La Liberté

L’Expo 64 vue par ses contemporains

Histoire vivante - Souvenirs Il y a 50 ans, le 30 avril 1964, s’ouvrait l’avant-dernière Exposition nationale, à Lausanne. Cet événement marquant, grand succès populaire, a été très largement couvert à l’époque par «La Liberté». Extraits.

Image du cortège lors de la Journée fribourgeoise de l'Expo 64. DR
Image du cortège lors de la Journée fribourgeoise de l'Expo 64. DR
Sa messe avait été animée par 3000 chanteurs. DR
Sa messe avait été animée par 3000 chanteurs. DR
Le port de Vidy avec le mésoscaphe. © Collection Jacques Piccard/ Salina-Baesinger/Musée du Léman, Nyon/In «La famille Piccard entre ciel et mer», Jean-François Rubin, Editions Slatkine/DR
Le port de Vidy avec le mésoscaphe. © Collection Jacques Piccard/ Salina-Baesinger/Musée du Léman, Nyon/In «La famille Piccard entre ciel et mer», Jean-François Rubin, Editions Slatkine/DR

Pascal Fleury

Publié le 25.04.2014

Temps de lecture estimé : 10 minutes

Vingt-cinq ans après l’Exposition nationale suisse de Zurich, menée vaillamment malgré la menace d’un conflit armé, l’Expo 64 s’est déroulée dans une ambiance plus détendue, en plein boom économique. En six mois, elle a accueilli un record de près de 12 millions de visiteurs, non égalé par Expo.02, sur «un site magnifique d’eau et de verdure».

Le journal «La Liberté» s’est montré à l’époque très assidu pour présenter ce rendez-vous phare de la Suisse confédérale. Et pour en relater les événements les plus marquants, dont la mémorable Journée cantonale fribourgeoise, où le Tout-Fribourg s’est retrouvé à Lausanne.

Pour se replonger dans ce passé - à bord ou non du mésoscaphe de Piccard -, «La Liberté» a ressorti ses vieux compactus empoussiérés. Les nombreux textes et photographies noir et blanc retrouvés en disent long sur l’engouement extrême que généra cette manifestation, mais éclairent aussi une époque déchirée entre tradition et modernité, entre prospérité intérieure et ouverture au monde. Morceaux choisis.

L’Europe comme leitmotiv

A la veille de l’ouverture de l’Exposition, le 29 avril 1964, «La Liberté» publie pas moins de sept pages de présentations et de reportages. Dans un article de fond, elle souligne aussi les changements profonds vécus par notre pays depuis l’Exposition de 1939. Se référant à l’un des leitmotivs de l’Expo 64, à savoir «Ouvrir les voies vers l’Europe nouvelle», elle relève «les chances de la Suisse dans l’Europe de demain. Car si la Suisse est en Europe, l’Europe est en Suisse par la coexistence de trois grandes cultures européennes», écrit-elle.

«Certes, analyse le journaliste Ferdinand Brunisholz, des nuages sombres subsistent à l’horizon. L’Europe de 1964 est une Europe mutilée par la guerre et amputée par le Rideau de fer de toute sa face orientale. Mais cette Europe est aussi en pleine expansion, elle a démontré, par un prodigieux effort de redressement, sa capacité de survivre et de s’adapter aux temps nouveaux. En dépit de tous les scepticismes, elle poursuit son effort d’intégration. Halte bienfaisante sur notre route, l’Exposition nationale de Lausanne nous donne l’occasion de méditer sur la place de notre pays dans cette nouvelle Europe.»

Par la vieille route

Cela dit, le premier constat, pour l’observateur fribourgeois qui se rend à l’Expo 64, que ce soit en train ou par la vieille route cantonale, c’est le trafic engendré par la manifestation. Le journal avertit: «Des localités d’habitude tranquilles seront traversées par un intense trafic. Il importe que chaque conducteur fasse preuve de la plus grande prudence et s’impose la plus stricte discipline, notamment pour la consommation d’alcool. C’est ainsi qu’on évitera que ne soit endeuillée par de stupides tragédies cette grande fête nationale que doit être l’Exposition.» Il est vrai qu’à la différence des Genevois, qui ont eu droit à une autoroute pour l’Expo 64, les Fribourgeois ont dû attendre 1981 pour que la N12 soit achevée.

Des transports futuristes

Pas étonnant dès lors que le chroniqueur de «La Liberté» se soit montré enthousiaste en découvrant les transports futuristes proposés à l’intérieur de l’Expo. A commencer par ce surprenant télécanapé reliant la gare CFF de Sévelin, créée spécialement pour l’occasion, à la Voie suisse. Un système au «mode d’embarquement et de débarquement original», comme tente de l’expliquer le journaliste: «Par des rampes en spirale, nous accédons à une plate-forme circulaire qui tourne à la même vitesse que les trains du convoi et il n’y a plus qu’à s’asseoir, sans aucune hâte ni danger, pour descendre tranquillement jusqu’au niveau de l’Exposition.»

Confort et grand débit feront le succès de ce moyen de locomotion, comme le monorail destiné à transporter les visiteurs dans l’axe est-ouest de l’exposition, souligne encore Ferdinand Brunisholz.

