La Liberté

Une favela réhabilitée grâce à la culture

Histoire Vivante - São Paulo • Pour changer son image, la grande favela de Paraisópolis mise sur la culture. Elle a lancé un vaste programme d’urbanisation comprenant un projet d’école de musique conçu par des architectes de l’EPFZ. Visite.

Modélisation de la Fábrica de Música au cœur de la favela Paraisópolis. Ce complexe, accessible sur plusieurs niveaux, comprendra une école de musique, une salle de concert, des équipements sportifs, une bibliothèque et un amphithéâtre. Les travaux sont prévus pour 2015. © Fondation Holcim/DR
Modélisation de la Fábrica de Música au cœur de la favela Paraisópolis. Ce complexe, accessible sur plusieurs niveaux, comprendra une école de musique, une salle de concert, des équipements sportifs, une bibliothèque et un amphithéâtre. Les travaux sont prévus pour 2015. © Fondation Holcim/DR
L'artiste Barbela pose avec son crocodile fait de pièces de moto récupérées. © Pascal Fleury
L'artiste Barbela pose avec son crocodile fait de pièces de moto récupérées. © Pascal Fleury
Gilson Rodrigues: «la culture, une belle alternative au trafic de drogue.» © Pascal Fleury
Gilson Rodrigues: «la culture, une belle alternative au trafic de drogue.» © Pascal Fleury
La troupe de ballet de Paraisópolis: une belle carte de visite pour cette favela qui veut changer son image en développant les arts. © Pascal Fleury
La troupe de ballet de Paraisópolis: une belle carte de visite pour cette favela qui veut changer son image en développant les arts. © Pascal Fleury
L'artiste-poète Antenor, sur la terrasse de sa maison couverte de milliers de bouteilles en PET. © Pascal Fleury
L'artiste-poète Antenor, sur la terrasse de sa maison couverte de milliers de bouteilles en PET. © Pascal Fleury

Pascal Fleury

Publié le 12.12.2014

Temps de lecture estimé : 8 minutes

La culture pour lutter contre les clichés qui collent aux favelas du Brésil, mais aussi aux bidonvilles qui fleurissent en Amérique latine, Afrique et Asie. L’idée fait son chemin dans le monde de l’urbanisme et commence à séduire les municipalités. A São Paulo, un projet est même en passe de devenir un modèle du genre à Paraisópolis, l’une des 600 favelas de cette mégapole de 19 millions d’habitants. «Nous voulons changer l’image de la favela en développant la culture», souligne le dynamique Gilson Rodrigues qui, à 30 ans, est responsable de la communauté des habitants de Paraisópolis.

Située au pied d’un coteau dominé par un quartier de hautes tours menaçantes, la favela abrite, sur un million de mètres carrés, 70'000 à 100'000 personnes, selon des estimations approximatives. Ses habitants - en majorité des migrants du Nordeste brésilien - vivent dans un entassement de maisons de deux ou trois étages, en briques ou en matériaux de récupération.

Un terrain pour 42 équipes

«Nous avons un grand besoin d’écoles, avec des places supplémentaires pour 5000 enfants, mais aussi d’unités de soins d’urgence, d’un hôpital, de deux stations de métro, d’espaces de jeu. Nous n’avons qu’un seul terrain de football pour 42 équipes!», explique Gilson Rodrigues.

Un vaste programme d’urbanisation a été lancé depuis une dizaine d’années par la municipalité de São Paulo. Les services de bases sont désormais assurés, avec l’eau courante, l’électricité ou le ramassage des poubelles. Des travaux d’endiguement et de canalisation ont été effectués et un centre scolaire construit. En attendant la réalisation des grands projets d’infrastructures, l’association des habitants s’est prise en main, avec ses modestes moyens. Son créneau: le développement culturel, gage de formation et de progrès social.

Jeune troupe de ballet

Dans ses locaux communautaires, l’association a mis sur pied une radio locale, «Nova Paraisópolis», et elle accueille des cours de danse classique pour de talentueuses jeunes filles de la favela. La troupe de ballet a déjà donné des spectacles dans plusieurs villes et a même remporté des prix. Un orchestre de musique classique a aussi été constitué. «La danse comme la musique permettent aux jeunes de se prouver qu’ils ont des capacités, de s’ouvrir des perspectives. C’est une belle alternative au trafic de drogue, un problème récurrent dans la favela», note Gilson Rodrigues.

Pour ses répétitions et ses concerts, l’orchestre des jeunes de Paraisópolis devrait bientôt pouvoir compter sur la réalisation d’une école de musique, la Fábrica de Música, un projet conçu par le bureau Urban-Think Tank des architectes Alfredo Brillembourg et Hubert Klumpner, deux professeurs de l’Ecole polytechnique fédérale de Zurich. Maria Teresa Diniz, coordinatrice du projet auprès de la municipalité de São Paulo, précise: «Après le complexe scolaire, il s’agit d’une nouvelle étape pour réhabiliter le quartier en lui donnant une vocation artistique. Il s’agit de permettre aux habitants de développer de nouveaux intérêts avec fierté et de surmonter leur complexe de pauvreté.»

