueur et une finesse extrêmes.

Le 20 juin, son arrangement du «Ranz des vaches» était présenté, preuve s’il en est de la vitalité de cette mélodie traditionnelle. La version de l’abbé Bovet a très certainement encore de très beaux jours devant elle, mais désormais les chœurs mixtes ont la possibilité de chanter une nouvelle version aux harmonies jazzy, éditée par Sympaphonie.

Gonzague Monney a réalisé cet arrangement pour la Fête fédérale de chant de Meiringen. Ce sont trois ensembles helvétiques de jeunes choristes qui l’ont créé dans le cadre d’un atelier «Tout suisse». Il s’agit d’une commande de composition de la Fédération Suisse Europa Cantat. Gonzague Monney a eu la liberté de choisir une mélodie traditionnelle à arranger: il a finalement pris le risque de s’attaquer au «Ranz des vaches», en tant que Fribourgeois pure souche et immense amoureux de l’art choral depuis son enfance.

Il faut lire les commentaires à l’échelle et à l’immédiateté du moyen internet. Gonzague Monney sourit: «J’écris de la musique depuis 1999, c’est la première fois qu’une de mes pièces fait un minibuzz. Si j’avais choisi un autre thème gruérien, personne n’aurait réagi. J’ai touché à un emblème, un symbole. J’ai beaucoup de respect pour la musique chorale traditionnelle. C’est parce que je l’aime que je fais ça.»

Exercice délicat

Dans la Liste des traditions vivantes, recueillie par la Confédération, on peut lire que le «Ranz des vaches» dans sa canonisation par l’abbé Bovet, en patois gruérien, est devenu le seul à avoir valeur d’authenticité. Alors que la pratique du ranz comme chant de berger est attestée de longue date ailleurs qu’en Gruyère, dans l’Emmental, l’Entlebuch mais aussi dans d’autres régions de Suisse, des variantes de la mélodie ont longtemps coexisté. La version de l’abbé Bovet (à 3 et à 4 voix) a fini par éclipser toutes les autres. La Liste des traditions vivantes parle du «Ranz des vaches» popularisé par les harmonies romantiques de Bovet comme du chant «le plus populaire» de Suisse. C’est dire s’il est devenu un hymne fribourgeois, sinon romand. L’intégration du «Ranz des vaches» dans la Fête des vignerons, dont il est le véritable point d’orgue tant attendu, a contribué à sa «muséalisation».

Le «Ranz des vaches» de l'abbé Bovet chanté par le choeur des XVI

Difficile dans ces conditions de toucher à l’héritage de l’abbé Bovet et surtout de convaincre les oreilles qui ont baigné dans ce moule. Le pianiste jazz Thierry Lang savait l’exercice délicat. Au vernissage discographique de son projet «Lyoba», à Nuithonie en 2007, il a pris soin d’inviter le Chœur des Armaillis de la Gruyère en première partie. Histoire de se raccrocher à la tradition. «Pour les Fribourgeois, le «Ranz des vaches» résonne comme une prière. J’ai eu beaucoup d’appréhension. Je me disais que c’était gonflé», explique Thierry Lang, auteur lui aussi d’une version jazz, instrumentale, pour piano, violoncelle et bugle. «Je trouvais important de garder la mélodie, sans la changer du tout au tout.»

Le «Ranz des vaches» par Thierry Lang

«Trop gentille»

C’est exactement ce qu’a fait Gonzague Monney. Il a gardé la mélodie originale et les textes en patois, sans y toucher. Il n’a changé que l’harmonie connue de l’abbé Bovet par des accents jazz de son cru. «Je voulais utiliser un langage qui m’est proche. J’ai aussi étudié le piano jazz. Si j’avais fait du Bovet bis, j’aurais sûrement fait du sous-Bovet. Mais je voulais garder une atmosphère pastorale, de sérénité», explique Gonzague Monney.

Thierry Lang trouve cette version «très bien faite, très bien organisée. Il n’y a rien de neuf au point de vue harmonique, mais c’est extrêmement bien harmonisé.» Le jazzman n’a pas vécu les mêmes réactions acerbes sur son travail: probablement parce que la version de Gonzague Monney est chorale: «Si l’arrangement était fait avec des cordes, ça passerait mieux», estime Thierry Lang.

Pour Thierry Dagon, président de la commission de musique de l’Union suisse des chorales, cette version est même «trop gentille»: «Si on m’avait demandé de faire la même chose, j’aurais reçu plus de lettres d’insultes», rigole le chef de chœur et compositeur, connu pour son avant-gardisme, qui a posté une première captation vidéo du concert du 20 juin sur Facebook avant que Gonzague Monney ne télécharge la sienne sur la plateforme YouTube. Il comprend d’autant moins les réactions des auditeurs du web que «le jazz fait aussi partie de la musique traditionnelle» et qu’à Meiringen le public a littéralement ovationné le Bündner Jugendchor, le Zürich Jugendchor et les Männerstimmen Basel, dirigés par Martin Zimmermann. Le chef alémanique confirme le gros succès populaire de l’œuvre, à sa création dans le canton de Berne. Il analyse les réactions outrées des Fribourgeois et des Romands par leur «attachement», leur «identification» à ce chant.

Le «Ranz des vaches» chanté par Bastian Baker

Le «Ranz des vaches» arrangé par Rossini

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