La Liberté

L’ivresse du pouvoir, loin de la vérité

De Johnson à Trump, du Brexit à la présidentielle américaine, le populisme a le vent en poupe. Si le mensonge a toujours existé en politique, il n'est aujourd'hui plus tabou, voire revendiqué. Notre journaliste Louis Ruffieux analyse les conséquences de cette ère «post-vérité».

Doit-on imaginer Donald cancanant ses mensonges à la Maison-Blanche? Non, sauf à croire que les Etats-Unis sont réductibles à un peuple de Mickeys. © Keystone
Doit-on imaginer Donald cancanant ses mensonges à la Maison-Blanche? Non, sauf à croire que les Etats-Unis sont réductibles à un peuple de Mickeys. © Keystone

Louis Ruffieux

Publié le 23.07.2016

Temps de lecture estimé : 3 minutes

Et si la vérité – celle des faits – n’avait désormais plus guère d’importance dans les moyens mis en œuvre pour conquérir le pouvoir? Selon le site Politifact, plus de 60% des arguments avancés par Donald Trump durant sa campagne sont faux, et le candidat républicain à la présidence des Etats-Unis ne peut l’ignorer. Reconnaîtra-t-il des «erreurs» plus tard, comme les souverainistes l’ont fait au lendemain du Brexit? Un slogan choc des partisans de la sortie de l’Union européenne, écrit sur le bus de campagne de Boris Johnson, affirmait que la Grande-Bretagne aurait à y gagner plus de 400 mio de francs par semaine, au profit de la Sécurité sociale… Enorme mensonge propagé par l’ancien maire de Londres promu, depuis, ministre des Affaires étrangères. Qu’il ait dirigé pendant la campagne le Ministère des «affaires étrangères à la vérité» n’a pas entravé sa carrière.

Le référendum sur le Brexit a été «le premier vote majeur dans l’ère de la politique post-vérité», selon la rédactrice en chef du Guardian, citée par Le Monde. Katharine Viner a analysé ce climat où l’idéologie et l’émotionnel l’emportent sur la réalité. Certes, les mensonges en politique ne datent pas d’aujourd’hui. Mais c’est la première fois que leurs auteurs les reconnaissent si facilement, «comme si la vérité ne pesait plus beaucoup».

Sans épargner les médias traditionnels, qui chassent parfois le clic numérique en bafouant leur déontologie, Mme Viner met en cause les réseaux sociaux: «De plus en plus, ce qui passe pour des faits n’est qu’un point de vue de quelqu’un qui pense que c’est vrai – et la technologie a permis à ces «faits» de circuler facilement.» Sur le net, le tri automatique d’informations à destination d’un public ciblé aboutit, pour ce public, à une vision du monde renforçant les croyances qu’il avait déjà. Ce système évacue les confrontations d’idées et de points de vue. Chacun tourne en rond dans la centrifugeuse de ses certitudes, rejetant avec insultes toute opinion déviante: voir, à cet égard, les sites autoproclamés de «réinformation», y compris en Suisse.

A la veille de sa mort, début juillet, le grand souci de Michel Rocard «était de savoir si on pouvait encore faire une politique honnête à l’époque de la communication», raconte Jacques Julliard dans L’Obs. En 1988, alors qu’il rêvait de l’Elysée, le chantre du «parler vrai» préparait une affiche de campagne sans photo, avec une seule phrase: «J’ai décidé de traverser la période de conquête du pouvoir comme j’entends l’exercer, en reconnaissant la complexité des choses et en faisant appel à l’intelligence des gens.» Aïe! Aïe! Au moins la mort a-t-elle épargné à Rocard le show qui a sacré cette semaine Trump finaliste de la présidentielle de novembre. Avec sa rhétorique de cow-boy et sa finesse de major de table fatigué d’un banquet champêtre qui s’éternise, Trump illustre jusqu’à la «dysneylisation» la «politique post-vérité». Doit-on imaginer Donald cancanant ses mensonges à la Maison-Blanche? Non, sauf à croire que les Etats-Unis sont réductibles à un peuple de Mickeys.

Articles les plus lus
Dans la même rubrique
La Liberté - Bd de Pérolles 42 / 1700 Fribourg
Tél: +41 26 426 44 11