La Liberté

«Je ne suis pas pressé de remarcher!»

L'invité du lundi • Pierre-Pascal Rossi, l’ancien aventurier du TJ et de «Passe-moi les jumelles», installé à Neuchâtel, vit aujourd’hui en chaise roulante. Et à notre connaissance, d’après ce qu’on a vu, il a rarement été aussi heureux…

Pierre-Pascal Rossi: heureux rescapé d’un temps où les médias ne savaient pas encore tout. © Stephano Iori
Pierre-Pascal Rossi: heureux rescapé d’un temps où les médias ne savaient pas encore tout. © Stephano Iori
Pierre-Pacal a présenté le téléjournal de 1982 à 1989. © RTS
Pierre-Pacal a présenté le téléjournal de 1982 à 1989. © RTS

Pascal Bertschy

Publié le 15.12.2014

Temps de lecture estimé : 10 minutes

Il n’a jamais pris le monde de haut et l’idée n’est pas près de l’effleurer, maintenant qu’il vit en fauteuil roulant. Pierre-Pascal Rossi a perdu l’usage de ses jambes en 2013. Le pauvre, dites-vous? Ne le faites pas rire. Pour s’être allégé de bien des choses et installé à Neuchâtel, ville qui l’enchante, il est heureux et serein, sans doute comme jamais.

Quel aventurier! Si la vie l’a gâté, lui l’a brûlée longtemps par les deux bouts. Le public n’en savait rien. Quelle importance? Il aimait ce petit prince de la télévision. Avant de porter le chapeau dans «Passe-moi les jumelles», il avait présenté le TJ et le refermait chaque soir sur ce mot: «Telle a été cette journée en Suisse et dans le monde à notre connaissance.» Pareil trait d’humilité laisse rêveur en 2014. Et montre que Rossi, dans ses folles années, était déjà doué de sagesse…

- Pierre-Pascal, qu’est-ce qui a fait que vous êtes en chaise roulante?

En février 2013, je suis allé fêter seul mes 70 ans à Cuba. Je suis parti comme si c’était pour mes 20 ans! A La Havane, j’ai attrapé une infection à un doigt qui a dégénéré. Mon bassin était pris dans un étau et la douleur était telle, après quelques jours, que je me suis fait hospitaliser. Verdict: infection générale des poumons, avec un abcès de pus sur la nuque qui appuyait sur mes cervicales et entraînait une paralysie. On m’a opéré d’urgence le jour de mon anniversaire et, à mon réveil, je ne bougeais plus.

- Que s’est-il passé ensuite?

Après quatre semaines dans cette clinique, où j’étais entouré de gaies et jolies Cubaines qui venaient regarder leur «telenovela» dans ma chambre, on m’a rapatrié à Genève. J’ai passé ensuite un an à Nottwil, au Centre suisse des paraplégiques. Au début, selon les médecins, je n’avais aucune chance de remarcher. Mais, vu mes progrès au fil des mois, je suis sorti avec un mince espoir de me remettre un jour debout. Tant mieux si c’est le cas, mais je ne suis pas pressé de remarcher!

- Il est vrai, ce mensonge?

Très vrai. Moi qui suis contemplatif et pour le ralentissement, pour un retour à la lenteur naturelle, je ne suis pas pressé. N’ayant rien d’urgent à faire, je profite des avantages offerts par cette situation et songe d’ailleurs à écrire un livre sur les privilèges d’être en chaise. Tenez, je vous en donne déjà un: on est remarqué quand on entre dans un bistrot et lorsqu’on y retourne, on passe aussitôt pour un bon client.

- Vous êtes heureux, dites-vous…

Très heureux! J’habite au centre de Neuchâtel, ville idéale, je me suis fait de nouveaux amis et j’ai une nouvelle vie qui s’apparente à une dernière jeunesse. Vous savez, en se détachant du superflu et de ses illusions, on devient léger et on atteint enfin l’essentiel.

- Vous a-t-on déjà dit que votre formule, à la fin du TJ, était géniale?

Cette phrase était une façon de rappeler que nous n’étions pas sûrs de tout savoir, mais rien de neuf là-dessous. La sagesse chinoise le disait déjà: connaître son ignorance, c’est peut-être la meilleure part de la connaissance.

- Dans un «Temps présent», naguère, pourquoi ou pour qui aviez-vous confessé votre alcoolisme?

Je l’ai fait pour les gens qui me voyaient alcoolisé dans les bistrots de Genève que je fréquentais à l’époque. Mon expérience au téléjournal a été enrichissante et son souvenir m’est devenu agréable. Pourtant, sur le moment, ça me dérangeait d’occuper cette vitrine. Avec l’aide de mon épouse d’alors, Solange, j’ai pu traverser cette période en gardant plus ou moins les pieds sur terre. Sans échapper, toutefois, à un alcoolisme destructeur.

- A l’écran, ça ne se remarquait pas.

La période la plus sombre a été celle où je présentais le TJ. Après, il y a eu «Passe-moi les jumelles». On tournait souvent en Valais et, là-bas, les gens sortaient les bouteilles dès notre arrivée. C’était leur blague: voilà «Passe-moi les bouteilles», disaient-ils. A deux heures du matin, quand les Valaisans s’écroulaient, moi je tenais encore debout. Tout s’est fini par une cure de désintoxication

- Adolescent, de quoi rêviez-vous?

