La Liberté

Moi, si j’étais doué de mes pieds…

Jean Ammann

Publié le 27.12.2016

Temps de lecture estimé : 3 minutes

Il y a des gens qui croient que le salaire est relatif au mérite, qui croient que l’on est payé en fonction de sa valeur. Si c’était vrai, comment expliquer que les professions manuelles ou nourricières, celles qui sont utiles à la société, soient payées dix fois moins ou cent fois moins que les professions décoratives, comme les acteurs, ou superfétatoires, comme les footballeurs. Si les acteurs et les footballeurs disparaissaient du jour au lendemain, le monde ne s’en apercevrait pas. Si les paysans et les informaticiens disparaissaient, le monde crèverait. Pourtant, les acteurs et les footballeurs sont infiniment mieux payés que les informaticiens et les paysans. Notre économie récompense la bagatelle.

Ce trop long préambule pour dire qu’un footballeur devrait rendre grâce à ce système aberrant qui l’engraisse, plutôt que d’essayer de le frauder par tous les subterfuges de la canaille en col blanc.

Cristiano Ronaldo, pour ne parler que du footballeur le plus emblématique de ce business, gagne 18 millions d’euros net par saison, contrat qui vient d’être revu à la hausse (23 millions net jusqu’en 2021, 50 millions brut). Je ne vous apprendrai rien: Cristiano Ronaldo est un footballeur extraordinaire, mais rien ne justifie un tel salaire. Pourtant, si l’on en croit les révélations des «Football Leaks», Ronaldo aurait «dissimulé 150 millions d’euros dans les paradis fiscaux, grâce à des montages offshore passant par la Suisse et les îles Vierges britanniques» (Le Monde du 13 décembre). Ronaldo se défend d’avoir commis quelque infraction, mais le fisc espagnol semble d’un autre avis.

Ronaldo n’est pas le seul: Özil, Benzema, Neymar, Pogba, Mourinho, Laudrup, pour ne citer que les plus fameux, sont dans le même bateau qui voyage sous un pavillon de complaisance.

Moi, si j’étais doué de mes pieds et tatoué de la tête aux pieds, comme les ci-devant artistes du ballon, je me dirais: quelle chance j’ai, dans un monde où croupissent 2,2 milliards de pauvres, de vivre comme le maharadjah de Bharatpur! Je me dirais: je vis de l’argent des fans, des socios, des téléspectateurs, des petites gens qui achètent les produits que je vante, comment puis-je rendre à cette masse anonyme un peu de ce qu’elle me donne? Et là, devant mon écran géant, au bord de ma piscine immense où s’ébattraient des nymphes toutes folles de mon corps, je me dirais: un des moyens de rembourser mes adorateurs, c’est de payer des impôts, des impôts qui serviront à l’éducation, à la santé, aux transports, etc. Je me ­dirais: certes, ce n’est jamais agréable de payer des impôts, mais il me reste encore 7 ou 8 millions d’euros pour boucler l’année, ce sera dur, mais j’y arriverai. Alors, la conscience tranquille, je céderais à ces nymphes qui me réclament à tue-tête par-dessus le clapotis du jacuzzi… Mais je ne suis pas doué de mes pieds, j’ai un compte à PostFinance où - gloire lui soit rendue! - personne ne m’a jamais proposé de monter une société offshore aux îles Marshall.

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