La Liberté

Un juriste inconnu à la tête du pays

Proposé par les antisystème et l’extrême droite, Giuseppe Conte formera le prochain gouvernement

Publié le 24.05.2018

Temps de lecture estimé : 6 minutes

Italie »   Le président italien Sergio Mattarella a chargé hier Giuseppe Conte de former le prochain gouvernement, à l’issue de 80 jours de tractations après les législatives. Le nouveau président du Conseil, juriste, a été proposé par les antisystème et l’extrême droite.

«Le président de la République, Sergio Mattarella, a reçu cet après-midi le professeur ­Giuseppe Conte, auquel il a donné le mandat pour former le gouvernement», a déclaré à la presse le secrétaire général de la présidence, Ugo Zampetti.

Le nom de M. Conte avait été proposé lundi soir par le Mouvement 5 Etoiles (M5S, antisystème) et la Ligue (extrême droite), qui ont élaboré un programme commun résolument antiaustérité et sécuritaire.

Une grande attente

«Là-dehors, il y a un pays qui attend la naissance d’un gouvernement du changement et qui attend des réponses», a déclaré M. Conte devant la presse après près de deux heures d’entretien avec M. Mattarella. «Je me propose d’être l’avocat de la défense du peuple italien», en particulier «devant les instances européennes et internationales», a-t-il ajouté en évoquant un «dialogue» avec les institutions européennes.

«Je suis conscient de la nécessité de confirmer la place de l’Italie en Europe et dans le monde. Le gouvernement devra œuvrer sur les thèmes du budget européen, de la réforme du droit d’asile et de l’aboutissement de l’union bancaire», a-t-il insisté sans plus de précision.

«Dans les prochains jours»

Arrivé en taxi, il est également reparti en taxi, mais accompagné d’une escorte policière. M. Mattarella a hésité 48 heures avant de le nommer, peu convaincu de l’autorité de ce discret professeur de droit de 53 ans sans expérience politique face aux poids lourds de la Ligue et du M5S qui devraient devenir ses ministres.

Il a annoncé qu’il reviendrait «dans les prochains jours» présenter au président la liste de ses ministres, qui fait l’objet d’âpres négociations entre le M5S et la Ligue. Une fois validé par M. Mattarella, le gouvernement devra se présenter devant la Chambre des députés et le Sénat pour obtenir leur confiance.

Selon les médias italiens, M. Salvini, patron de la Ligue, devrait devenir ministre de l’Intérieur, tandis que Luigi Di Maio, chef de file du M5S, hériterait d’un grand ministère du Développement économique.

Le nom qui pose le plus de problèmes est celui que la Ligue veut imposer pour le portefeuille de l’Economie: Paolo Savona, un ancien ministre (1993-1994) de 81 ans considérant l’euro comme une «cage allemande» pour l’Italie.

Tour de vis sécuritaire

Garant du respect des traités internationaux, M. Mattarella, élu par un parlement à majorité de centre gauche, tient à s’assurer que l’Italie respectera ses engagements européens. Le programme commun négocié par le M5S et la Ligue tourne en effet résolument le dos à l’austérité et promet de combler les déficits avec une politique de croissance. Il prévoit des baisses drastiques d’impôts, l’instauration d’un revenu de citoyenneté ou encore l’abaissement de l’âge de la retraite dans le deuxième pays le plus vieux du monde.

De quoi inquiéter à Bruxelles, où le commissaire européen aux Affaires économiques, Pierre Moscovici, a appelé hier l’Italie à apporter «une réponse crédible» sur sa dette publique, la deuxième plus élevée de la zone euro après la Grèce.

Sous l’impulsion de la Ligue, le programme commun promet aussi un tour de vis sécuritaire, anti-immigrés et anti-islam. Interrogé à ce sujet alors qu’il recevait des responsables de l’Union africaine, le président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker a promis de rester «attentif pour sauvegarder les droits des Africains qui sont en Italie».

ATS/REU/AFP


 

«La voie pour sortir de l’impasse est étroite»

Pour Massimo Cacciari, philosophe et maire de Venise jusqu’en 2010, malgré leur alliance, Matteo Salvini (Ligue) et Luigi Di Maio (M5S) se rendent compte que seule une infime partie de leur programme est réalisable.

Grande angoisse du moment, le risque d’une sortie de l’Italie de l’euro est-il concret?

Massimo Cacciari: Indépendamment de la situation italienne, l’Europe est en crise. L’UE n’a pas réussi à affronter la crise de 2007. Il y a eu la Grèce, puis l’Espagne, et maintenant l’Italie. Il faut espérer qu’un accord Macron-Merkel parvienne à relancer l’unité politique de l’UE. Si ce n’est pas le cas, l’Europe s’écroulera d’elle-même.

Que faudrait-il changer dans l’urgence?

Il faut, par exemple, revoir les traités sur l’immigration. Et l’Allemagne doit accepter une politique de développement. Salvini et Di Maio iront à Bruxelles pour demander plus de marge de manœuvre sur ces questions. Je ne crois pas que le M5S et la Ligue soient irresponsables au point de laisser filer le déficit budgétaire et de ne pas se soucier de la dette publique, ce qui voudrait dire aller à l’affrontement avec Bruxelles.

Comment sortir de l’impasse annoncée?

D’un côté, il faut espérer que Salvini et Di Maio soient raisonnables, mais aussi que l’UE change. Pour réaliser un minimum de leurs promesses, Salvini et Di Maio ont besoin que l’Europe leur dise oui à un peu plus de déficit. Il leur suffirait d’obtenir un début de révision des politiques européennes pour tranquilliser leur électorat. Mais s’ils reviennent avec les mains vides, ils feront campagne contre Bruxelles. La voie est donc extrêmement étroite. Il suffit d’un rien pour une sortie de route. Mais pour l’Europe, c’est une chose de faire le bras de fer avec Tsipras et de le contraindre à faire marche arrière… Ça en sera une autre de le faire avec l’Italie.

Eric Jozsef, © Libération

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