La Liberté

«Je me sens utile et à la fois débordé!»

L'invité du lundi • Armé de sa rose, ce cantonnier aconquis Fribourg depuis longtemps. Avec son épouse, il a toutefois fait mieux encore en élevant sept enfants.

Michel Simonet, cantonnier, poète et philosophe. © Charly Rappo
Michel Simonet, cantonnier, poète et philosophe. © Charly Rappo

Pascal Bertschy

Publié le 11.02.2013

Temps de lecture estimé : 9 minutes

Où serait la fraîcheur du monde sans de tels anges? Lui, c’est le cantonnier à la rose. Celui qui, à Fribourg, pousse un chariot orné d’une fleur et balaie avec ardeur. Michel Simonet est père de sept enfants, aussi. Homme doux et grand sportif. Catholique pratiquant et esprit curieux de tout.

Sa sagesse impressionne, sa modestie idem. Lui qui avait fait des études, naguère, il a choisi la voirie par vocation. Au fou? Non, à voir la sérénité qui éclaire son visage, on comprend son choix. Les métiers humbles ont beau être mal notés, ils permettent de respirer un air sain et on y atteint parfois à une vérité plus haute.

- Michel, à Fribourg, vous êtes aussi connu que le syndic. Cette popularité, vous l’avez recherchée?

Non. Quand on est depuis vingt-sept ans au centre de la ville en portant un habit qui se remarque, c’est normal d’être un peu connu.

Votre image de poète à la rose est bien jolie, mais est-ce un cadeau?

C’est vrai, j’ai la réputation de celui qui parle volontiers aux gens et fait rimer voirie avec poésie. Seulement, la poésie ne remplace pas la voirie. J’ai un travail à faire et si je ne le faisais pas, ça se verrait. Or dans mon secteur, sorte de triangle entre la place Python, Saint-Léonard et le pont du Gottéron, les gens sont satisfaits de mes services. De mon côté, je suis content de faire ce métier.

Y compris par grand froid?

Les conditions sont moins agréables en hiver, bien sûr, mais j’ai le même plaisir. Un rayon de soleil, un contact, il y a toujours un bon moment dans une journée. Et été comme hiver, à la fin de la journée, c’est ce moment-là qui reste.

Assurer la propreté d’une ville, aujourd’hui, c’est un combat?

A mes débuts en 1986, il n’y avait que le McDo. Maintenant avec les sandwicheries, les chinois, les pastas, les kébabs et le tout-à-emporter, on trouve de très gros volumes dans les poubelles. Tout s’est également dégradé le week-end, avec les bars et les discos. Bouteilles vides, verres cassés: le quartier de la gare, les samedi et dimanche matins, ressemble à un champ de bataille. Si bien que devant tout ça, je me sens utile et à la fois débordé!

Contrairement à vous, jamais je n’aurais pu devenir cantonnier: moi, je n’ai pas fait Saint-Michel...

Un mythe veut que j’aie été avocat ou je ne sais quoi. En rentrant à la maison, certains jours, mes enfants rigolent:«Papa, en ville ce matin, des gens ont dit que tu étais ingénieur!» On me donne des titres et on exagère, comme à Marseille. Tout ce que j’ai fait, c’est passer un diplôme commercial à Saint-Michel puis un peu de théologie. C’est vrai que je m’intéresse à mille choses et que j’ai un côté polymathe, pour reprendre un mot que j’ai découvert grâce àMarc Bonnand. J’ai quelques connaissances dans différents domaines, mais bon, je suis davantage cultivé qu’intelligent.

Qu’est-ce qui vous a poussé, àl’origine, dans la voirie?

Il y a d’abord la part génétique, je suppose, car mon grand-père avait été cantonnier dans le Vully. Ensuite, il y a la dimension spirituelle. Mon ambition était de rendre service dans un métier simple. Un travail qui ne vous mange pas et laisse l’esprit libre...

Et devenir père de famille nombreuse, était-ce aussi écrit?

Au départ, nous pensions avoir trois enfants. Mais ma femme avait son idée derrière la tête et, au fil du temps, nous avons constaté que nous étions tous les deux faits pour ça. Nous nous sommes donc engagés dans une bonne voie et avons eu sept enfants, donc beaucoup de joie.

Euh... oui, mais financièrement?

Notre pays offre quand même de bonnes prestations familiales. En ayant eu chacun une formation d’employé de commerce, ma femme et moi savons aussi gérer un budget. On ne peut pas mettre de l’argent de côté, non, mais on s’en sort. On vit au jour le jour en pensant à cette parole de l’Evangile: «Demain aura soin de lui-même.» Et puis, lorsque des amis de la Basse-Ville me racontent leur enfance passée à dix dans un trois-pièces, je ne trouve pas notre situation si extraordinaire. Nous, nous avons vécu à neuf dans un cinq-pièces et n’en gardons que de bons souvenirs.

