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Avec Masterkrep, l’artiste fribourgeoise Marion Canevascini raconte son travail dans une crêperie

Dans un excellent roman graphique, Marion Canevascini décrit son année de travail dans une crêperie. Derrière la douceur d’une crêpe au sucre, c’est un univers bien amer que décrit l’artiste fribourgeoise.

© Marion Canevascini/Antipodes

Aurélie Lebreau

Aurélie Lebreau

27 octobre 2023 à 18:30

Temps de lecture : 1 min

Roman graphique » Faire une pâte à crêpes n’a rien de sorcier. Mais quand la recette nécessite 162 œufs, on pressent confusément que la tâche se corse. En 2019, l’artiste fribourgeoise Marion Canevascini cherche un emploi à mi-temps. Sur un coup de tête, elle se présente dans une crêperie. Faire des galettes? Pourquoi pas! Mais très vite, ce travail qui devait lui vider la tête la lui prend. Formation fantomatique, horaires à rallonge, manque de personnel et de place pour travailler, logistique chaotique et cadences infernales poussent la crêpière débutante à prendre des notes. Ces phrases jetées sur un carnet, au retour du turbin, forment la trame de Masterkrep, le nouveau roman graphique de Marion Canevascini, après Notre Frère (en 2020) et Sables mouvants (2022).

Cette dernière chronique illustrée impressionne par son intelligente et très délicate construction. En chapitres thématiques s’égraine la vie d’une cuisine où tout valse avec plus ou moins de réussite. Descriptions précises où affleurent l’autodérision et la poésie, interludes de fond – citations, arrêts sur certains mots, dont le fameux «crêpe» (que l’on finit par percevoir avec un regard moins gourmand), références à des peintres comme Munch ou Magritte –, et très beaux dessins: Marion Canevascini, également connue pour ses installations tricotées, nourrit les cerveaux les plus affamés et, sans accuser, décrit un univers d’un cynisme absolu où le travail acharné ne suffit pas toujours pour vivre.

Quelle est la genèse de cet ouvrage?

Marion Canevascini: Le dimanche où j’ai découvert cette crêperie, je venais de renoncer à commencer une formation d’art-thérapeute, trop chère et trop compliquée à mettre en place. Je suis entrée dans ce restaurant et alors que je m’inquiétais de ne pas être cuisinière de métier, la personne qui m’a répondu m’a dit une phrase qui m’a marquée: «Chez nous, il suffit d’avoir envie!» Ça a été le déclic et je me suis lancée.

Au début, il n’était pas question pour vous de tirer un livre de cette expérience…

Absolument pas! Ce travail, je l’avais pris, évidemment, pour gagner de l’argent, et aussi pour me reposer la tête de ma pratique artistique. Mais il est vrai que dès la première semaine, je me suis mise à prendre des notes, pour réviser le soir. Je suis quelqu’un de très scrupuleux et je voulais faire au mieux, par exemple ne pas me tromper sur les formes de crêpes – en cravate, en carré ou en triangle – selon les différentes garnitures! Je suis arrivée là-bas comme le Candide de Voltaire – que j’ai d’ailleurs relu au moment d’écrire Masterkrep.

Et quand votre prise de notes s’est-elle transformée en témoignage?

Très vite, en fait. Après mon engagement, nous avons eu une réunion de crise, rassemblant tous les employés. La crêperie était victime de son succès et il fallait trouver des solutions pour nous améliorer. Le propriétaire nous a demandé d’être «plus flexibles» et «plus réactifs» pour le bien de l’entreprise. Je me suis mise à prendre des notes parce que son discours était tellement fou! C’était une exploitation de la précarité et de la bonne volonté. J’ai vu surgir la marionnette d’Arlette Laguiller des Guignols («Travailleuses, travailleurs, … », ndlr). A partir de ce moment, j’ai su que j’en ferais un livre et je me suis fixée comme objectif de tenir une année, ce que j’ai fait.

A la base vous ne vouliez pas illustrer cette chronique…

C’est vrai. A mes yeux, le texte suffisait. Mais l’éditeur m’a poussée à dessiner. Et je reconnais aujourd’hui que les dessins ajoutent quelque chose de l’ordre de la critique et de l’humour. Ils offrent aussi des respirations.

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