La Liberté

Pèlerinages aux desseins politiques

Des voyages de solidarité ont lieu en Syrie et Irak. Ils ne sont pas sans risques pour les chrétiens d’Orient

Visite de Français dans l’église du monastère Sainte-Thècle de Maaloula, incendiée par les rebelles. © François Janne d’Othée
Visite de Français dans l’église du monastère Sainte-Thècle de Maaloula, incendiée par les rebelles. © François Janne d’Othée
Ziad Hilal, prêtre jésuite, 
responsable des projets 
pour l’Aide à l’Eglise en détresse en Syrie (AED) © DR
Ziad Hilal, prêtre jésuite, 
responsable des projets 
pour l’Aide à l’Eglise en détresse en Syrie (AED) © DR

Laurence D’Hondt

Publié le 11.03.2017

Temps de lecture estimé : 7 minutes

Entraide » Depuis le début de la guerre en Syrie, et plus encore depuis l’émergence du groupe terroriste Etat islamique, les mouvements de solidarité avec les chrétiens d’Orient se sont multipliés: appels aux dons, organisations d’événements musicaux en leur faveur, participation à des marathons de la solidarité, et même pèlerinages sur le terrain.

Ces mouvements de sympathie des chrétiens d’Occident envers leurs frères d’Orient sont souvent animés par un réel souci d’aide à ceux qui sont dans une situation de détresse. En Europe, certains poursuivent cependant d’autres objectifs: se servir de cet élan de solidarité pour faire valoir une carte identitaire chrétienne au sein d’un débat national. Ou encore: se servir de la souffrance des chrétiens d’Orient à des fins de propagande personnelle.

Sympathie sans politique

«Je pense qu’il est positif que des Européens aillent à la rencontre des chrétiens d’Orient, de sorte qu’ils sentent qu’on s’intéresse à eux», tient d’abord à rappeler Mgr Pascal Gollnisch, directeur de l’œuvre d’Orient, une association fondée par des laïcs en 1856. «Mais ces manifestations de sympathie ne doivent pas être accompagnées d’une prise de parti, que ce soit sur le plan politique ou religieux.»

Alors que les chrétiens d’Orient ont connu ces dernières années une nouvelle vague de persécutions ciblées sous le califat autoproclamé de l’Etat islamique, les élans de solidarité doivent être particulièrement réfléchis et inscrits dans le contexte moyen-oriental. «Il faut éviter de transposer les réalités communautaristes actuelles d’Europe à la complexité de la vie des communautés en Orient», souligne encore Mgr Gollnisch. «Et il faut se rappeler que les chrétiens d’Orient sont d’abord des citoyens d’un pays, l’Irak ou la Syrie, et que leur sort doit se jouer au sein de ces entités.»

Visites «embarrassantes»

En ligne de mire récente, les voyages qu’ont faits des députés venus d’Europe, et de France plus particulièrement. «Leur visite nous embarrasse, nous ne comprenons pas ce qu’ils cherchent», témoigne ainsi le Père jésuite Ziad Hilal (lire ci-contre). «Nous voyons qu’ils cherchent surtout à communiquer vers leur pays d’origine et cela amène la confusion entre nos différentes communautés.»

Interpellant également: les voyages de soutien aux chrétiens de Syrie ou d’Irak. L’association SOS chrétiens d’Orient, par exemple, a organisé un premier voyage en Syrie en 2015 et collabore désormais avec des agences de voyage comme Ictus ou Odeia pour mettre sur pied des «pèlerinages» sur les traces des chrétiens d’Orient, la première agence au Kurdistan irakien et la seconde en Syrie.

800 volontaires

Fondée il y a trois ans par Charles de Meyer et Benjamin Blanchard, proches de plusieurs élus du Front National, SOS chrétiens d’Orient se présente sur son site comme une association qui a pour «principal objectif d’aider les chrétiens orientaux à demeurer chez eux, au Proche-Orient». L’association récolte quelque 3,5 millions d’euros de dons par an et a déjà envoyé près de 800 volontaires sur place afin de venir en aide aux chrétiens.

Un succès que confirme Benjamin Blanchard mais qui interpelle certains acteurs plus anciens, comme l’œuvre d’Orient. «Dans les camps de réfugiés, en Irak, les chrétiens se sentent parfois comme une attraction touristique», raconte Mgr Gollnisch qui considère par ailleurs «irresponsable» l’arrivée de touristes dans des régions en guerre.

Tatouage à Homs

Moins organisées, mais néanmoins actives, des personnalités plus singulières proposent également de faire partir des groupes en Syrie. Ainsi, aux Pays-Bas, Janice Kortkamp de l’association ­Friends of Syria cherche des participants pour passer les fêtes de Pâques 2017 auprès des chrétiens de Syrie. Forte de ses quelque semaines passées dans le pays en 2016, Mme Kortkamp raconte sur son blog comment elle s’est fait tatouer à Homs et assure que 80% des Syriens soutiennent le régime. Une démarche quelque peu légère et sûrement narcissique.

«Aller en Syrie n’est pas en soi une mauvaise chose», récapitule Mgr Gollnisch, qui rappelle que ce n’est pas la première fois dans l’histoire que les chrétiens d’Orient sont utilisés comme des alliés sur le terrain. «Mais il faut d’abord penser à ceux que l’on veut aider et ne pas mettre les chrétiens d’Orient en porte-à-faux avec leur environnement.»


 

Trois questions à Ziad Hilal

Prêtre jésuite, 
responsable des projets 
pour l’Aide à l’Eglise en détresse en Syrie (AED)

Vous avez traversé la guerre en Syrie, d’abord à Homs et aujourd’hui à Alep. Comment percevez-vous les voyageurs occidentaux qui viennent apporter leur aide à leurs frères chrétiens d’Orient?

Je vais distinguer plusieurs types de visiteurs, surtout après l’évacuation des insurgés d’Alep en décembre dernier. Il y a les visites pastorales, comme celle du nonce apostolique, le cardinal Mario Zenari de Syrie, qui a visité Alep et ses quartiers Est et délivre un message d’espérance qui refuse de distinguer chrétiens et musulmans. Il y a également ce qu’on pourrait appeler les visites techniques qui veulent par exemple aider à la reconstruction des maisons et des hôpitaux. Il faut remarquer que dans ces cas, il n’y a pas eu de grande couverture médiatique. Mais à côté de ces visites, il y a des visites politisées, comme la venue de députés français.

Quels problèmes soulèvent en fait ces visites politisées?

Nous voyons que ces visiteurs cherchent surtout à communiquer sur leur visite à des fins qui ne répondent pas à notre attente. Ces visites sèment la confusion et accentuent les divisions entre les communautés de notre pays. Nous remarquons aussi que certaines associations veulent démontrer que les chrétiens ont été plus touchés que les autres. Mais cela n’est pas vrai. En Syrie, chrétiens et musulmans ont souffert de la violence. Les mosquées ont été visées autant que les églises.

C’est de l’opportunisme politique ou financier?

C’est plus profond que cela. Je pense qu’il n’est pas éthique d’utiliser les chrétiens comme des objets politiques. Nous sommes des sujets d’un pays qui souffre. Je pense qu’on ne peut utiliser la souffrance des hommes pour une cause politique, religieuse ou autre. Si l’on vient à nous, il faut être humble, s’abstenir de prendre des photos, de citer nos noms et ne jamais parler des chrétiens sans parler des musulmans. Propos recueillis par LDH

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