La Liberté

La vie des Suisses est bousculée

Le Conseil fédéral finit par suivre les cantons et suspend tout enseignement scolaire. Des mesures sont prises pour limiter les rassemblements. Les stations de ski et une partie des cafés-restaurants vont fermer

Président du Syndicat des enseignants romands (SER)
Président du Syndicat des enseignants romands (SER)

Philippe Boeglin

Publié le 14.03.2020

Temps de lecture estimé : 15 minutes

 

Nos journalistes sont mobilisés pour vous offrir une couverture de qualité et de service public sur l’épidémie de coronavirus. En raison de la situation sanitaire particulière et du fort intérêt pour cette thématique, «La Liberté» a décidé de vous offrir l’accès à cet article. Bonne lecture et merci de votre confiance.

Santé publique » «La situation est difficile et sérieuse. Mais il n’y a pas de raison de paniquer. Nous avons les moyens de faire face.» La présidente de la Confédération, Simonetta Sommaruga, pèse ses mots. L’épidémie de coronavirus, qui s’attaque aux voies respiratoires, touche la Suisse comme le reste du monde. Jusqu’à hier, plus de 1000 cas d’infections ont été confirmés sur notre territoire.

Le Conseil fédéral a pris de nouvelles mesures. Mais il a renoncé à déclarer une «situation exceptionnelle» au sens de la loi sur les épidémies. «Nous en restons à la «situation particulière», qui nous permet de consulter les cantons», explique le ministre de la Santé Alain Berset. Dans une «situation exceptionnelle», le Conseil fédéral déciderait seul.

1 L’enseignement est suspendu

Il y a deux jours encore, Berne ne voulait rien savoir d’une fermeture des écoles. Pour l’Office fédéral de la santé publique (OFSP) et Alain Berset, il s’agissait d’éviter que les enfants soient gardés par leurs grands-parents pendant que leurs parents travaillent. Les personnes de plus de 65 ans, ainsi que certains malades chroniques, forment en effet les catégories à risque.

Mais Berne a subitement changé d’avis. Dorénavant, et jusqu’au 4 avril, l’enseignement est suspendu. Dans toutes les écoles. Des cantons, comme Fribourg et Vaud, prolongent même la mesure jusqu’à fin avril. Le corps enseignant donnera ses leçons via internet.

Comment expliquer cette volte-face? Renseignements pris, plusieurs cantons ont fortement insisté ces derniers jours auprès du Conseil fédéral. Le Tessin avait d’ailleurs pris les devants en stoppant l’enseignement de son propre chef. «Il n’était tout simplement plus possible de respecter les règles prescrites par Berne (se laver les mains, respecter une distance de deux mètres entre chacun) dans des établissements scolaires ayant un certain âge. La situation devenait totalement contradictoire», entend-on dans un canton.

Alain Berset justifie sa stratégie: «Nous avions toujours précisé que nos mesures étaient provisoires. En outre, le Centre européen de prévention et de contrôle des maladies vient de produire une étude recommandant la fermeture des écoles.»

Maintenant, le défi consiste à trouver des solutions de garde pour les enfants dont les parents doivent travailler, tout en ne sollicitant pas les grands-parents. Pour de nombreuses familles, cela n’a rien d’une sinécure. Le Conseil fédéral «invite vivement» les cantons à organiser un accueil ad hoc.

Pour que celui-ci ne soit pas submergé, et donc pour s’assurer que la «distance sociale» peut être maintenue entre les enfants, d’autres pistes devront cependant être exploitées. «Nous attendons que les employeurs fassent preuve de flexibilité avec les collaborateurs devant s’occuper de leurs enfants. On peut aussi imaginer des arrangements avec les voisins», avance Simonetta Sommaruga.

2 Limites pour les rassemblements

Le Conseil fédéral durcit là aussi les restrictions. Il interdit jusqu’à fin avril toutes les manifestations, publiques ou privées, réunissant plus de 100 personnes. Jusqu’à hier, la barre se situait à 1000 personnes. Le but est évidemment de tenir la distance sociale entre les participants, afin de réduire le risque de contagion. Parmi les événements touchés, on compte aussi les centres de loisirs, les musées, les centres sportifs, les piscines et les stations de ski.

Par ailleurs, les bars, restaurants et discothèques ne pourront accueillir plus de 50 personnes à la fois, avec les conséquences économiques que l’on imagine (lire ci-contre).

3 Tour de vis aux frontières

Le Tessin réclame depuis un moment la fermeture de sa frontière avec l’Italie, pays durement touché par l’épidémie. Le Valais est sur une ligne similaire. Mais le Conseil fédéral ne veut pas aller aussi loin. Se calquant sur les accords avec l’Union européenne (libre circulation des personnes, Schengen), il limite néanmoins les passages. Seuls les citoyens et résidents suisses, les frontaliers attestant leur activité professionnelle, le trafic de transit et les personnes avec raison impérieuse peuvent entrer en Suisse. Pour les autres, c’est non. La ministre Karin Keller-Sutter juge la mesure cohérente. «L’activité économique a baissé au Tessin et le télétravail est aussi appliqué par des entreprises. Les passages ont donc diminué.» Les douanes recensent effectivement un recul: 184 000 passages de voitures le 24 février et 138 000 le 9 mars.

