La Liberté

Népal: vers un séisme politique?

Paul Grossrieder*

Publié le 13.05.2016

Temps de lecture estimé : 3 minutes

Le Népal vient de marquer par de nombreuses cérémonies le premier anniversaire du tremblement de terre (25.4. et 12.5 2015). Ce drame et les innombrables problèmes liés à la reconstruction ne doivent toutefois pas occulter l’instabilité politique du pays. Lors des discussions parlementaires sur la Constitution, les représentants de l’ethnie madhesi, majoritaire dans les plaines du sud, ont exprimé leur grave mécontentement. En effet, les frontières de province actuellement prévues partagent les Madhesis en deux, ce qui revient à réduire leur représentation au Parlement. Les mouvements de protestation et de leurs leaders ne doivent pas être minimisés, car les Madhesis représentent, avec les Tharus, 40 à 50% de la population népalaise et vivent dans la partie la plus peuplée (70%) du pays et aussi la plus riche et la plus fertile (le Terai). Par ailleurs, même si le gouvernement a trouvé une alternative avec la Chine, les Madhesis voisins de l’Inde contrôlent l’entrée du pétrole au Népal. Aujourd’hui encore, on peut voir d’interminables files de motos et de voitures patientant devant les stations d’essence.

Les signes de sérieuses tensions ne manquent pas. A l’occasion de la pose de la première pierre du futur aéroport international de Pokhara, le premier ministre Oli a déclaré: «Le pays a traversé un conflit politique, souffert d’un tremblement de terre et d’un embargo, il est temps maintenant de travailler à son développement.» Il s’est ensuite fait plus précis en condamnant l’agitation menée au nom des Madhesis du Terai, lancée par «une poignée de soi-disant messies des Madhesis». Les partis madhesis annoncent de nouvelles manifestations, mais le premier ministre s’est dit confiant que la population a maintenant compris la sale politique que mènent leurs leaders dans leur propre intérêt et qu’elle ne soutiendra pas de nouvelles manifestations. En fait, rien n’est moins sûr. Des cadres de l’UDMF (Front uni démocratique des Madhesis) ont protesté contre le gouvernement dans les rues de certaines villes du Terai et ont fixé des drapeaux noirs sur des bâtiments gouvernementaux en signe d’opposition. A ce stade, a tenu à préciser l’un de leurs dirigeants, nous n’avons programmé que des protestations pacifiques - sous-entendu: cela pourrait changer.

Le 30 avril dernier, le premier ministre a convoqué une réunion de tous les partis nationaux pour discuter, entre autres, du problème des Madhesis. Tous les députés de l’UDMF ont immédiatement fait savoir qu’ils n’y participeraient pas, car ce n’était pas la bonne manière de résoudre la crise. A leur avis, le premier ministre aurait d’abord dû s’entretenir avec l’UDMF

pour discuter de ses revendications. Avant la promulgation de la nouvelle Constitution (20.9.2015), les principaux partis s’étaient mis d’accord pour tenir rapidement des élections locales. Or, les mouvements protestataires madhesis s’y opposent fermement tant que la question des frontières des entités fédérales n’a pas été résolue.

En résumé, tout le processus politique est bloqué par le problème des Madhesis. La situation prend aussi une dimension internationale, car le premier ministre indien, Modi, est lui-même un Madhesi et ne fait rien pour donner son appui au gouvernement de Katmandou. Début avril encore, un communiqué publié à Bruxelles par l’UE et l’ambassade indienne demandait au Népal de trouver une solution satisfaisante aux requêtes de différentes parties de la société népalaise. Les intentions de l’Inde dans la crise népalaise ne peuvent être plus claires. Le parti népalais du Congrès, principale force d’opposition, en est secrètement satisfait et attend avec impatience l’aggravation de la situation pour revenir au gouvernement. Pour couronner le tout, le Département d’Etat américain autorise le staff non indispensable à quitter Katmandou et déconseille à ses citoyens de se rendre au Népal en raison des menaces d’insécurité dans le pays. Il ne fait aucun doute qu’en l’état le Népal fait face à une sérieuse crise politique qui, si elle n’est pas résolue, pourrait à la longue dégénérer en conflit. Dans la période actuelle de reconstruction, le pays aurait au contraire bien besoin de stabilité politique. I

* ancien directeur du CICR

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