La Liberté

Résurrection: les questions qui dérangent

Pâques • Peut-on prouver la résurrection? Les Evangiles sont-ils historiques? Les témoignages sont-ils crédibles? A quoi ressemble l’après-mort? L’exégète Daniel Marguerat répond à ces questions dans un ouvrage passionnant.

Les pèlerins d’Emmaüs n’ont finalement reconnu le Christ que lors de la fraction du pain. © «Le souper à Emmaüs», Le Tintoret, 1542, Musée des beaux-arts de Budapest/DR
Les pèlerins d’Emmaüs n’ont finalement reconnu le Christ que lors de la fraction du pain. © «Le souper à Emmaüs», Le Tintoret, 1542, Musée des beaux-arts de Budapest/DR

Pascal Fleury

Publié le 06.04.2015

Temps de lecture estimé : 7 minutes

«Bienheureux Thomas, par qui l’Evangile accueille nos objections à la nouvelle de Pâques!» Dans son dernier ouvrage, intitulé «Résurrection»*, l’exégète et bibliste vaudois Daniel Marguerat prend le parti du doute et des interrogations pour mettre brillamment en lumière le mystère de Pâques.

L’apôtre incrédule demandait à «enfoncer son doigt à la place des clous et sa main dans le côté» pour dissiper ses doutes sur la résurrection du Christ. A sa suite, le professeur émérite de Nouveau Testament à l’Université de Lausanne «met le doigt» sur les nombreuses «incohérences» des récits de cet incroyable événement, qui a changé le monde il y a près de 2000 ans. N’hésitant pas à poser les questions les plus dérangeantes, il y répond dans un langage direct et accessible à tous, s’appuyant sur l’analyse des textes bibliques, mais aussi sur l’état de la connaissance historique, pour expliquer comment les premiers chrétiens ont perçu la résurrection et pourquoi ils y ont cru. Petit aperçu iconoclaste en préambule des fêtes pascales.

A quand remonte l’idée de la résurrection?

Etonnamment, explique Daniel Marguerat, Israël s’est ouvert très tard à l’espérance de la résurrection, contrairement aux cultures voisines. Jusqu’au IIe siècle avant J.-C. dominait l’idée que, dans le séjour des morts, les défunts étaient oubliés de Dieu. Mais le 2 décembre 167, le souverain hellénistique Antiochus IV Epiphane profane le Temple de Jérusalem en y consacrant un autel à Zeus-Baal. Les Maccabées se révoltent dans le sang: des milliers d’entre eux tombent sous les coups des soldats du roi. Cette foule de martyrs pose alors un problème théologique crucial: qu’en est-il de la justice de Dieu, si l’impie vit alors que les justes sont écrasés?

Israël trouve la réponse dans le livre du prophète Daniel: «Beaucoup de ceux qui dorment dans la poussière se réveilleront, ceux-ci pour la vie éternelle, ceux-là pour l’opprobre, pour l’horreur éternelle.» La récompense ou la punition sera donc d’outre-tombe. Cette promesse répond à «une demande de justice», note le chercheur, qui rappelle que dans nos bibles, le verbe français «ressusciter» traduit deux verbes grecs signifiant respectivement «réveiller» et «mettre debout, relever». Ces mots, souligne l’auteur, lorsqu’ils sont mis au service de Pâques, ne distillent pas l’idée que Dieu offrirait à l’homme de Nazareth un supplément de vie. Ils donnent à croire que Dieu a recueilli Jésus, et lui a donné raison contre ses bourreaux.

Y a-t-il des témoignages directs de la résurrection?

