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Le choc des anciens et des modernes

Synode à Rome • Pendant trois semaines, le Synode sur la famille va débattre de thèmes essentiels liés à la façon de vivre sa foi au quotidien. Mais les positions semblent bloquées sur les questions les plus sensibles.

Frédérique Dupont, Rome

Publié le 03.10.2015

Temps de lecture estimé : 11 minutes

Jour J-1 au Vatican. A la veille du Synode sur la famille, qui s’ouvre demain à Rome, l’atmosphère qui règne dans les couloirs aseptisés du plus petit Etat du monde est tendue. Des querelles se préparent sur les thèmes qui seront affrontés par les cardinaux et les évêques venus du monde entier, mais aussi des représentants des autres religions et des auditeurs laïcs.

Tant sur le plan du débat doctrinal que pastoral, des questions essentielles seront abordées: mariage, célibat, place des gays dans l’Eglise, contraception, etc. Autre thème majeur, l’assouplissement des procédures permettant d'«annuler» un mariage religieux en vue de la célébration d’un second a été annoncé, le 8 septembre dernier, par François. Cette ouverture papale s’ajoute à une autre, formulée en octobre 2014, sur la question de l’accès des divorcés à la communion. Reste que pour les partisans d’une ligne orthodoxe, ces nouveautés mettent tout simplement le socle de l’Eglise en péril.

L’histoire se répète

Le même scénario est d’ailleurs en train de se répéter. L’an dernier, à la veille de la première partie de ce synode, un groupe composé de cinq cardinaux dont Mgr Gerhard Ludwig Müller (préfet de la Congrégation de la foi, donc gardien du dogme) avait publié un ouvrage intitulé «Demeurer dans la vérité du Christ». Un document qui revendiquait des positions orthodoxes sur les questions autour de la famille.

En prenant pour slogan la célèbre phrase «Non possumus» - adressée par le pape Clément VII au roi anglais Henri VIII pour justifier son refus d’entériner sa demande de divorce - les cinq prélats dévoilaient l’existence d’une fronde. «C’était une façon de participer à la discussion, même s’il s’agissait d’une critique très violente», analyse Bruno Bartoloni, collaborateur des pages religieuses du quotidien «Il Corriere della Sera».

Un an après, un nouveau groupe, cette fois-ci composé de onze cardinaux, s’apprête à publier un manifeste sous le titre: «Mariage et famille - Prospective pastorale de onze cardinaux». Ce deuxième opus réaffirme les positions de «Non possumus», notamment sur la question de l’ouverture proposée aux divorcés remariés sur la communion.

«Mais attention, ce texte n’est pas une attaque contre le pape François et le cardinal Walter Kasper (théologien allemand très apprécié du pape, partisan de la communion pour les divorcés). Au contraire, il veut offrir une contribution à un débat essentiel», précise Winfried Aymans, professeur de droit canonique et curateur de cet ouvrage. De fait, ce nouveau pavé montre surtout que la fronde s’élargit.

«La Curie a toujours été très critique envers les papes et François n’échappe pas à la règle même si avec lui, elle se sent particulièrement menacée et tente de le boycotter», estime Bruno Bartolini. Mais si les cabales font visiblement partie de l’ordinaire au Vatican, sous le règne de François, la Curie multiplie les attaques. Certains affirment à qui veut l’entendre «qu’au Vatican, le modèle sud-américain ne fonctionne pas». L’archevêque de Philadelphie, Mgr Charles Chaput, est allé encore plus loin en commentant les débats de la première assemblée du Synode sur la famille: «Ce Synode a produit de la confusion... et de la confusion.»

Un éternel dilemme

Avec de telles prémices, la seconde partie du synode ressemble - avant même que les débats aient commencé - à un combat entre progressistes et conservateurs. Autant dire que certains spécialistes du Vatican estiment que cette assemblée ne débouchera sur rien.

«L’ordre des choses sera respecté, rien ne changera en profondeur. La proposition du pape sur la communion pour les divorcés est liée au respect de la chasteté car les liens du mariage sont éternels. C’est comme pour les prêtres. Ils peuvent être suspendus après avoir commis une faute grave, mais ils restent prêtres jusqu’à la fin de leur vie», analyse une source vaticane. La chasteté reste une condition essentielle dans le débat sur le droit des divorcés à l’eucharistie, mais aussi dans celui sur la place des gays dans l’Eglise. «Si deux homosexuels vivent ensemble dans la chasteté, l’Eglise n’a rien à redire», assurait récemment Mgr Angelo Scola, archevêque de Milan.

Toutes ces questions épineuses ne seront pas tranchées durant le synode, les participants pouvant seulement donner leur avis et proposer des solutions. «Les orientations définitives seront données par le pape dans une exhortation post-synodale, probablement l’an prochain», explique Bruno Bartolini. Ce qui laissera au souverain pontife le temps de comprendre l’ampleur de la déchirure et les conséquences d’un changement de position sur le plan doctrinal. Car «sur le plan pastoral, c’est une tout autre chose», affirment depuis longtemps les vaticanistes.

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«Indispensable de soulever ces questions»

Pour Monique Dorsaz, responsable avec son mari Pascal de la pastorale familiale de l’Eglise catholique dans le canton de Vaud, le Synode sur la famille «est une révolution». Et que le pape se mette à l’écoute des chrétiens aura été primordial. Entretien.

