La Liberté

Les migrants dépérissent en Grèce

Comme à Lesbos, les réfugiés échoués à Samos et à Chios survivent dans des conditions «inhumaines»

Publié le 25.12.2019

Temps de lecture estimé : 9 minutes

Mon souvenir de 2019
Chaque journaliste de «La Liberté» a sélectionné pour vous un article qui l’a touché(e) cette année.


Thierry Jacolet
Coresponsable 1er cahier

«Si on ne peut pas témoigner de visu, il faut donner la parole à ceux qui côtoient la misère du monde. C’est le cas de deux bénévoles romands qui ont accepté de parler de ces réfugiés entassés dans des camps sur les îles grecques de Samos, Lesbos ou Chios. Ils ont vu « des conditions de vie inhumaines».»


» Cet article a été publié initialement le 2 octobre 2019

Iles grecques » Combien de jours est-il possible de tenir avec 90 euros mensuels sur sa carte bleue pour couvrir les besoins de base? Peut-on résister à un cagnard à 35°C avec une seule bouteille d’eau de 1,5 l par jour? Quelle est la durée de vie d’une toilette partagée par 100 personnes dans une oliveraie?

Les camps de réfugiés des îles grecques de la mer Egée, aux portes de la Turquie, semblent servir de laboratoire aux tests de survie d’une bande de scientifiques sans états d’âme. Les migrants syriens, afghans, érythréens, camerounais, angolais ou congolais échoués à Lesbos, Kos, Leros, Chios et Samos suffoquent dans les centres d’accueil: ils sont plus de 26’000 pour 6300 places.

La situation dégénère

Autre question: comment placer 13’000 migrants dans un camp à Lesbos prévu pour 3200? Un casse-tête que les autorités grecques sont incapables de régler, tant elles sont dépassées par les événements. Dont les derniers: des vagues de nouveaux arrivants ont déferlé en septembre sur les plages grecques comme jamais depuis l’accord de mars 2016 entre l’UE et la Turquie (10 737 contre 3911 le même mois en 2018).

La situation a fini par dégénérer dimanche dernier à Lesbos, où un incendie a tué une réfugiée et fait 17 blessés, entraînant des émeutes entre des migrants à bout et les forces de l’ordre grecques. Si le calme est revenu lundi, toutes les conditions sont réunies pour que les dérapages se reproduisent dans les autres camps surpeuplés.

«La situation est aussi critique à Samos», témoigne Pierre-Alain Schmied. «Il y a beaucoup de tensions entre les communautés. Les actes de violence sont fréquents, par exemple dans les files d’attente de plusieurs heures parfois pour recevoir une bouteille d’eau ou un repas.» Après un mois de bénévolat, ce médecin vaudois à la retraite est rentré vendredi dernier, une nouvelle fois secoué par ce nouveau séjour.

« Des familles vivent dans la forêt et dorment sur des cartons »

Pierre-Alain Schmied

«Ces gens vivent dans des conditions épouvantables, inhumaines», raconte-t-il. «Il n’y a ni tentes ni couvertures pour les nouveaux venus. Comme il manque de place, ceux-ci se débrouillent pour dormir dans «la jungle» de Samos. Des familles vivent ainsi dans la forêt et dorment sur des cartons avec les risques de se faire mordre par un serpent venimeux ou un rat…»

Sur place en avril et fin août, le Vaudois a pu observer la dégradation des conditions de vie. La population est passée de 3000 à 6000 migrants en quelques mois dans le camp de Vathi d’une capacité de 680 à 700 places. Ce médecin bénévole de l’ONG française MedEqualiTeam, la seule dispensant exclusivement les soins médicaux à l’extérieur du centre d’accueil – qui reste interdit à ces organisations – voyait passer 150 à 200 patients par jour. «Les nouveaux migrants doivent être consultés 2-3 jours après leur arrivée par l’unique médecin officiel du camp pour déterminer leur degré de vulnérabilité», souligne Pierre-Alain Schmied. «Mais pour ceux qui arrivent actuellement, ce n’est pas possible avant décembre ou janvier…»

L’attente, un supplice

Et entre-temps? Les ONG aident les migrants à avoir accès aux soins médicaux de base, à l’eau potable, à la nourriture… «Les autorités, l’administration du camp n’offrent rien qui permettrait de trouver un peu de dignité», déplore Pierre-Alain Schmied. De séjour en séjour, le Vaudois voit aussi les maladies gagner du terrain: les épidémies de gale, de poux, la dénutrition, la déshydratation, mais surtout les troubles psychiatriques. «La majorité des migrants a subi des violences, des viols, des tortures répétées, tant physiques que psychiques», insiste-t-il.

