La Liberté

René Burri: «Zurich m’a fermé toutes les portes»

Carnet noir • Le décès de René Burri a été annoncé lundi 20 octobre. Début juin 2013, le photographe zurichois, alors âgé de 80 ans, avait accordé une interview à «La Liberté». Nous vous proposons de la redécouvrir. 

La fameuse photo du Che, prise par René Burri. © René Burri_Magnum Photos
La fameuse photo du Che, prise par René Burri. © René Burri_Magnum Photos
Photo réalisée à Pékin en 1989 © René Burri_Magnum Photos
Photo réalisée à Pékin en 1989 © René Burri_Magnum Photos
Photo de 1976 aux Emirats arabes © René Burri_Magnum Photos
Photo de 1976 aux Emirats arabes © René Burri_Magnum Photos
Cliché pris à Rio en 1960 © René Burri_Magnum Photos
Cliché pris à Rio en 1960 © René Burri_Magnum Photos

Propos recueillis par Sid Ahmed Hammouche

Publié le 20.10.2014

Temps de lecture estimé : 7 minutes

Robert Capa à New York, Henri Cartier-Bresson à Paris et René Burri à… Lausanne. Le Zurichois, qui vient de fêter ses 80 ans, membre de l’agence Magnum depuis 1959, a choisi la voie de la fondation pour sauvegarder son travail exceptionnel. Une convention de dépôt de fonds de vingt ans renouvelable a été signée avec le Musée de l’Elysée de Lausanne.

La collection devrait rassembler quelque 30'000 images, dont certains clichés devenus mythiques comme les portraits de Che Guevara ou Picasso. Une grande exposition René Burri devrait voir le jour d’ici cinq ans dans le nouveau Pôle muséal.

- Une fondation René Burri verra le jour à Lausanne. Vous confiez votre fonds au Musée de l’Elysée… Vous devenez un Vaudois même si vous n’avez jamais fait une seule image sur ce canton.

René Burri: Oui, les Vaudois et la Romandie n’étaient pas mon sujet. Cependant, j’ai toujours affectionné cette partie de la Suisse soit pour venir montrer mes photos ou pour réaliser mes livres. Ça fait 30 ans que le graphiste Werner Jeker les conçoit ici. J’offre aux Vaudois un fonds de 147 images couleurs que j’ai mis 7 ans à assembler et que j’expose à partir d’aujourd’hui à Zurich. Je confie pour une durée de 20 ans renouvelable une sélection de mes images en noir et blanc, des vintages (originaux, n.d.l.r.), mes planches contacts, mes collages, mes films et l’ensemble de mes archives ainsi que mes appareils. Je vais nourrir la fondation avec tout ce que je vais pouvoir récupérer à droite et à gauche à Paris, Zurich et New York.

- Quel rôle pour la fondation? Et comment va-t-elle fonctionner?

Elle doit rassembler, restaurer et pérenniser l’ensemble de mon œuvre commencée il y a 50 ans. C’est plus de 100'000 clichés à passer à la moulinette. Puis, il faut mettre ce travail à la disposition du public. J’aimerais aussi lancer une plate-forme pour encourager les nouveaux talents. La fondation servira à préserver le patrimoine Burri. Ma famille et mes galeristes, eux, s’occuperont de la partie commerciale. Je suis très content de l’accord que j’ai pu trouver avec les autorités vaudoises.

- Zurich va tirer la langue…

Zurich m’a fermé toutes les portes. Cela fait trois ans que je cherche une solution, un lieu pour mes photos dans la ville où j’ai grandi. Puis, j’ai compris que la Suisse alémanique est saturée, trop de musées et de fondations. En plus à Zurich, les gens se bagarrent pour garder le secret bancaire, la culture peut attendre. A Lausanne, Anne-Catherine Lyon m’a reçu les brasouverts. J’ai vite posé mes valises.

- Combien a investi l’Etat vaudois pour se payer Burri?