Ni les femmes, qui ont découvert le tombeau vide, ni les disciples de Jésus n’ont écrit à la première personne ce qu’ils ont vécu concernant l’apparition du Ressuscité. En revanche, observe le bibliste, l’apôtre Paul nous offre son témoignage direct dans la Première lettre aux Corinthiens. «Paul est le seul témoin à avoir vu le Ressuscité et à en parler», souligne-t-il. Que dit ce témoin privilégié? Il cite l’antique credo des chrétiens à Jérusalem, dont la formulation remonte aux années 40, soit une décennie après la mort de Jésus, estimée aujourd’hui au 7 avril de l’an 30: «Christ est mort pour nos péchés selon les Ecritures, il a été mis au tombeau, il a été relevé le troisième jour selon les Ecritures, il s’est fait voir à Céphas, puis aux Douze.» L’apôtre évoque aussi d’autres témoins des apparitions du Crucifié: plus de 500 frères, puis Jacques, puis tous les apôtres, puis lui-même en fin de liste, «l’avorton».

Les textes saints prouvent-ils la résurrection?

A première vue, la résurrection du Christ ne peut être démontrée. Les Evangiles et l’antique credo de Jérusalem se rejoignent sur ce constat: le Ressuscité ne se donne à voir qu’aux croyants. Il n’y a aucune preuve matérielle, aucun témoin «objectif» qui aurait été spectateur de l’événement, juste «une poignée d’enthousiastes extasiés». S’adressant aux Corinthiens, Paul se risque alors à un autre type de démonstration: la preuve par l’acte. La seule preuve authentique de la résurrection, c’est l’existence de l’Eglise, dit-on parfois. «Croire en la résurrection nécessite une preuve par l’acte: faire confiance à un Dieu qui relève, qui met debout, même après le plus total échec. Croire cela, c’est refaire le geste de Paul: ajouter à la liste des témoins prestigieux son propre nom», commente l’exégète.

Comment comprendre les incohérences des récits?

Jouant l’avocat du diable, Daniel Marguerat observe de nombreuses incohérences dans les expériences vécues par les témoins de la résurrection. Ainsi, par exemple, Jésus se manifeste à eux en Galilée exclusivement, selon l’évangéliste Matthieu, ou seulement à Jérusalem, selon Luc, voire aux deux endroits, selon Jean. Le Ressuscité refuse d’être touché par Marie-Madeleine, mais demande à Thomas de vérifier ses plaies. Il n’est pas reconnu par les pèlerins d’Emmaüs ni par Marie-Madeleine - qui le prend pour le jardinier - mais est aussitôt identifié par d’autres témoins. Son corps échappe aux lois physiques quand il passe les murailles et pénètre les chambres closes, mais redevient matériel lorsqu’il mange avec ses disciples…

Pour accepter ces «incompatibilités», note le chercheur, il faut oublier la chronique documentaire pour s’en tenir aux «récits d’expériences vécues». Vue sous cet angle, la diversité des témoignages n’est pas un handicap. «On ne peut pas raconter la résurrection en dehors d’une histoire de vie où elle exerce son effet. Pâques se dit au creux d’une vie transformée, retournée, ou simplement traversée par le miracle de la vie qui gagne», note le théologien. Qui souligne: «La foi ne se décide pas dans un congrès d’historiens, que diable! Croire ne signifie pas avoir foi dans l’histoire, mais croire en un Dieu qui agit dans l’histoire.»

A quoi peut bien ressembler un ressuscité?

Les récits de Pâques ne livrent qu’une seule information sur ce à quoi Jésus pouvait ressembler après sa résurrection: il restait identifiable, mais ses déplacements défiaient les lois physiques. «Il est lui, mais son corps est d’une autre nature», résume Daniel Marguerat. Cette autre nature interpelle, s’agissant d’imaginer la résurrection des morts. L’apôtre Paul, qui insiste sur la discontinuité entre l’avant-mort et l’après-mort, parle d’un «corps spirituel» qui succéderait au «corps animal», en fait un concept pour dire l’indicible. «Le corps spirituel - ou plutôt le moi spirituel - est un moi totalement transparent à l’action de l’Esprit», interprète l’exégète. On en saura plus à la fin des temps…

* «Résurrection - Une histoire de vie», Daniel Marguerat, Editions Cabédita, 2015.

Articles les plus lus
Dans la même rubrique
La Liberté - Bd de Pérolles 42 / 1700 Fribourg
Tél: +41 26 426 44 11