Belle façon de voir la vie...

C’était déjà la mienne à mes vingt ans. Je suis parti de la maison et, pendant trois ans, j’ai logé dans un studio sans chauffage. En hiver, il faisait parfois moins sept et je sortais courir pour pouvoir me réchauffer. Mais j’étais marginal et j’ai aimé cette vie spartiate.

Et la foi, vous l’avez toujours eue?

Ma foi est très œcuménique. La décision d’être croyant, elle, je l’ai prise à dix-neuf ans. J’ai eu la chance de faire ce choix en étant jeune. Choisir tôt, en général, c’est bien choisir. C’est ce que j’ai aussi fait pour la famille, le travail, et j’en suis heureux. Je ferais les mêmes choix maintenant.

La rose qui orne chaque jour votre chariot, elle vous revient cher?

Non, parce qu’un gentil fleuriste de la place me sert de sponsor. La rose est un symbole fort qui parle à tout le monde, c’en est impressionnant! Et avec cette fleur, mon chariot résume la condition humaine. Entre la pureté de la rose et la pile de détritus, où se situer? Ni dans l’une ni dans l’autre, je pense, car chaque individu est un mélange des deux. Une part de lumière, une part d’ombre...

Le plus beau, dans votre boulot?

Ce qu’il y a de formidable, à mon sens, c’est d’être dans la rue. Vous travaillez pour un service public en ayant, de cette façon, un accès simple et direct aux marges de la société. Vous vous retrouvez à la jonction de ses différents bords, voire de ses extrêmes. Le cantonnier constitue un pont entre l’officialité et la marginalité, ce qui fait un pont de plus à Fribourg! I

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Michel Simonet tel quel

> Un trait de son caractère: «Le calme.»
> Son pire défaut: «Je suis hésitant.»
> La gourmandise qui le fait fondre:«Le gigot d’agneau de la bénichon.»
> La boisson qui le rend meilleur:«L’eau qui, quelquefois, se change en vin.»
> Une ville qui l’enchante: «Paris.»
> Un pays où il pourrait vivre: «L’Irlande.»
> Un endroit où il n’aimerait pas travailler comme cantonnier: «Naples.»
> Une musique qui compte: «Le chant byzantin, que j’ai appris avec un moine et qui fait écho à mon amour de l’Orient chrétien.»
> Ses films de référence: «La Noce et L’île, de Pavel Lounguine.»
> Un souvenir d’enfance: «Quand je partais avec mon grand-père Emile et que nous allions ramasser les baies dans la forêt...»
> Une belle femme: «Je dirais mes trois filles et bien sûr leur mère.»
> Une figure qu’il admire beaucoup:«Saint François d’Assise.»
> Ce qui a le don de l’énerver: «C’est rare que je perde mon calme, mais ça m’arrive quand on vole ma rose et que je la retrouve cent mètres plus loin dans une poubelle...»
> Ce qui le fait beaucoup rire: «Les Bolzes qui viennent vers moi, en ville, et me font de ces sorties! Ils ont une manière de dire les choses qui est toujours drôle...»
> Ce qui a le don de l’effrayer: «L’idée de ne plus pouvoir travailler.»
> Ce qui le réjouit toujours: «Dans mon travail, c’est le moment où je commence ma tournée peu avant cinq heures et demie. Le monde est encore endormi, on est tout seul et on a l’impression d’être le roi de la ville!»
> Le métier qu’il n’aurait jamais pu faire: «Bûcheron, parce que je n’ai pas la carrure.»
> Ce qu’il s’est efforcé, avec son épouse, de transmettre à leurs enfants: «L’amour du bien, je pense, ainsi que la volonté de s’intégrer de manière positive dans la société et de tendre vers une vie harmonieuse.»

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BIO EXPRESS

Le cantonnier gentilhomme

> Naissance le douze février 1961 à Zurich.
> Fils de Marius, agent général en assurances (aujourd’hui à la retraite), et de Lucienne, mère au foyer. > A deux frères, Claude et Nicolas.
> Est marié à Claudine, avec qui il a sept enfants et vit dans le quartier du Schoenberg à Fribourg.
> Enfance à Zurich, puis à Morat et dès ses huit ans à Fribourg.
> A fait le Collège Saint-Michel et y a obtenu un diplôme commercial, puis a travaillé durant quatre ans dans une station de radio. A fait également un peu de théologie.
> Travaille en tant que cantonnier pour la ville de Fribourg depuis 1986.
> Passions: le chant, le vélo, la course à pied et la natation.

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