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La télévision nuit gravement à la santé

Santé >> Plus on regarde la télévision et moins bien on se porte. Une étude américaine a montré que les grandes causes de mortalité, comme le diabète, les maladies cardiovasculaires, les cancers, la démence, augmentent avec les heures passées devant le petit écran. Comment expliquer de tels résultats? Les réponses de Murielle Bochud, épidémiologiste au CHUV.

Une vaste étude a mesuré les effets de la télévision à long terme. © Keystone
Une vaste étude a mesuré les effets de la télévision à long terme. © Keystone

Jean Ammann

Publié le 15.11.2016

Temps de lecture estimé : 8 minutes

Regarder la télévision nuit gravement à la santé: en regardant la télévision, vous augmentez vos risques de diabète, de maladies cardiovasculaires, de cancer, de bronchite obstructive chronique, de maladie de Parkinson, de grippe, de pneumonie… Regarder la télévision peut vous conduire au désespoir: les téléspectateurs assidus se suicident beaucoup plus souvent que le reste de leurs concitoyens, qui vivent ailleurs que sur leur canapé.

Une vaste étude, dont les résultats ont été publiés en octobre 2015 dans l’«American Journal of Preventive Medicine», a mesuré les effets de la télévision à long terme: elle a observé une cohorte de 221'426 citoyens américains pendant seize ans, de 1995 à 2011; les participants avaient entre 50 et 71 ans au moment du premier questionnaire. Ceux qui souffraient d’une maladie chronique, ceux qui avaient souffert d’une maladie grave, comme le cancer ou une attaque cérébrale, ceux qui étaient trop gros ou trop maigres, ont été exclus de l’étude. Malgré tout, les résultats sont frappants: la télévision est un poison, la télévision est une cigarette qui se fume par les yeux.

Comment expliquer les effets néfastes de la télévision, lorsqu’elle est consommée en excès, sur la santé? Les explications de la professeure Murielle Bochud, épidémiologiste, médecin-cheffe de la Division des maladies chroniques à l’Institut universitaire de médecine sociale et préventive du CHUV.

- Plus on regarde la télévision, et moins bien 
on se porte. Comment expliquer cette relation 
de cause à effet?

Murielle Bochud:L’augmentation du diabète et des maladies cardiovasculaires chez les personnes qui regardent beaucoup la télévision semble logique, si l’on relie la télévision à l’inactivité physique. Les chercheurs se sont intéressés à des gens qui passent jusqu’à sept heures par jour devant l’écran! Dans ces conditions, il est clair qu’il ne reste plus beaucoup de temps pour l’activité physique, et l’activité physique régulière est un facteur majeur pour réduire la mortalité totale, mais aussi la mortalité par maladies cardiovasculaires, par cancer, évidemment par diabète et pour toutes les maladies liées au surpoids.

Dans un deuxième volet de l’étude, les chercheurs ont exploré l’effet de l’indice de masse corporel et on s’aperçoit que le surpoids explique une partie de l’excès de mortalité par diabète. D’autre part, quand on regarde beaucoup la télévision, on a tendance à ingérer des calories qui ne sont pas très saines. D’ailleurs, l’étude montre que la ration calorique augmente avec les heures de télévision (de 1740 kcal pour ceux qui regardent moins d’une heure par jour à 1930 pour ceux qui regardent plus de 7 heures, n.d.l.r.).

- Pourtant, les chercheurs ont intégré l’activité physique et il semble que même chez les gens actifs, la télévision joue un rôle négatif…

Oui, mais il faut voir que la séparation entre actifs et inactifs est assez grossière. Il y a dans le jargon des épidémiologistes ce que nous appelons des «facteurs confondants résiduels». L’activité physique n’est pas juste une distribution «oui-non». Il faudrait déjà se mettre d’accord sur une définition de l’activité physique. Ensuite, il y a une forte gradation dans l’activité physique. Les chercheurs américains ont divisé en deux une population assez disparate. Je pense que la télévision consommée en excès a un impact négatif sur la santé, en grande partie par l’inactivité physique, et également à travers une consommation calorique augmentée, ce qui augmente notamment le risque de surpoids et d’obésité. .

- On s’aperçoit que la consommation de télévision est aussi liée au niveau d’éducation: les gens moins éduqués regardent davantage la ­télévision…

C’est un facteur très important, car le niveau d’éducation se répercute sur la santé par toute une série de comportements. On le constate dans tous les pays. Par exemple, en Angleterre, l’espérance de vie varie de plusieurs années selon le niveau d’éducation: les personnes les plus instruites vivent plus longtemps, parce que les gens mieux éduqués bougent plus, surveillent leur alimentation, fument moins et ont une consommation d’alcool moins problématique… Selon le niveau d’éducation, votre métier sera plus ou moins pénible aussi. Si vous travaillez dans la construction, que vous êtes confronté à des conditions de travail rudes, vous vivrez moins longtemps. Il faut considérer le temps passé devant la télévision comme un marqueur de la santé: la consommation de télévision trahit le niveau d’éducation, les habitudes alimentaires, l’activité physique…

- Admettons maintenant que je regarde beaucoup la télévision, 3-4 heures par jour, mais que je trouve le temps de bouger et que je fasse attention à mon alimentation, le fait de regarder la télévision n’aurait que peu d’effets néfastes sur ma santé…

Le gain l’emporterait: votre mode de vie annulerait en grande partie les effets néfastes de la télévision. Le temps passé devant la télévision est révélateur d’un style de vie. Par exemple, il y a trois fois plus de fumeurs chez les gros consommateurs de télévision (18%) que chez les petits consommateurs (6% de fumeurs); il y a aussi légèrement plus de buveurs – nous parlons d’alcool – chez les gros consommateurs, etc.

- Une consommation élevée de télévision favorise aussi la dépression. Comment l’expliquer?

Ce n’est pas très surprenant de voir que les gros consommateurs de télévision ont des tendances dépressives, car on sait que l’activité physique régulière prévient efficacement la dépression. On peut aussi se dire que si l’on passe sept heures par jour devant son écran de télévision, on aura peu d’interactions sociales. Imaginez! Sept heures par jour… Cela veut dire que ces gens, à quelques exceptions près, ont une pauvre vie sociale, un pauvre soutien social aussi…

- En Suisse, les gens passent en moyenne 2 h 30 par jour devant la télévision. Pensez-vous que la situation soit comparable à celle qui est décrite aux Etats-Unis?

Je ne vois pas pourquoi la situation suisse différerait beaucoup de la situation américaine, si ce n’est que la prévalence de l’obésité est plus faible chez nous. Notre alimentation est peut-être plus saine, ce qui pourrait atténuer les effets de la télévision. Mais pour tout ce qui est des conséquences de l’inactivité physique, il n’y aucune raison de faire une séparation entre les Etats-Unis et la Suisse.

- Dans leur conclusion, les auteurs disent que la réduction des heures de télévision pourrait être un objectif de santé publique. Etes-vous d’accord avec eux?

C’est toujours difficile de changer les comportements, mais il y a de bonnes raisons de penser qu’une diminution des heures passées devant la télévision aurait un impact positif sur la santé. On s’attendrait à ce que l’activité physique soit en hausse dans la population. Les mêmes auteurs ont regardé ce qui se passait si les gens diminuaient leur consommation de télévision: ceux qui avaient réduit leur temps de télévision étaient en meilleure santé, et vice versa. 

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