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«Il y a une insécurité juridique»

Crowdfunding • Le succès du financement participatif ne se dément pas, mais des spécialistes estiment que cette pratique mériterait un cadre juridique plus précis.

«Il y a une insécurité juridique»
«Il y a une insécurité juridique»
Juliette Ancelle, avocate spécialiste des nouvelles technologies. © DR
Juliette Ancelle, avocate spécialiste des nouvelles technologies. © DR

Vincent Bürgy

Publié le 02.02.2015

Temps de lecture estimé : 5 minutes

Pour la seule année 2014, la plateforme américaine de financement participatif, ou crowdfunding en anglais, Kickstarter a levé 480 millions de dollars auprès de trois millions d’internautes pour financer un panel de quelque 20 000 projets, selon le magazine économique français «Challenges». Ces résultats étourdissants sont néanmoins accueillis avec une certaine retenue par certains experts du domaine juridique. C’est le cas de Juliette Ancelle, avocate lausannoise spécialiste des nouvelles technologies, qui estime qu’une réglementation légère du secteur pourrait être mise en place. Celle-ci présentera un atelier interactif sur la question, en compagnie de Michel Jaccard, avocat spécialisé dans le droit des technologies, des médias et de la propriété intellectuelle, lors de la conférence Lift, organisée de mercredi à vendredi à Genève. Interview.

- Le crowdfunding a connu un essor fou ces dernières années, mais vous émettez certaines réserves à son sujet. Pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet?

Juliette Ancelle: Il faut relever que le crowdfunding est une notion très large: il y a beaucoup de types de financement participatif, de nombreux niveaux d’investissements et les problématiques varient selon ces paramètres. La tendance est de distinguer l’«equity-crowdfunding», dans lequel les internautes vont devenir des investisseurs d’une entreprise par le biais d’une récolte de fonds, du crowdfunding avec donation, situation dans laquelle une personne soutient un projet commercial ou artistique avec une contrepartie. Dans le cas de l’«equity-crowdfunding», le fait de donner accès à un tel nombre d’investisseurs et de financeurs non professionnels peut donner lieu à des surprises au niveau légal, notamment en matière de répartition de la propriété, la propriété intellectuelle en particulier, ou si l’objectif de financement n’est pas atteint.

- Un projet de réglementation du crowdfunding a été récemment présenté en France. Devrait-il en être de même en Suisse?

L’Autorité fédérale de surveillance des marchés financiers (FINMA) a publié en avril 2014 une fiche d’information, mise à jour en décembre 2014, dans laquelle elle n’estime pas utile de réglementer de façon globale, mais plutôt d’évaluer au cas par cas. Mais, si l’on veut favoriser l’«equity-crowdfunding», cela pourrait être une bonne chose de poser un cadre juridique un peu plus précis. D’autre part, certaines problématiques bancaires sont encore en suspens à l’heure actuelle, notamment sur l’éventuelle qualification d’intermédiaire financier des plateformes qui voient transiter les fonds.

- Les «backers», ces personnes qui investissent par le biais du crowdfunding, gagneraient-ils à être mieux informés des risques qu’ils prennent?

Une partie du problème est là, car ceux-ci ne vont pas forcément lire les conditions générales des plateformes de financement participatif ou poser des questions. A ce titre, un mécanisme de réglementation pourrait être mis en place, peut-être sous la forme d’obligations d’information détaillant les objectifs et les risques de chaque projet. Ce qui n’est pas le cas aujourd’hui et provoque une certaine insécurité juridique. Ce cadre légal pourrait également éviter l’émergence de certains projets très vendeurs, qui collectent énormément de fonds, mais qui finissent par se perdre, par manque d’organisation et d’expérience.

- Est-ce que les promoteurs de projets doivent aussi se prémunir contre certaines mauvaises surprises au niveau légal?

De nombreuses start-up ont désormais recours à nos conseils avant de commencer leur projet de financement participatif ou de lancer leur plateforme de crowdfunding. A cette occasion, nous les interrogeons sur leurs objectifs à long terme, leur méthode de rémunération, le type de projets qu’ils veulent promouvoir et le type d’investissement qu’ils envisagent, mais aussi la manière dont ils envisagent l’éventuel remboursement de leurs «backers» en cas d’échec du projet. En anticipant ces questions, les risques d’avoir un investisseur déçu sont probablement limités. Les promoteurs doivent également prendre garde à des soucis en lien avec la propriété intellectuelle. De jeunes entrepreneurs veulent parfois vendre leurs projets à tout prix et révèlent tout à ce sujet, courant le risque de voir ceux-ci repris ou enregistrés par d’autres, ce qui est un problème bien réel. I

> www.liftconference.com

 

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Dixième édition de la conférence Lift

Grand rendez-vous de l’innovation et des nouvelles technologies, la conférence Lift va accueillir plus de mille visiteurs dès mercredi et pour trois jours à Genève. Venus de 30 pays, technophiles, entrepreneurs, scientifiques ou encore représentants politiques vont prendre part à la dixième édition de cet événement. Cette large palette d’intervenants constitue la marque du succès de Lift, dont les multiples ateliers interactifs et conférences ne désemplissent pas année après année. Les questions liées à l’innovation numérique et à l’entrepreneuriat occuperont à nouveau une place de choix, mais des thématiques liées à la protection des données et aux nouveaux moyens de communication, notamment leur capacité à peut-être changer la manière d’apprendre, seront discutées durant ces trois jours. VB

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