La Liberté

La réforme qui embarrasse la gauche

Dans le canton de Vaud, le deal négocié entre Pierre-Yves Maillard et Pascal Broulis pour un taux d’imposition unique des entreprises à 13,8% crée le malaise dans les rangs socialistes et verts. La droite se frotte les mains.

Le socialiste Pierre-Yves Maillard (à g.) avait créé le malaise dans ses rangs en raison du deal qu'il a passé avec Pascal Broulis. © ARC/Jean-Bernard Sieber
Le socialiste Pierre-Yves Maillard (à g.) avait créé le malaise dans ses rangs en raison du deal qu'il a passé avec Pascal Broulis. © ARC/Jean-Bernard Sieber

Mario Togni

Publié le 17.04.2014

Temps de lecture estimé : 5 minutes

La bataille fiscale est engagée. En présentant sa «feuille de route» pour réformer l’imposition des entreprises, le 4 avril dernier, le Gouvernement vaudois a surpris son monde (notre édition du 5 avril). Et mis le feu aux poudres? Négociée par le duo Pascal Broulis (PLR) et Pierre-Yves Maillard (PS), la solution d’un taux unique à 13,8% sur les bénéfices de toutes les sociétés - contre 22,3% aujourd’hui - plonge en tout cas la gauche vaudoise dans l’embarras, autant qu’elle réjouit la droite.

Un Conseil d’Etat à majorité rose-verte qui joue la concurren-ce fiscale en baissant massivement les impôts, ce n’est en effet pas commun! Sans compter le manque à gagner évalué à 450 millions pour l’Etat et les communes vaudoises - hors compensation de la Confédération.

Florence Germond, municipale socialiste chargée des finances à Lausanne, a été la première à tirer la sonnette d’alarme. «Une baisse fiscale d’une telle ampleur est incompréhensible», lâchait-elle sur les ondes de la RTS, précisant que sa ville perdrait 60 millions de francs. Un coup de gueule répété le lendemain par le syndic Daniel Brélaz, lors de la présentation des comptes 2013 (notre édition du 10 avril).

Jeu d’équilibriste

La situation est toutefois complexe: la suppression des régimes fiscaux spéciaux accordés à certaines multinationales (holdings, sociétés mixtes et de domicile), voulue par l’Union européenne et l’OCDE, contraint le canton de Vaud à un exercice d’équilibrisme. L’Etat cherche à ména-ger ces entreprises, aujourd’hui imposées à environ 12%, afin qu’elles ne partent pas. Pour toutes les autres, le taux unique à 13,8%, prévu d’ici à 2020, représentera une énorme économie.

Le jeu est d’autant plus ardu que le Conseil d’Etat à majorité de gauche fait face à un parlement de droite. Le deal passé entre Maillard et Broulis est donc présenté comme un bon compromis.

Pour faire passer la pilule dans ses rangs, le président socialiste du gouvernement y a inclus un volet social, en «soutien au pouvoir d’achat des ménages»: hausse des allocations familiales et des subsides d’assurance-maladie, soutien à l’accueil de jour. Le tout pour un montant de 150 millions de francs, dont 100 millions à charge des employeurs via les cotisations.

Ce «réalisme» politique, la gauche gouvernementale veut bien l’admettre. Mais le malaise est patent, tant ses principes sont ébranlés. «La pression à la baisse sur la fiscalité, à l’échelle nationale ou internationale, est néfaste», note Samuel Bendahan, économiste et député socialiste. «Nous prônons au contraire une harmonisation.»

Un taux «très agressif»

Pour lui, le taux de 13,8%, qui placerait Vaud parmi les cantons les plus attractifs de Suisse, est «trop bas». Mais il se garde bien de prendre position sur le paquet global, «dont il faudra évaluer attentivement le pour et le contre».

Cédric Pillonel, député vert membre de la commission des finances, ne dit pas autre chose: «Ce scénario mérite une analyse en détail. Mais le taux de 13,8% est très agressif. Nous devons éviter de jouer la concurrence entre cantons.» Autre motif d’inquiétude: combinée à des comptes 2013 éclatants, l’annonce du Conseil d’Etat a vite attisé les appétits de la droite, dont certains élus envisagent déjà une baisse de l’impôt sur le revenu des personnes physiques, «qui profiterait surtout aux plus riches», poursuit-il.

A la gauche de la gauche, qui n’a pas d’attache au gouvernement, les avis sont plus tranchés. «Nous sommes opposés à cette baisse d’impôt, qui ne fera que renforcer l’inégalité des richesses dans notre pays et dans notre canton», tonne Jean-Michel Dolivo (La Gauche). Selon lui, le deal Maillard-Broulis est un «marché de dupe», une «vraie arnaque». Les compensations sont dérisoires par rapport aux «cadeaux fiscaux» consentis aux actionnaires, conclut le député.

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Vers une baisse d’impôt sur le revenu?

A droite, au contraire, on se frotte les mains. Le taux unique de 13,8% est accueilli avec le sourire par le PLR. Et ce même si son ministre des Finances, Pascal Broulis, a longtemps rejeté cette solution, qualifiée de «leurre». N’avait-il pas décrié le Genevois David Hiler, il y a quelques mois, lorsque le canton du bout du lac proposait un taux à 13%? «Il a évolué et on s’en réjouit», souligne Jean-Marie Surer, chef du groupe PLR au Grand Conseil.

Pour sa part, le député n’entend pas en rester là. Il proposera à son groupe «un rééquilibrage de ce paquet», notamment par une baisse générale de l’imposition sur le revenu des personnes physiques. «Il paraît normal que l’on s’occupe aussi de ceux qui paient le plus d’impôts, soit la classe moyenne. La compensation de 150 millions peut être distribuée différemment, avec un peu moins pour les démunis.» L’UDC Michaël Buffat a émis des intentions similaires, tout comme le Centre patronal et la Chambre vaudoise du commerce et de l’industrie.

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