La Liberté

«J’ai cette fierté: j’écris pour «La Liberté», donc je ne bosse pas pour n’importe qui»

L'invitée du lundi • Ariane Ferrier, notre chroniqueuse genevoise, joue à l’écrit une musique bien à elle et publie «Fragile», qui réunit la plupart de ses textes parus dans «La Liberté». Avec en prime une préface de son ami Alexandre Jardin.

«Moi qui ai été punk, avoir 50 ans m’a scandalisée», confie Ariane Ferrier. © Alain Wicht/La Liberté
«Moi qui ai été punk, avoir 50 ans m’a scandalisée», confie Ariane Ferrier. © Alain Wicht/La Liberté
Ariane Ferrier: le quotidien est une farce, si bien qu’elle ne passe pas une journée sans rire. © alain wicht
Ariane Ferrier: le quotidien est une farce, si bien qu’elle ne passe pas une journée sans rire. © alain wicht

Pascal Bertschy

Publié le 24.11.2014

Temps de lecture estimé : 11 minutes

C’est elle qui, tels mardis dans votre journal, manie l’humour avec sérieux. Ariane Ferrier, de Genève, a trouvé son bonheur à «La Liberté» de Fribourg. Et publie «Fragile» (chez BSN Press), qui réunit ses chroniques parues dans nos pages. Le livre est préfacé par Alexandre Jardin, qui écrit d’elle: «Tous les peine-à-jouir de l’univers devraient la haïr, tous les aigris lui en vouloir; mais elle désarme en riant aussitôt, d’elle-même et de la vie farceuse.»

Parce que papa dirigeait la banque Ferrier & Lullin à Genève, Ariane est née en ayant tout. Très vite, elle a voulu autre chose. Après une carrière d’enfant terrible, avec à la clé un renvoi du Rosey à Gstaad, elle est devenue journaliste. Du genre à courir le monde et à interviewer aussi bien Pierre Desproges que le dalaï-lama. Elle épousera un prince à la fois charmant et brillant, dont elle a eu deux filles adorées, puis fera mille choses. Si la fantaisie et la passion n’ont jamais quitté cette folle de cinéma et de littérature, elle s’est un peu assagie et on en sourit. Vient un temps où même les doux insortables éprouvent le besoin de rentrer en eux-mêmes…

- Ariane, c’est bien d’écrire dans «La Lib»?

Tu rigoles? J’ai trouvé chez vous des gens accueillants et une liberté totale, loin des normes de la presse formatée. Pour moi, ce mariage est aussi heureux que réussi. Et j’ai cette fierté: j’écris pour «La Liberté», donc je ne bosse pas pour n’importe qui.

- L’écrivain Alexandre Jardin, qui t’a fait une belle préface, compte-t-il parmi tes amis?

Oui, depuis vingt-cinq ans. Nous nous parlons presque tous les jours, et ce n’est pas le gars qui laisse tomber son monde. Je me sens comme sa grande sœur et sa préface est un geste d’amitié, un de plus.

- Travailles-tu par nécessité financière?

Non, sur ce plan, je m’en sors toute seule. Je suis en préretraite et j’écris par plaisir.

- Est-ce qu’on t’a beaucoup chicanée, dans ta jeunesse, à propos de ta riche famille?

A mes yeux d’enfant qui ne connaissais rien d’autre, vivre dans un milieu aisé n’avait rien d’extraordinaire. Mais cela semblait faire fantasmer certains et, quand on me cherchait là-dessus, je disais passer mes journées à jouer au bridge et au golf, et que c’était d’un ennui! Je m’en suis sortie par l’autodérision.

- Où as-tu forgé cette arme de dissuasion?

Se retrouver à 11 ans au Rosey à Rolle, ça n’a l’air rien. Mais dans cet institut qui a compté parmi ses élèves le shah d’Iran, le prince Rainier, Joe Dassin et tant d’autres, il faut faire sa place. Et quand on ne peut pas jouer des coudes à la façon d’un garçon, une fille doit s’imposer autrement. C’est là que j’ai appris deux choses. Un: l’autodérision empêche de se noyer. Deux: si tu as le sens de l’humour et réussis à les faire rire, les gens deviennent tes otages.

- A l’adolescence, m’as-tu dit, tu as séjourné également au pensionnat de Pensier…

J’y ai connu celle qui est devenue ma meilleure amie et la marraine de mes enfants. Il y avait aussi des filles, dont Marie d’Orléans, qu’il m’arrive de revoir dans les magazines. Quand je lis «Point de vue», je tombe souvent sur des copines et copains. Et je fais mes petits commentaires, genre: elle, tiens, elle a un lifting…

- Pour avoir connu Pensier, tu n’es donc pas perdue quand tu te pointes à Fribourg…

Pas une seconde, d’autant que j’y ai des amis. J’y serai d’ailleurs à Noël, où je ferai une retraite à la Maigrauge. Je n’aime pas Noël et plutôt que de faire la gueule aux miens à la maison, je préfère m’éclipser et m’offrir deux ou trois jours de silence.

- D’accord de parler de ton gendre sportif?

Mais oui, il s’agit de John Gobbi (capitaine du Lausanne HC, n.d.l.r.). Quand il a gagné le titre avec Zurich, j’ai sangloté. Et pour ce qui est de parler de hockey sur glace, c’est quand tu veux! John est une crème d’homme et même le fils que j’aurais rêvé d’avoir. L’ami de ma cadette est également adorable. Je suis une mère qui aime ses gendres. S’ils ont choisi mes filles, c’est la preuve qu’ils ont un goût exquis. Mais s’ils rendent mes filles malheureuses, un jour, ils me trouveront sur leur chemin.