A quinze ans, je voulais être Rimbaud. Pour écrire et voyager, ce que j’ai fait finalement comme journaliste. Dans l’idéal, j’aurais dû naître cinquante ans plus tôt. Ce que j’aurais voulu, c’est voyager à la façon de Cendrars. Les gens croient voyager, maintenant, alors qu’ils ne font que bouger. Je tiens le tourisme de masse pour une des trois catastrophes du XXe siècle. Les deux autres sont la voiture - et j’en avais une! - et la télévision, dont j’avais pourtant fait mon métier.

- Ah bon, la télévision aussi?

Cet outil magnifique participe désormais de l’abrutissement général et de la déculturation des pays du tiers-monde. Distractions, distractions! Nous vivons à l’ère de la médiocrité, mais la télévision n’est pas seule en cause. La catastrophe majeure du XXIe siècle, selon moi, c’est le smartphone. Et pourtant j’en ai un…

- Vous si charmeur, quel a été votre palmarès côté cœurs féminins?

Séduire sans amour, ça devient vite ennuyeux et ça amène surtout au mensonge. A 60 ans, je me suis promis de ne plus mentir à qui que ce soit sur quelque sujet que ce soit. Je préfère dire la vérité. Tenir constamment le langage de la vérité, vous savez, c’est plus facile qu’on ne l’imagine.

- Parmi les différentes périodes de votre vie, y en a-t-il une qui vous paraît meilleure que les autres?

La meilleure, c’est aujourd’hui.

 

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C’était hier

Tel a été ce présentateur à part

Du temps du téléjournal, qu’il a présenté de 1982 à 1989, où l’habit de «roi» de l’info lui pesait. «Quand tu occupes ce rôle, on s’intéresse à toi pour ce que tu représentes et non pour ce que tu es», dit Pierre-Pascal, qui refusait alors les mondanités et les conférences rémunérées liées à ce poste. Il avait même «fui physiquement» la Suisse romande en allant habiter en France voisine… RTS

 

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Pierre-Pascal Rossi et aussi ceci

> Ce qu’il aimerait qu’on dise de lui: «Du mal, parce que je m’en fous.»

> Un luxe: «Etre vivant et en bonne santé.»

> Une gourmandise: «Une jolie femme.»

> Des voyages ineffaçables: «Mon premier en Afrique dans les années 1960 et mon dernier en Amérique latine, c’est-à-dire à Cuba.»

> Ses écrivains favoris: «Modiano et James Ellroy, que j’avais rencontré à ses débuts.»

> Ses musiciens préférés: «Keith Jarrett côté jazz, Bach et Schubert côté classique.»

> Son cinéaste fétiche: «Federico Fellini.»

> Quelqu’un qu’il admire: «Je respecte tout le monde, mais n’admire personne. Aucun individu ne me semble digne d’être idolâtré.»

> Un souvenir d’enfance: «La traversée du Simplon lorsqu’on allait au bord du lac Majeur, d’où venait ma mère. Après avoir quitté cette triste vallée du Rhône, puis traversé le tunnel, il y avait tout à coup le soleil! C’était l’Italie, c’était le sud, et tout brillait. Même les habits des douaniers italiens tranchaient avec l’uniforme gris de leurs collègues suisses…»

> Son pire souvenir professionnel: «Sabra et Chatila (il était à Beyrouth en 1982 lors du massacre commis dans ces camps de réfugiés palestiniens et, devant les cadavres, n’avait pu contenir son émotion à l’antenne, ndlr).»

> Et son meilleur souvenir télé: «Ma dernière apparition pour les 50 ans du téléjournal, en 2004, qui réunissaient les anciens présentateurs. A la fin, j’ai dit ma petite phrase - telle a été cette journée en Suisse… J’ai ajouté: mais si vous voulez vous tenir informé non pas de ce qui se passe dans le vaste monde mais ici, juste à côté de vous, vous avez toujours la possibilité d’éteindre le poste.»

> Là où il se sent toujours bien: «C’est où je vis actuellement, ici à Neuchâtel.»

> Là où on ne le verra jamais: «Au McDo.»

> Ce qui a le don de l’énerver: «La bêtise.»

> Ce qui le fait toujours rire: «Les gens prétentieux, mais aussi les blagues bébêtes.»

> Et ce qui l’émeut: «Le jour qui se lève et la nuit qui tombe, ces deux points qui marquent le temps avec lequel on ne peut tricher.» PBy

 

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Bio express

Ce cher «PPR»

> Naissance en 1943.

> Jeunesse à Genève, sa ville natale, avec un père typographe, une mère italienne, ainsi qu’un frère aîné.

> Est journaliste, écrivain, et vit à Neuchâtel depuis mai dernier.

> A été marié deux fois et est sans enfant.

> Après avoir débuté dans la presse écrite, a rejoint la Télévision suisse romande en 1969 et y restera jusqu’à sa retraite anticipée en 2003.

> A été grand reporter à «Temps présent», a présenté le téléjournal, produit et animé l’émission littéraire «Hôtel», puis «Passe-moi les jumelles».

> A publié notamment «Le pêcheur de lune» et «Le voleur de pluie» (Zoé). Est aussi l’auteur du scénario de «Tout un hiver sans feu», film de Greg Zglinski sorti en 2004.

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