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N’importe qui peut être détective

Sécurité • La profession de détective privé est fort peu réglementée en Suisse. Ni son activité ni sa formation ne sont cadrées. Mais certains cantons alémaniques songent à serrer la vis.
Pour exercer l’activité de détective privé, aucune formation n’est requise et, sauf à Genève, aucune licence délivrée par l’Etat.
Pour exercer l’activité de détective privé, aucune formation n’est requise et, sauf à Genève, aucune licence délivrée par l’Etat.
Publié le 29.12.2014

Temps de lecture estimé : 4 minutes

Le détective privé, une des figures emblématiques de notre imaginaire occidental, semble avoir été oublié en Suisse. Son activité n’est pas cadrée dans la plupart des cantons, sa formation non plus. Les dérapages du détective privé dans l’«affaire Giroud» ont jeté une lumière crue sur cette profession peu réglementée en Suisse. Christian Sideris, patron de l’Agence d’investigation CS Enquêtes à Genève, le reconnaît: «Aucune formation de détectives privés n’est homologuée en Suisse, contrairement à ce qui se fait en France, en Belgique, en Slovénie, en Italie ou en Espagne», confie-t-il, revenant sur une information publiée par la revue juridique romande «Plaidoyer».

Parmi les cantons romands, seul Genève exige une licence délivrée par le Département de la sécurité et de l’économie pour exercer. Mais aucune compétence professionnelle précise n’est requise, peut-on lire sur le site internet de l’Etat de Genève.

Concordat alémanique

En Suisse alémanique, cette profession n’est pas mieux protégée, même si un concordat est sur la table depuis 2009. Il a été signé par neuf cantons, dont le Tessin, précise Roger Schneeberger, secrétaire général de la Conférence des directeurs des départements cantonaux de justice et police (CCDJP), qui a participé aux travaux.

Ce texte englobe non seulement les activités des agences de sécurité, mais encore celles de leurs employés, agents de sécurité ou détectives. Le concordat romand, plus ancien et signé par tous les cantons de langue française, se limite, lui, à l’activité des agences.

«A Zurich, le concordat, en commission préparatoire, sera prochainement débattu au parlement. A Berne, cela devrait être le cas à l’automne 2015», poursuit le secrétaire général. Les décisions des deux grands cantons pourraient faire pencher la balance. Les voix hostiles perdraient ainsi du terrain. Elles décrient un texte que les parlements cantonaux ne peuvent qu’accepter ou refuser sans pouvoir le modifier.

L’adultère perd du terrain

Le concordat alémanique répond en partie aux nouvelles exigences de formation, avance Roland Schneeberger: les entreprises qui emploient des détectives devront leur permettre de suivre une formation continue. Et ils devront à l’avenir demander une autorisation d’exercer.

C’est vrai que le métier a évolué, explique le responsable de l’agence genevoise, qui emploie six personnes. L’adultère a perdu du terrain depuis qu’il n’est plus considéré comme une faute conjugale, en 2000. L’infidélité occupe pourtant encore l’agence à environ 20%, «si on y ajoute les pensions alimentaires».

Dorénavant, les détectives sont sollicités par l’assurance-invalidité par exemple pour surveiller un assuré, qui n’est pas censé travailler, ou par des avocats dans une procédure judiciaire. Comme ils sont employés ainsi indirectement par des services de l’Etat, la pression pour une meilleure formation des détectives privés se fait plus pressante.

Christian Sideris trouve toujours le chapitre de la formation plutôt léger, d’autant plus que les cantons romands n’ont pas l’intention de signer le concordat alémanique. «Un détective fait un travail proche de celui des agents de police judiciaire. Or ces derniers suivent une formation de trois ans à plein-temps», compare-t-il.

A Genève, au Département de la sécurité et de l’économie, on compte 241 détectives, qui ont reçu une autorisation d’exercer dans le canton du bout du lac. Bruno Strebel, qui dirige une académie de détectives privés à Zurich, estime à 700 les agences de détectives en Suisse. «Mais la plupart n’emploient qu’une personne», relativise Christian Sideris.

Mélange des genres

Parallèlement, le nombre des agences de sécurité a pris l’ascenseur ces 20 dernières années. «La hausse dépasse les 40%», évalue le Genevois. Et là, le mélange des genres peut être explosif car, en Suisse, on peut à la fois exercer comme agent de sécurité privé - chargé de surveiller des lieux ou des manifestations publiques - et comme détective.

«Des agents de sécurité se font remettre les clés des domiciles de leurs clients. Comment penser qu’ils ne seront pas tentés de les utiliser lors de leurs enquêtes de détective privé?», se demande le responsable. Les conflits d’intérêts sont évidents et, pour cette raison, plusieurs pays européens interdisent de pratiquer simultanément ces deux professions.

Reste que le flou qui entoure cette profession menace surtout les petites gens, regrette encore le patron de la PME. Les plus susceptibles «d’être grugées par des détectives amateurs, pratiquant des prix prohibitifs pour un travail bâclé, ne respectant pas la législation». Il estime à seulement une vingtaine en Suisse le nombre d’agences de détectives privés qui tiennent la route. ATS

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