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«La dernière fois que je vis papa, nous venions d'être choisis par Mengele»

Holocauste • Dans «Auschwitz en héritage», la Genevoise Ruth Fayon nous livre ses cauchemardesques souvenirs d'adolescente dans les camps de la mort. Poignant.

Le 29 janvier, Ruth Fayon, rescapée des camps nazis d'Auschwitz, a raconté son histoire aux collégiens du Gymnase intercantonal de la Broye. © Vincent Murith/La Liberté
Le 29 janvier, Ruth Fayon, rescapée des camps nazis d'Auschwitz, a raconté son histoire aux collégiens du Gymnase intercantonal de la Broye. © Vincent Murith/La Liberté
Ruth Fayon a partagé son témoignage dans un livre publié en 2009. © Vincent Murith/La Liberté
Ruth Fayon a partagé son témoignage dans un livre publié en 2009. © Vincent Murith/La Liberté

Pascal Fleury

Publié le 05.10.2009

Temps de lecture estimé : 3 minutes

Mardi 27 janvier 2015, la libération du camp d'Auschwitz-Birkenau est commémorée 70 ans après. Cet article a été publié dans «La Liberté» du 5 octobre 2009.

«Mon violon, c'était mon refuge dans la tempête»: ce mélancolique souvenir de jeunesse aurait pu être tiré d'un roman à l'eau de rose. Seulement voilà, la tempête en question, c'était la Seconde Guerre mondiale. Et l'adolescente au violon, Ruth Fayon, une jeune victime de la Shoah, qui a survécu aux camps de concentation.Aujourd'hui âgée de huitante ans et plusieurs fois grand-mère, la Genevoise d'adoption raconte son terrible destin dans l'ouvrage «Auschwitz en héritage»*. Un témoignage poignant qui couronne trente ans de conférences dans les CO et les lycées. «Témoigner: c'est la mission des rescapés de l'usine de la mort», souligne-t-elle. Un devoir de mémoire pour empêcher pareilles abominations de se reproduire, pour combattre les négationnistes, mais aussi simplement pour rompre le silence: «Sinon, mes bourreaux auraient gagné.»

«Danse avec la mort»

Se confiant à l'historien et journaliste Patrick Vallélian, qui a confronté ses souvenirs avec la réalité historique et les a replacés dans leur contexte géopolitique, Ruth Fayon raconte son parcours infernal, sa «danse avec la mort», selon sa propre expression. Un récit sans fard, parfois terriblement sordide, mais plein d'espoir.Sa jeunesse aurait pu être des plus radieuses. Née en 1928 à Karlsbad, «sorte de Saint-Tropez de l'Empire austro-hongrois», la petite Ruth se régale de strudels aux pommes et au pavot dans le restaurant kasher de ses parents. Mais le bruit des bottes se fait toujours plus insistant. Le 1er octobre 1938, la famille doit se réfugier à Prague. Des «vacances», pour Ruth et sa s?ur Judith, qui vont se transformer en cauchemar.

Wagons à bestiaux

La nourriture vient à manquer, les amis se font rares, leur père est arrêté sur dénonciation. En août 1942, toute la famille est déportée vers le ghetto surpeuplé de Theresienstadt, une «station thermale» selon la propagande nazie, mais «où pourrissaient des dizaines de milliers de Juifs». Pour garder courage, la petite mélomane, qui a dû abandonner son violon chez un copain à Prague, chante dans de petits ch?urs.En décembre 1943, nouveau départ dans des wagons à bestiaux, diection Birkenau, en Pologne. Trois jours et demi sans ravitaillement avec, à l'arrivée, sous une pluie de coups de bâton, ce terrible avertissement: «D'ici, on ne ressort que par la cheminée.»Ruth Fayon a de la chance. Après six mois d'enfer, elle sort vivante du «camp des familles» d'Auschwitz. Malgré les humiliations, le travail forcé, la faim, le froid, les puces, les diarrhées quotidiennes... Etonnamment, c'est le tristement célèbre Dr Joseph Mengele qui l'arrache de cet enfer lors d'un tri de prisonniers. Il l'envoie travailler avec sa mère et sa s?ur sur les décombres de Hambourg en flamme. Ruth ne verra plus jamais son père.

Violon intact

A Hambourg, Ruth doit nettoyer les rues, un travail pénible pour son corps meurtri et amaigri. Une jeune garde SS lui prête un temps secours, mais les nazis sont aux abois. Au printemps 1945, ils évacuent les prisonniers vers Bergen-Belsen, un camp d'extermination peuplé de «squelettes vivants». Quand l'armée britannique délivre le site, Ruth ne pèse plus que 30 kilos.Après la guerre, la jeune fille récupérera son violon chez son ami, à Prague. Elle n'en jouera plus jamais: «Le violon, c'était ma jeunesse. Elle s'était envolée à cause des nazis. Il fallait que je tourne la page.»

* «Auschwitz en héritage» - De Karlsbad à Auschwitz, itinéraire d'une jeune fille dans l'enfer de la Shoah, Ruth Fayon et Patrick Vallélian. Ed. Delibreo, 2009.

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