4 Transports publics à éviter si possible

Le Conseil fédéral renforce ses recommandations. Il enjoint aux employeurs de recommander à leurs collaborateurs d’éviter «autant que possible les transports publics aux heures de pointe». Le but? Là encore, préserver une distance sociale entre les individus. Les entreprises doivent donc faire preuve «d’un maximum de souplesse au niveau des horaires de travail» et encourager le télétravail. Les CFF maintiennent leur offre de base. Par contre, ils annulent les transports touristiques, les courses spéciales et les voyages de groupes.


La votation est incertaine

Le scrutin fédéral du 17 mai, avec notamment l’initiative UDC sur la libre circulation, pourrait être reporté.

Le coronavirus perturbe aussi la vie politique. La votation du 17 mai est désormais elle aussi en suspens. Le Conseil fédéral n’a pas encore pris de décision, a indiqué hier André Simonazzi, porte-parole du gouvernement, à une question d’un journaliste. Il est en contact étroit avec les cantons et se décidera en temps voulu.

Le 17 mai, le peuple vote sur l’initiative UDC visant à résilier la libre circulation des personnes, sur la réforme de la loi sur la chasse et sur les déductions fiscales pour frais de garde d’enfants.

Selon les experts, une annulation du scrutin n’a pas de raison d’être. «On ne peut pas appuyer sur un bouton pause en démocratie», a indiqué à Keystone-ATS le professeur de droit Markus Schefer. A son avis, ce genre d’événement politique peut très bien se dérouler dans une situation particulière.

Il faut simplement veiller à ce que la formation de l’opinion puisse se faire par d’autres canaux. Les autorités politiques n’ont qu’à intensifier leur communication sur internet et dans les médias. La société civile est aussi mise au défi de trouver une solution.

Nombre de conférences et assemblées de partis ou de communes ont déjà été annulées. Après le PLR et l’UDC, le PS, les Verts et le PBD ont décidé d’annuler leur prochaine assemblée en raison du coronavirus. Le congrès du PS, prévu les 4 et 5 avril pour désigner un nouveau président, est reporté aux 17 et 18 octobre.

Le président démissionnaire du PS, Christian Levrat, ainsi que les vice-présidents en exercice, resteront en fonction jusqu’au congrès en automne, a indiqué hier dans un communiqué le Parti socialiste suisse (PS). Les auditions publiques des candidats au poste de président, prévues en mars, sont déplacées après les vacances d’été.

La session de printemps des Chambres fédérales continuera la semaine prochaine malgré les mesures radicales annoncées par le Conseil fédéral. Elle s’achèvera toutefois jeudi au lieu de vendredi et les mesures de protection contre le coronavirus seront renforcées.

L’ordre du jour sera adapté. L’élection des juges au Tribunal fédéral par l’Assemblée fédérale est reportée. Les personnes ayant obtenu une carte d’accès par l’intermédiaire d’un député ne pourront plus entrer au Palais fédéral dès lundi, ce qui permettra de réduire le nombre de personnes présentes dans le palais. ats


Dix milliards de francs mis sur la table

Le Conseil fédéral délie les cordons de sa bourse pour l’économie, souffrant de la pandémie.

Dix milliards de francs: c’est le montant promis par le Conseil fédéral pour venir en aide à l’économie, malmenée par le coronavirus. Le ministre de l’Economie Guy Parmelin l’a annoncé hier après-midi lors d’une conférence de presse, en compagnie de ses collègues Simonetta Sommaruga, Alain Berset et Karin Keller-Sutter.

«Nous voulons offrir un soutien rapide et non bureaucratique», souligne le chef du Département de l’économie. «Il est important d’assurer le paiement des salaires.»

Dans le détail, le Conseil fédéral prévoit une enveloppe de huit milliards de francs destinée à l’assurance-chômage. «Il s’agit d’une aide ciblée afin de permettre aux entreprises de recourir au chômage technique ou partiel», explique Guy Parmelin. Le délai de carence pour faire appel à cette mesure est abaissé à un jour. En d’autres termes, les entreprises ne doivent assumer qu’une journée de chômage technique avant de bénéficier du soutien de l’assurance-chômage.

Le gouvernement prévoit également un milliard de francs d’aide aux entreprises particulièrement touchées et des crédits bancaires garantis par cautionnement d’un montant total de 580 millions de francs. Une politique du Conseil fédéral que Jean-François Rime, directeur de l’Union suisse des arts et métiers (Usam), juge très bonne, avant d’ajouter qu’il est «important de bien cibler les mesures sur les secteurs les plus touchés, comme la restauration et le tourisme».

«Nous sommes très préoccupés, car près de la moitié de nos établissements risquent tout simplement la faillite», s’inquiète Caroline Juillerat, coprésidente de GastroNeuchâtel, la faîtière des cafetiers-restaurateurs. En cause: une trésorerie qui pourrait bientôt être à sec. «Nous avons ainsi reçu de nombreux appels de nos membres, très inquiets. Ils estiment pouvoir tenir environ un mois, pas plus.»

