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La Chine a soif de lait produit en Suisse

Exportations • Le récent accord de libre-échange facilitera les exportations de produits laitiers suisses vers la Chine. Mais les producteurs helvétiques craignent qu’il ne suffise pas à lever les entraves bureaucratiques.

Veronica DeVore

Publié le 25.07.2014

Temps de lecture estimé : 7 minutes

swissinfo.ch

La ferme de Robert Bischofberger, perchée sur les collines verdoyantes du canton d’Appenzell, au cœur de la Suisse, paraît hors du temps. Le paysan se souvient pourtant très bien quand les ennuis ont commencé: l’entreprise qui rachetait son lait a fait faillite en 2002, suite à l’arrivée d’un nouveau concurrent dans la région. Lui et les 700 autres fermiers qui faisaient des affaires avec elle se sont alors retrouvés du jour au lendemain sans débouchés pour leur production.

Sur le plan mondial, la demande de lait dépasse les quantités produites. Vue de l’extérieur, la solution paraissait donc évidente: puisque les paysans suisses produisent 30% de lait de plus que le pays n’en consomme, ne vaudrait-il pas mieux suivre l’exemple des Pays-Bas ou de la Nouvelle-Zélande et l’exporter vers la Chine, où le marché de cet or blanc a quadruplé depuis 2000?

Un accord prometteur

Le nouvel accord de libre-échange entre les deux pays, entré en vigueur le 1er juillet, facilitera encore les choses, puisqu’il élimine progressivement sur dix ans les taxes grevant la plupart des produits laitiers exportés vers la Chine. Mais Robert Bischofberger sait que cela ne suffira pas à assurer les arrières des producteurs helvétiques.

Il y a quelques mois, le Gouvernement chinois a envoyé plusieurs missions d’inspection en Suisse, dans le cadre du protocole d’application du traité de libre-échange. Elles étaient chargées de vérifier que les conditions de production des fermes et pâturages alpins helvétiques - dont celle de Robert Bischofberger - étaient conformes aux normes en vigueur en Chine.

Des questions de qualité

Le résultat? «Ils se sont focalisés sur des questions de qualité de l’air et de l’eau, raconte ce fermier de seconde génération, qui travaille son lopin de terre avec son fils, sa belle-fille et ses petits-enfants. La pollution est telle en Chine que les fermes sont obligées d’installer des filtres à air et à eau. Les inspecteurs chinois ont voulu appliquer les mêmes standards aux paysans suisses.» Or, l’air filtré en Chine est souvent moins pur que celui qu’on respire en Suisse, même sans filtration.

Ce manque de confiance dans la qualité des produits transparaît chez les consommateurs chinois: la population reste échaudée par le scandale du lait contaminé à la mélamine qui avait tué six enfants en bas âge et empoisonné des centaines de milliers d’autres en 2008.

«On entend presque chaque jour parler d’une nouvelle affaire de nourriture contaminée, déplore Guilin, qui dirige une entreprise bernoise exportant du lait en poudre et d’autres biens de consommation vers la Chine et qui salue l’entrée en vigueur de l’accord de libre-échange. Mais ce qui est encore pire, c’est que le gouvernement - craignant de causer du tort à son image - n’informe pas tout de suite le public lorsqu’un tel incident se produit. Cela a rendu les gens particulièrement méfiants et attentifs à la provenance des aliments qu’ils consomment.»

Robert Bischofberger a lui aussi constaté cette volonté de tout vérifier lorsqu’il a eu affaire à des clients chinois, sur place ou en Suisse. Pour un paysan isolé qui chercherait à exporter sa production en Chine, cet environnement mâtiné de soupçons et régi par une masse croissante de réglementations peut aisément apparaître comme un obstacle insurmontable.

Paysans suisses unis

C’est pourquoi lui et ses confrères ont décidé d’unir leurs forces. Lorsque son acquéreur unique a fait faillite en 2002, il a contribué à former le conglomérat fermier Nordostmilch. Mais peu après, le prix du lait suisse a chuté en raison d’un énorme surplus de la production. Robert Bischofberger et Nordostmilch ont alors compris qu’il leur fallait asseoir leur contrôle sur l’ensemble de la chaîne du lait helvétique.

«Actuellement, une fois que le fermier a remis son lait à l’acquéreur, il n’a plus aucune influence sur le reste du processus de vente, note le paysan. Pour contrer cette impuissance et régler le problème du surplus, nous avons commencé à réfléchir à la possibilité d’exporter du lait suisse et des produits finis laitiers de première qualité.»

C’est ainsi que Swissmooh SA est née, en tant que société sœur de Nordostmilch. «L’Asie figurait dans le premier business plan, en tant que marché en développement prometteur où les produits lactés sont en train de devenir des biens de grande consommation», se souvient Robert Bischofberger.

Promotion de la Suisse

L’organisation a pour but de promouvoir l’image de la Suisse - et de ses produits à base de lait - auprès d’une clientèle chinoise jeune et moderne, prête à payer davantage pour obtenir une bonne qualité. De la production à la vente en magasin des produits finis, l’ensemble du processus est contrôlé par les paysans.

Mais l’activisme des producteurs de lait helvétiques n’est pas du goût de tous. Swissmooh a été très critiquée en Suisse. «Certaines personnes ont de la peine à accepter qu’un groupe de paysans puisse être à l’origine d’un tel succès», glisse Robert Bischofberger, qui préside désormais le conseil d’administration de l’organisme de promotion laitier.

«Les producteurs se montrent quant à eux à la fois positifs et très critiques, précise-t-il. Les risques financiers sont importants et il n’y a aucune garantie que les marchés visés pourront être atteints. Nous ne pouvons pas assurer à nos membres qu’ils vont augmenter leur chiffre d’affaires. Mais à force d’efforts pour gagner leur confiance et pour démontrer notre efficacité, peut-être parviendrons-nous à convaincre certains d’entre eux de nous rejoindre.»

Avec la collaboration de Xudong Yang et Ting Song

«Les barrières subsisteront»

L’organisation Swissmooh a largement fait ses preuves: elle a passé des années à bâtir patiemment un réseau de contacts à travers le Secrétariat d’Etat à l’économie (seco), a collaboré avec une université pour réaliser une étude de marché et a étudié en détail l’écheveau des exigences chinoises en matière d’importations ainsi que les façons de s’y conformer. Swissmooh a même fondé une filiale, Swissmooh China, pour disposer d’une entité locale apte à gérer les questions logistiques liées aux importations.

Le fait que les produits laitiers suisses aient passé avec succès à travers le processus d’approbation des autorités chinoises sera aussi perçu comme un gage de qualité aux yeux du public chinois, pense-t-il. «Cela dit, certaines barrières à l’importation subsisteront. L’accord ne sera pas la panacée, mais il facilitera un certain nombre de procédures.» VD

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