- Ce qui m’a scié, dans tes chroniques, c’est ton absence de coquetterie sur ton âge…

Oh! j’ai longtemps fait ma chochotte. Moi qui ai été punk, avoir 50 ans m’a scandalisée. Et puis, à 51, je me suis regardée et j’ai réalisé que la cinquantaine est le plus bel âge. C’est l’adolescence sans boutons, sans parents pour fixer une heure de rentrée, sans profs, mais avec le permis de conduire. Comme on a déjà eu des enfants, on n’est pas non plus contrainte de trouver un père pour les concevoir. On est au cœur de sa maturité, de sa beauté de femme, et on n’obéit qu’à soi-même. C’est le moment où on redevient jeune et sauvage, où on fait ce qu’on veut.

- As-tu brisé beaucoup de cœurs jusque-là?

Pas mal, mais on a aussi piétiné le mien.

- La vie à deux, tu en as déjà fait le tour?

L’amour est la grande affaire de ma vie, mais le couple, c’est différent. Je ne fais ni les courses, ni à manger, j’ai mes filles, mes chats, mes films, mes livres, donc peu de place à donner à un homme. La vie à deux mais chacun de son côté, oui, à la rigueur. Mais un homme a besoin d’une maman, en général, et je serais incapable de tenir ce rôle. Je ne suis pas assez sympa, et trop névrosée pour être mariable.

- Ton livre s’intitule «Fragile». Rigolo, ça: le Terminator de Genève se dit vulnérable…

Tu ne te rends pas compte. Ma vie chaotique m’a fait tomber dans des gouffres, dont les drogues dures à 20 ans. Si j’ai l’air d’être forte, c’est parce que j’ai fini par accepter ma fragilité et qu’elle m’a donné accès au «connais-toi toi-même» de Socrate.

- Dois-tu te forcer pour voir du drôle en tout?

Jamais. J’ai le don de voir de la cocasserie partout. Une femme dans un ascenseur qui a mis trop d’Opium, et ça me fera rire. J’ai l’œil rigolard, mais mes filles disent que je suis loufoque! L’autre nuit, j’ai rêvé que j’interrogeais ma cadette sur ses devoirs et qu’elle me répondait: «Qu’est-ce que ça peut te foutre!» Le lendemain, je ne lui ai pas parlé de la journée. Maman tu es une loufoque, voilà ce que j’entends…

 

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Bio express: Le fil de sa vie

> Naissance le 8 décembre 1958.

> Enfance à Genève avec un père banquier, une maman mère au foyer, ainsi que deux frères et une sœur.

> Vit dans la campagne genevoise, a été mariée et a deux filles, Juliane (25 ans) et Mathilde (21).

> Est journaliste et a travaillé naguère pour «La Suisse», la «Tribune de Genève», «24 heures» et notamment «Le Matin».

> A présenté «Box-office» sur la Télévision suisse romande de 1997 à 2001.

> Est chroniqueuse au journal «La Cité» et, depuis près de dix ans, à «La Liberté».

> A deux chats, Lilou et LaZouz, ainsi qu’une dépendance notoire à Facebook.

> Publie «Fragile» (chez BSN Press), livre qu’elle dédicacera le samedi 6 décembre dès 14h à la librairie Payot, à Fribourg.

 

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Ariane, cette effrontée chronique

> Ce qu’elle aimerait qu’on dise d’elle: «C’est une chic fille.»

> Un luxe: «Passer une nuit à l’hôtel, y compris parfois dans ma propre ville.»

> Une gourmandise: «Il me serait impossible de vivre sans chocolat.»

> Un pays où elle pourrait vivre: «Il y en a plein, l’Italie en tête.»

> Les airs qui bercent ses jours: «J’écoute souvent Aznavour, qui me fait pleurer. Sinon, il y a le gros rock qui tache. Led Zep, les Stones…»

> Les livres qui ont particulièrement compté: «D’abord «Une prière pour Owen», de John Irving, ensuite «Boy» de Christine de Rivoyre.»

> Les films qui lui ont fait adorer le cinéma: «Cabaret» et «Lacombe Lucien».

> Un bel homme: «Aznavour à 60 ans et Ventura à tous les âges.»

> Quelqu’un avec qui elle n’aimerait pas se retrouver coincée dans un ascenseur: «N’importe qui de la famille Le Pen.»

> Des gens qu’elle admire: «Ce sont souvent des femmes qui m’épatent. Comment, les femmes ne s’entendent guère entre elles? Ce que ça m’énerve d’entendre toujours ce truc! Dans la vie, en ce qui me concerne, je n’aurais rien pu faire sans les femmes.»

> Un souvenir d’enfance: «Mon chien Anouk, qui était une lassie noir et blanc. Comme nous étions nées toutes les deux en même temps, j’ai longtemps cru qu’elle était ma sœur…»

> Ce qui a le don de l’énerver: «Les gens arrogants et mal élevés.»

> Ce qui la fait rire: «Louis de Funès.»

> Ce qui l’effraie: «L’idée qu’il arrive quelque chose à mes filles ou à mes proches. Même si j’ai fait dix fois le tour du monde, j’ai aussi peur de prendre l’avion. D’une manière générale, je suis une grosse trouillarde.»

> Ce qui la réjouira toujours: «Me glisser dans mon lit, le soir, avec un livre. Il faut le savoir, je suis très pantouflarde et même la personne la plus ennuyeuse de la Terre!» 

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