«Le projet avait souffert d’une interruption en raison du renouvellement du gouvernement. Mais nous avons désormais grand espoir que la construction puisse démarrer en 2015», se réjouit pour sa part l’architecte Hubert Klumpner, contacté à Zurich. Les routes, canalisations et raccordements sont déjà réalisés. «La construction prendra au moins un an et demi. Elle sera conçue comme un processus évolutif, qui impliquera l’orchestre des jeunes et la population, avec l’organisation d’événements, de concerts, de fêtes de carnaval ou de spectacles en plein air à chaque étape des travaux. Les gens pourront ainsi s’approprier progressivement les lieux.»

Le complexe, primé par la Fondation Holcim pour la construction durable, comprendra non seulement une école de musique, mais aussi une salle de spectacle, des équipements sportifs, une bibliothèque et un amphithéâtre en plein air. Situé au cœur du quartier, dans une cuvette assainie, il est appelé à devenir le centre névralgique de la favela, avec une structure de communication à la fois horizontale (ponts) et verticale (lifts et escaliers). Le projet global, écologique, est budgété à 4 millions de francs. Il sera financé par la ville.

Modèle intégré

«Ce bâtiment avant-gardiste sera la clé de voûte de tous les projets de transformation de Paraisópolis», souligne l’architecte, qui plaide pour une réhabilitation respectant les désirs de la population, contrairement à l’habitude de raser les favelas au profit de quartiers modernes. Un «modèle intégré» qui est appelé à faire école dans d’autres villes, au Brésil ou ailleurs: «Il est temps de mettre fin aux préjugés dichotomiques qui connotent positivement les villes et négativement les favelas ou les bidonvilles.»

> Voir aussi le documentaire «Brésil, l’éveil d’un géant», ce dimanche sur RTS 2.

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Vocations artistiques: les rois de la débrouille!

Dès leurs origines, les favelas ont été le berceau d’une culture populaire extrêmement vivante. Elles sont le creuset de musiques diverses, comme la samba, le forró ou, plus récemment, le funk ou le hip-hop. Pas étonnant, dans ce foisonnement de créativité, que la favela Paraisópolis ait développé sa veine artistique sans attendre la construction d’édifices culturels. Terreau fertile pour de nombreux musiciens et artistes, elle peut même s’enorgueillir d’abriter quelques stars locales, comme l’artiste de la récupération Barbela ou le poète de l’art brut Antenor Clodoaldo.

Sorte de Tinguely brésilien, Barbela propose sa vision mécanique du monde au travers d’œuvres souvent figuratives, réalisées exclusivement avec des pièces de métal récupérées, des chaînes de motos, des boulons, des clés ou des pièces de monnaie. L’artiste-poète Antenor, pour sa part, serait plutôt le facteur Cheval du PET. Sa maison, sur trois étages, est entièrement couverte, à l’extérieur comme à l’intérieur, de plus de 6000 bouteilles en plastique, vertes ou transparentes, y compris sur la terrasse du toit, où l’artiste a aménagé un bar en PET. Une installation étonnante - vibrante dénonciation de notre société de consommation - qui mériterait une mise en valeur dans nos musées d’art contemporain. «Antenor n’a encore jamais exposé hors de la favela», regrette Sylvia Facciolla. Consultante économiste, cette collaboratrice bénévole à temps partiel de la communauté de Paraisópolis propose des visites guidées sur place pour les touristes intéressés.

Le tourisme pourrait d’ailleurs être un débouché intéressant pour cette favela qui veut jouer la carte culturelle. Mais le défi est grand, souligne l’économiste. D’une part, les habitants de Paraisópolis n’ont pas encore compris qu’ils pourraient faire du profit en accueillant des visiteurs. Il n’y a par exemple pour l’instant aucun restaurant pour touristes dans la favela. D’autre part, il faudra réussir à imposer une image positive de la favela à l’extérieur. Dans le contexte de violence des villes brésiliennes, ce n’est pas gagné. PFY

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Repères

Six mille favelas

> Par «favelas», on désigne les quartiers pauvres ou bidonvilles brésiliens qui squattent les terrains les moins constructibles des mégapoles et des grandes villes du pays. On en compte plus de 6000 au Brésil, dans plus de 300 localités.

> Les habitants des favelas, qui s’installent illégalement, sont plus de 11 millions dans le pays, soit environ 6% de la population. Dans certaines villes, comme à Belem, ils constituent plus de la moitié de la population. A Rio de Janeiro, ils sont 22%, répartis dans plus de 900 favelas. São Paulo compte 600 favelas.

> L’origine du nom de «favela» vient du quartier de déshérités «Morro da Favela», la colline des favelas (une plante jatropha) à Rio de Janeiro, où avaient été installés en 1887 20'000 anciens combattants de la guerre de Canudos. A São Paulo, les premières favelas sont apparues dès la fin du XIXe siècle. PFY

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