Art et... extravagances

Parcourant l’exposition, le journaliste fribourgeois est séduit par l’audace de son architecture, mais moins par la sculpture de Jean Tinguely: «Il est normal qu’une exposition qui prétend nous amener à réfléchir sur notre avenir utilise toutes les possibilités des nouvelles techniques du bâtiment, se serve des matériaux - tel le plastique - que la science met à notre disposition et dont nous faisons un usage abondant dans notre propre vie. Bien sûr, on n’a pas toujours su éviter certaines extravagances, dans le choix des œuvres d’art, notamment. On n’a pas osé s’opposer à l’impérialisme du snobisme et éliminer des spécimens qui auraient davantage leur place dans un dépotoir, dont on semble en avoir tiré les éléments, que dans une manifestation destinée à mettre en vedette les forces créatrices de notre peuple.»

La machine Gulliver

Parmi les attractions proposées à l’Expo, «La Liberté» de l’époque retient le «jeu amusant» de Gulliver. Cette enquête de société soumise à plus de 580 000 visiteurs était destinée à cerner l’«Homo Helveticus». Craignant de révéler l’évolution des mentalités suisses, le Conseil fédéral en a finalement censuré les résultats. «Nous avons répondu aux 12 questions du sondage», raconte le journaliste. «L’ordinateur électronique nous a livré immédiatement ses conclusions. Pour mon compte, celles-ci m’ont appris que je partageais le goût des Romands pour les souvenirs de service militaire et le bon vin, et que j’aurais intérêt à ne pas quitter l’Exposition sans avoir visité le secteur des vacances. Le temps m’a fait défaut pour suivre les conseils d’une machine qui n’est pas à une malice près, puisqu’elle a fait un conservateur d’un confrère bien connu pour ses opinions radicales!» 

=> Voir le documentaire «Les secrets de Gulliver», dimanche sur RTS 2.

***

«Jonas» dans  le mésoscaphe

L’attraction emblématique de l’Expo 64 fut le mésoscaphe de Jacques Piccard, même si sa mise en service fut retardée à la mi-juillet, en raison de nombreuses dissensions entre le génial inventeur et les dirigeants de l’Exposition nationale. Le 15 avril 1964, «La Liberté» a pu participer, en compagnie de la presse internationale, à un essai de plongée de ce premier submersible touristique au monde, capable d’atteindre une profondeur théorique de 1500 mètres. Ferdinand Brunisholz raconte:

«Je me glisse par l’ouverture circulaire qui donne accès, par une échelle à descendre à reculons, dans la coque réservée aux passagers et à l’équipage. L’intérieur se présente comme un long cylindre métallique, dont les anneaux de la charpente de renfort ont un peu l’apparence des côtes d’une baleine. Espérons que celle-ci nous vomira, comme Jonas! (...) Nous ressentons une légère oscillation d’avant en arrière. Sur mon écran de télévision, je vois peu à peu s’enfoncer l’étrave du mésoscaphe puis s’effacer le paysage lorsque la caméra disparaît à son tour dans les flots. A 23 mètres environ, la plongée s’arrête et le pilote allume les projecteurs extérieurs. L’eau demeure trouble parce que nous sommes encore trop près de la surface. On distingue une masse de fines particules en suspension. O bleu Léman des poètes et des musiciens, comme tu es pollué! Un poisson fait cependant une fugace apparition dans mon champ visuel, suivi des hommes-grenouilles munis de torches qui font le tour du submersible et provoquent dans ce milieu verdâtre un bouillonnement de bulles d’air (...).

»Le mésoscaphe est remonté. Chacun en est intimement soulagé, même s’il ne le dira pas. Ces prototypes peuvent vous réserver de ces surprises! Mais nous avons tous le sentiment d’avoir vécu, durant ces vingt minutes sous le Léman, une expérience unique pour les terriens que nous sommes, solidement attachés au plancher des vaches!» PFY

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Journée fribourgeoise à succès

Premier canton à organiser sa Journée cantonale à l’Exposition nationale, Fribourg se devait de marquer un grand coup. A lire les cinq pages de compte-rendu publiées les 8 et 9 mai 1964 dans «La Liberté», le canton releva brillamment le défi le jour de l’Ascension, «dans une grandiose affirmation de son caractère et de ses traditions». Plus de 15 000 Fribourgeois se sont déplacés à Lausanne pour applaudir un cortège riche en évocations du passé mais aussi tourné vers l’avenir.

La foule des visiteurs s’est ensuite recueillie le temps d’une rencontre œcuménique, suivie d’un culte protestant et d’une célébration catholique animée par un chœur de 3000 chanteurs interprétant une messe polyphonique de l’abbé Pierre Kaelin, en présence de l’évêque François Charrière. Ce fut «le plus haut moment de la journée: celui de la prière de tout un peuple», souligna le journal.

Après un banquet officiel, accompagné de trois discours «presque inaudibles» en raison d’une «sonorisation insuffisante», vint le «jeu de fête», un festival de chant, de musique et de danse, combiné avec la projection du film «Un peuple jeune, un vieux pays», réalisé tout spécialement par Jacques Thévoz sur un scénario de l’artiste Yoki.

«Le film répond à notre attente», commente Pierre Barras. «Les scènes sont prises sur le vif. Le folklore, quand il y en a, n’est pas artificiel. La caméra nous découvre maints aspects de Fribourg qui sont nouveaux. (...) Tout cela sonne juste.» Et «La Liberté» de conclure: «Le 7 mai 1964, une belle page encore a été écrite avec ferveur au livre de notre histoire fribourgeoise.»

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