La fréquentation des cafés et restaurants a fortement baissé ces derniers temps, en raison des mesures sanitaires qui incitent à garder ses distances avec autrui. «Sur Neuchâtel, nos établissements dépendent beaucoup des nombreuses entreprises, notamment horlogères. Or, le télétravail a pour conséquence une baisse du nombre d’employés qui prennent leur pause-dîner à l’extérieur. En outre, de nombreux repas d’affaires sont annulés», se désole la responsable.

La nouvelle réglementation du Conseil fédéral ne devrait pas améliorer les choses: les restaurants et bars n’ont désormais plus le droit d’accueillir plus de 50 personnes. Tout en saluant les dispositions annoncées par le Conseil fédéral, Caroline Juillerat les juge insuffisantes. «Nous attendons encore d’autres mesures rapides et réactives pour notre secteur», demande-t-elle, avant de soulever une question fondamentale: «Vaut-il mieux limiter l’accès aux cafés et restaurants qui fonctionnent ainsi au ralenti, ou tout simplement les fermer et actionner les assurances?»

La décision d’interdire toute manifestation publique ou privée de plus de 100 personnes a aussi des conséquences: stations de ski, centres sportifs ou encore musées et piscines ferment. De nombreux événements culturels sont annulés. Le gouvernement envisage un soutien ciblé à ce secteur. Un projet de loi en ce sens est en cours d’élaboration. En outre, le Conseil fédéral a déjà promis 50 millions de francs d’aide aux organisations sportives bénévoles. D’autres mesures devraient être annoncées la semaine prochaine.

Sevan Pearson


Les faits du jour

Suisse » Suisse Le pays dénombrait hier plus de 1000 cas de coronavirus confirmés, dont une trentaine à Fribourg, et une dizaine de décès.

Ecoles » Les enfants sont moins gravement touchés par le nouveau coronavirus, pour des raisons encore mystérieuses, mais sont malgré tout infectés et vecteurs de la maladie. Ce qui explique la fermeture des écoles dans plusieurs pays, dont la Suisse. Certains doutent de l’opportunité de la mesure.

Recherche » La Suisse sera bientôt en mesure de proposer un test du dépistage du coronavirus développé par Roche, pouvant être effectué sur les machines de diagnostic du groupe pharmaceutique bâlois, a indiqué ce dernier hier à l’agence AWP.

Avions » Le Gouvernement autrichien a annoncé hier la suspension des liaisons aériennes avec trois pays, dont la Suisse. Les deux autres sont la France et l’Espagne.

Don du sang » Les besoins de sang restent pressants en Suisse, en période calme comme en pleine pandémie de coronavirus. Une baisse de 10% a été observée la semaine dernière: si cette tendance devait s’amplifier, les hôpitaux pourraient manquer de sang. Par ailleurs, le don du sang reste sûr, le coronavirus ne se transmettant pas par le sang.

Annulations » Crève-cœur pour beaucoup de familles: le Cirque Knie doit annuler le début de sa tournée, en Suisse alémanique. Le spectacle est annulé notamment dans son fief de Rapperswil (SG). ATS


Trois questions à Samuel Rohrbach, président du Syndicat des enseignants romands (SER)

Les enseignants ont-ils été préparés à la suspension de l’enseignement décidée juste avant le week-end?

Certains cantons avaient anticipé la décision, d’autres pas. Pour le Syndicat des enseignants romands, les nouvelles mesures sont justifiées. Nous en appelons au pragmatisme des autorités scolaires pour les appliquer. Les enseignants, sauf les personnes appartenant elles-mêmes à des groupes à risques, iront à l’école lundi pour préparer le travail à envoyer aux élèves. Se pose ensuite la question de savoir comment les envoyer. Tous les élèves n’ont pas des ordinateurs. Ce qui nous importe, c’est de garder le lien entre les enfants et l’école et d’éviter des situations d’échec.

Silvia Steiner, présidente des directions cantonales de l’instruction publique, promet des «journées chaotiques». Vous vous y attendez aussi?

Oui, mais je parle de journées de transition. L’objectif sera de faire en sorte que cette nouvelle situation ne porte pas préjudice aux élèves. Les activités préparées à distance devront donc consolider des savoirs, pas amener des nouveautés, pour des raisons d’égalité des chances. Pour la même raison, les activités qui seront effectuées ne devraient pas être évaluées. Les examens du secondaire II devraient être modifiés afin de ne pas porter sur les matières dispensées à distance.

Les enseignants pourront-ils aussi s’occuper des enfants dont les parents doivent continuer à travailler?

Nous demandons des mesures en lien avec les entreprises, pour libérer un des parents, par exemple. Le Conseil fédéral débloque des milliards de francs, dont une partie pourrait aussi être allouée à cela. Si les enseignants doivent s’occuper des élèves, nous demandons la solidarité de toutes et tous, afin que, par exemple, les classes accueillent le moins d’élèves possible et que les distances soient respectées.

Ariane Gigon

Conseils sur la manière de parler de l’épidémie avec les enfants: www.le-ser.ch/etre-pedagogue-face-aux-epidemies-0

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