On a l’impression que la vision du mariage de l’Eglise ne correspond plus à la réalité vécue.

Monique Dorsaz: L’Eglise doit tenir compte de l’évolution du couple et de l’itinéraire personnel de chacun dans ce couple, non seulement en fonction de ce que chacun amène au moment de l’union, mais aussi de ce qu’il devient tout au long de la vie du couple.

Est-ce que cela revient à dire qu’il faudrait adapter la théologie à ces réalités nouvelles?

Non, la théologie reste la théologie. Mais elle pourrait s’exprimer autrement, prenant davantage en compte l’aspect biographique, existentiel, des relations de couple, intégrant aussi les possibilités de miséricorde. Rappelons que le mariage catholique est indissoluble, ce que la plupart reconnaissent d’ailleurs. L’Eglise considère que les divorcés remariés sont en infraction continue, en état permanent d’adultère. Or les divorcés remariés n’ont pas l’impression d’être en infraction continue.

Aujourd’hui, qu’attendent les divorcés remariés?

Ils demandent à être entendus et qu’on reconnaisse leurs difficultés. Ils souhaitent un accompagnement fraternel et une aide pour résoudre également les questions d’ordre pratique. Et lorsqu’ils se remettent en couple, ils souhaitent un regard bienveillant de la part de l’Eglise. Actuellement, ils ont l’impression de ne pas être accueillis.

Le pape a récemment simplifié le procès en nullité du mariage.

Certains penseront qu’à quelques semaines du synode, c’est tactique. Je pense plus simplement que c’est une première étape à accomplir. Elle était réalisable rapidement, donc il a agi. C’est surprenant, mais il pourrait nous surprendre encore.

Certains font-ils de ce synode un enjeu crucial du pontificat du pape François?

Je ne crois pas. Je ne vois pas du tout le synode comme une guerre où un parti l’emporterait. J’espère vraiment que l’unité va l’emporter.

La grande difficulté de ce synode ne sera-t-elle pas de tenir compte des réalités sociales des cinq continents? D’autant plus que les Africains reprochent au synode d’être eurocentré...

C’est vrai. La grande préoccupation des Africains concerne la polygamie. Les nouveaux convertis au christianisme ne peuvent pas quitter la deuxième et la troisième épouse auxquelles ils sont unis. Par principe de charité d’abord, et ensuite parce que d’un point de vue social, c’est impossible pour eux. La question des divorcés remariés émeut peu les Africains.

Le pape n’a-t-il pas, malgré lui, donné trop d’espoirs aux divorcés remariés et aux couples homosexuels, entre autres?

Non, pas du tout. Il était indispensable de soulever ces questions. Le fait que cela ait suscité autant de passions montre qu’il était urgent pour l’Eglise d’y réfléchir. En ce sens, il a été prophétique.

Oui, mais cela a engendré des attentes très fortes. Certains attendent des décisions concrètes et rapides après le synode…

Peut-être allons-nous devoir gérer des déceptions. Je suis persuadée que les gens vont se rendre compte de tout ce qui a été pensé et débattu. Le simple fait que l’Eglise catholique s’interroge est un signe extraordinaire pour ceux qui, comme les divorcés remariés, vivent dans la difficulté.

Cath.ch

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«La famille parfaite n’existe pas»

Mgr Jean-Marie Lovey, évêque de Sion, représentera la Conférence des évêques suisses (CES) au Synode sur la famille qui s’ouvre demain à Rome. Pour Mgr Lovey (Keystone), le synode est avant tout une expérience où les évêques sont invités à s’écouter les uns les autres et à écouter l’Esprit-Saint. Le but ultime est de conduire les familles vers Jésus. Rencontre.

Quels sont vos sentiments à la veille du Synode sur la famille où vous allez représenter la Conférence des évêques suisses?

Jean-Marie Lovey: Ce sera une expérience forte de l’universalité de l’Eglise. A titre d’exemple, il y a 16 nouveaux évêques du Brésil; 10 de Pologne, 7 du Mexique, 7 Ukrainiens de rite grec-uniate parmi lesquels le plus jeune évêque du monde, âgé de 38 ans! La rencontre avec un évêque de Syrie nous met tous en prise directe avec les situations d’une brûlante actualité.

Quelle est la famille idéale pour vous?

L’écrivain Paul Claudel disait à un de ses amis: «Si tu rencontres une famille idéale, appelle-moi, même la nuit.» Les familles parfaites n’existent pas. Cependant, je rends grâce à Dieu pour les familles où l’on s’aime. Où des êtres humains, dans le respect de leur différence et l’unicité de leur vocation propre, sont capables de mettre en place des conditions où la vie peut être accueillie, respectée, nourrie et partagée.

De nouveaux modèles de famille comme la famille recomposée ou la famille dont les «parents» sont du même sexe se forment. Qu’en faire?

Nous avons à accompagner pastoralement les personnes, sans peur de montrer le chemin de l’Evangile qui est exigeant. Le Christ le fait sans cesse dans l’Evangile, en appelant au dépassement de soi. Cela sans accabler celui qui ne le pourrait pas.

Cath.ch

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