La Liberté

La Suisse oublie le romanche

Les langues minoritaires en Europe sont en principe protégées, afin de les préserver de l’extinction

Sibilla Bondolfi, Swissinfo

Publié le 17.07.2017

Temps de lecture estimé : 5 minutes

Langue »   Qu’ont en commun les Samis et les Caréliens en Scandinavie et les Rhéto-Romanches en Suisse? Ils parlent une langue en danger, selon l’atlas de l’Unesco des langues minoritaires. Il n’y a plus en Suisse que 0,5% de la population à parler rhéto-romanche, langue qui s’est développée dans le canton des Grisons à partir d’un mélange de latin populaire et d’idiomes locaux.

Selon une étude de la Commission européenne, la limite critique pour la survie d’une langue serait d’avoir au moins 300 000 locuteurs. Avec les 35 000 personnes qui le parlent, le rhéto-romanche en est donc bien loin. Selon l’Unesco, la moitié des plus de 6000 langues encore parlées dans le monde sont menacées d’extinction.

La Confédération et le canton des Grisons investissent ensemble 7,6 millions de francs par année pour le maintien du rhéto-romanche. S’y ajoutent près de 25 millions provenant de la redevance, versés à la radio-télévision romanche (RTR), unité d’entreprise du diffuseur national SRG-SSR. Existent également une agence de presse rhéto-­romanche, financée par l’Etat, ainsi qu’une maison d’édition.

Trop ou pas assez?

C’est bien trop, disent les critiques, parmi lesquels l’hebdomadaire Die Weltwoche, proche de la droite conservatrice. C’est le minimum vital, réplique l’association faîtière romanche Lia Rumantscha. Que ce soit trop ou pas assez, l’engagement de la Suisse en faveur de ses langues minoritaires ne se fait pas sur une base volontaire. En 1997, la Confédération a ratifié la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires. Tous les trois ans, elle doit rendre compte de la situation dans un rapport. Et le Conseil de l’Europe critique, loue et fait des recommandations que la Suisse doit mettre en œuvre. C’est ainsi, par exemple, que la Confédération et le canton des Grisons ont élaboré chacun une loi sur les langues, en suivant les prescriptions du Conseil de l’Europe.

En plus du rhéto-romanche, la charte porte sur les autres langues minoritaires en Suisse, soit l’italien dans les Grisons et au Tessin, le francoprovençal, l’allemand des Walser, le yéniche (langue des gens du voyage) et le yiddish. Par comparaison avec d’autres langues minoritaires, en Suisse comme à l’étranger, le romanche ne va pas si mal, comme le reconnaît elle-même la Lia Rumantscha. Il jouit par exemple du statut juridique de langue nationale, synonyme de reconnaissance et de soutien officiels. Mais, comme le souligne Andreas Gabriel, de la Lia Rumantscha, «c’est dans la mise en œuvre que les choses traînent souvent».

Comme si on oubliait la quatrième langue nationale, déplore-t-il, en citant quelques exemples. Dans les médias: le journal télévisé parle de la diversité linguistique de la Suisse, mais ne mentionne que trois régions linguistiques au lieu de quatre. Ou encore à l’école: pour augmenter la conscience de l’existence du quatrième groupe linguistique, la Lia Rumantscha souhaite que le rhéto-romanche trouve une place dans l’enseignement dispensé dans les autres régions linguistiques. Enfin, l’unique quotidien romanche, La Quotidiana, est menacé de fermeture – son éditeur privé, Somedia, ne veut plus en supporter le déficit. La Lia Rumantscha a dû rameuter la Confédération et le canton pour discuter d’une éventuelle poursuite de la publication.

La langue part

Le Conseil de l’Europe aussi regrette plutôt les problèmes pratiques qu’un engagement financier insuffisant. Dans son 6e rapport, il exhorte la Suisse à ne pas laisser l’enseignement des langues étrangères à l’école évincer celui du romanche. Théorie et pratique – c’est bien là qu’est le problème. Le juriste romanche Corsin Bisaz, qui fait notamment des recherches sur les questions juridiques liées à sa langue, est bien de cet avis. Il souligne que dans le territoire traditionnel du rhéto-romanche, la situation économique est difficile, ce qui pousse beaucoup de gens à partir – et avec eux, la langue part aussi. Et pour lui, «ce n’est pas une protection juridique de la langue qui va changer ces conditions cadres».

Corsin Bisaz critique également la mise en œuvre lacunaire de la loi grisonne sur les langues, qui devrait protéger et promouvoir le rhéto-romanche. «Dans les communes, il est fréquent qu’on ne trouve pas assez de candidats parlant rhéto-­romanche, c’est pourquoi les postes officiels sont occupés par des Suisses alémaniques.» La loi reste ainsi lettre morte. En outre, le droit actuel ne garantit aux Romanches aucune formation dans leur langue hors de sa région traditionnelle, ce qui, au vu de l’importance de la «diaspora» rhéto-romanche, constitue un point faible.

Pour autant, la Suisse ne fait pas mauvaise figure en comparaison d’autres pays, admet Corsin Bisaz. «Dans d’autres pays, les minorités linguistiques ont beaucoup souffert par le passé. C’est pourquoi on a introduit une forte protection juridique», rappelle-t-il. Mais en Suisse, cela n’a pas été vraiment nécessaire, car la minorité romanche est bien reconnue et aimée. «En tant que Rhéto-Romanche, on a la préférence quand on postule pour un emploi à la Confédération. On peut presque parler de discrimination positive, raconte le juriste. Et en Suisse, avec la démocratie directe, il n’y a pas de tyrannie de la majorité. Le romanche s’est plusieurs fois trouvé renforcé par des décisions populaires.»

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