A Samos, il faut y ajouter l’attente, que ce soit pour manger ou pour se laver. C’est même un supplice pour ceux qui espèrent ne pas faire de vieux os dans le camp. Les procédures de demandes d’asile sont très longues. L’entretien avec les services de l’asile pour définir les droits des requérants est fixé en 2022-2023 pour ceux qui arrivent ces jours…

Entretien dans deux ans

«J’en connais qui sont là depuis deux ans et leur rendez-vous est dans deux ans», se désole Mary Wenker qui a fondé l’ONG Choosehumanity. Elle est active à Chios auprès des 3600 migrants qui s’entassent dans un centre d’accueil adapté pour 1000 personnes. «Psychologiquement, les gens sont détruits. Ils arrivent avec de gros traumatismes qui ne font que s’aggraver dans un camp pareil. Ils sont toujours en attente de tout.»

Certains peuvent rester dans une file deux heures durant sans savoir si de la nourriture leur sera distribuée. Et encore c’est une barquette bourrée d’additifs qui ne dépasse parfois pas 500 calories à midi, d’après la Fribourgeoise. «C’est pareil le soir. Alors, beaucoup trouvent un moyen pour cuisiner eux-mêmes ou acheter de la nourriture.»

C’est que chaque migrant arrivé dès 2015 en Grèce, majeur et sans revenus, a droit à une carte bleue créditée mensuellement de 90 euros délivrée par le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (UNHCR) afin d’assurer les frais de base en Grèce. De quoi se payer par exemple le taxi pour se rendre à l’hôpital qui est éloigné. Histoire aussi de s’échapper de l’enfer du camp pour caresser du regard les plages, paradis touristique grec.


«Il faut sortir ces migrants des camps»

Pour Boris Cheshirkov porte-parole du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (UNHCR), en Grèce, les pays européens doivent soulager Athènes.

Le Gouvernement grec a réagi à la crise humanitaire dans les îles grecques, en annonçant le renvoi de 10 000 migrants en Turquie d’ici à fin 2020, contre un peu plus de 1800 en quatre ans et demi. Une solution judicieuse?

Boris Cheshirkov: Nous ne pouvons rien dire tant que nous n’avons pas vu les plans détaillés annoncés par Athènes. Les retours constituent un aspect de la gestion des flux de réfugiés qui, en Grèce, sont principalement des familles afghanes et syriennes. Mais la priorité de l’UNHCR est que les personnes fuyant les guerres, la violence et les persécutions aient accès à des procédures de protection et d’asile équitables et efficaces.

Qu’attend l’UNHCR des autorités grecques?

Nous leur avons demandé de sortir de toute urgence des milliers de migrants des centres d’accueil dangereusement surpeuplés des îles grecques de la mer Egée. Il faut aussi qu’elles prennent rapidement des mesures pour accélérer le transfert des 5000 demandeurs d’asile déjà autorisés à poursuivre leur procédure d’asile sur le continent. Parallèlement, de nouveaux lieux d’hébergement doivent être aménagés pour empêcher la pression des îles de se propager sur la Grèce continentale, où la plupart des sites fonctionnent à plein régime. L’UNHCR est prêt, avec le soutien continu de l’UE et d’autres donateurs, à étendre son aide par le biais d’un programme de mise à disposition d’argent permettant à des demandeurs d’asile autorisés de quitter les îles et de s’établir sur le continent.

L’UE doit-elle faire preuve de plus de solidarité envers la Grèce?

Oui et pas seulement en termes de financement, mais en accueillant des demandeurs d’asile en relogement. Cette année, la Grèce a accueilli la majorité des arrivées dans la région méditerranéenne, soit environ 45 600 personnes sur 77 400. Le programme d’urgence mis en place jusqu’en septembre 2017 a permis de déplacer 23 000 personnes. C’était un moyen utile de partager la responsabilité avec la Grèce. Les besoins sont à présent criants mais les lieux de réinstallation ne se sont pas ouverts au cours des deux dernières années.

Et quel sort pour les nombreux enfants non accompagnés des camps en Grèce?

Ils sont 4400 et leur sort est particulièrement préoccupant. Seul un enfant sur quatre est dans un refuge adapté à son âge. À Samos, plus d’une douzaine de filles non accompagnées dorment à tour de rôle dans un petit conteneur, tandis que d’autres enfants sont obligés de dormir sur le toit des conteneurs. L’UNHCR appelle les États européens à ouvrir en priorité des lieux pour leur réinstallation et à accélérer les transferts des enfants éligibles pour rejoindre la famille. TJ

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