On ne peut pas articuler de chiffre pour le moment. L’Etat de Vaud s’est engagé à investir dans les mois à venir pour la mise en place de la fondation et surtout pour restaurer et conserver mes images. Il engagera un conservateur. On parle d’un montant de 200'000 francs par an.

- Que répondre aux personnes qui vont polémiquer sur le lancement de la Fondation Burri?

Ils vont certainement dire que Burri est devenu riche. Pas du tout. Je ne cède pas mon œuvre pour m’enrichir. Pas à cet âge-là. J’aurais pu vendre mes images pour faire du papier d’emballage, pour des sacs, des montres... J’ai reçu des offres de riches collectionneurs pour mes vintages. J’ai refusé. J’aurais pu laisser les galeristes vendre tout.

J’accepte ce projet parce qu’il va investir non pas pour que les Burri vivent dans le luxe mais pour bien bichonner mes images. Mes photos sont ma vie, mes clichés sont mon trésor, qui est bien planqué à Lausanne. Au lieu de donner mon fonds Corbusier aux Japonais qui me proposaient des sommes vertigineuses, j’ai préféré le céder à Zurich. En plus, si mes images étaient parties à Tokyo, les Suisses en seraient privés.

- Et comment réagit l’agence Magnum?

Je me suis retiré de Magnum. J’ai toujours participé à cette agence jusqu’à l’année dernière où j’ai fait la photo de groupe de ses membres. Aujourd’hui, je veux m’investir dans ma fondation. Après 60 ans de travail, j’ai le droit de m’occuper de ma personne.

- A 80 ans, alors que vous êtes atteint par la maladie, c’est aussi une manière de régler votre héritage…

Oui. Je ne veux pas laisser une choucroute derrière moi et surtout pas des querelles de familles et de collectionneurs. Je me suis dit: «Les gars, vous n’allez pas me faire rentrer au Musée Grévin...» C’est moi qui fait entrer mon œuvre dans ma fondation. J’ai plein de projets et d’idées. Je pense que c’est ce qui me fait vivre et me donne de l’énergie pour combattre la maladie. La Burrisation du monde n’est pas finie tant que je suis vivant.

- Votre fonds va reposer à côté decelui de Charlie Chaplin?

C’est l’unique artiste qui manque à ma collection. J’ai toujours loupé le moment pour tirer son portrait. On me dit toujours, Burri tu es un drôle de Charlie. Chaplin était le clown dans le monde du cinéma et moi dans celui de la photo. On avait les deux une âme de saltimbanque.

*****

Un modèle à suivre

La structure qui permet d’accueillir l’œuvre de René Burri est «complexe», explique Sam Stourdzé, directeur du Musée de l’Elysée. «J'espère que ce modèle fera des petits», déclare-t-il. Artisan de ce nouveau dépôt prestigieux, le patron du musée lausannois de la photo explique qu’un contrat de licence lie la nouvelle Fondation Burri – «souveraine» – et le photographe: cet outil permettra les «projets de valorisation» des photographies.

D'autre part, au terme de la convention signée hier, la Fondation Burri est hébergée à l'Elysée pour une période de 20 ans, renouvelable par dix ans. C’est de la conservation du nouveau patrimoine que l’Elysée est en charge. Outre ses propres dépôts et celui de Lucens, le musée exploitera bientôt un nouveau dépôt situé dans la commune chablaisanne de Corbeyrier. Autant de chambres froides nécessaires à la conservation du fonds photographique, par définition plus difficile à conserver que des toiles peintes, rappelle Sam Stourdzé.

Les conseillers d’Etat Anne-Catherine Lyon et Pascal Broulis se sont félicités d’un dépôt qui rend à leurs yeux encore un peu plus justifiée l’installation du Musée de la photographie sur le site de la gare de Lausanne, aux côtés du Musée des beaux-arts. Le ministre des finances a par ailleurs annoncé un don d’un million de francs de Nestlé pour la fondation du Musée des beaux-arts. JC

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