Comment vit-on de la musique?
Deux sociologues montent sur la scène musicale professionnelle romande
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Elisabeth Haas
1 avril 2020 à 14:39
Interview » Qui sont les musiciens professionnels en Suisse? Comment vivent-ils de leur art? Les sociologues Marc Perrenoud, maître d’enseignement et de recherche à l’Université de Lausanne, et Pierre Bataille, maître de conférences à l’Université de Grenoble, ont mené une étude pour cerner la scène musicale romande. Leur ouvrage, Vivre de la musique?, s’intéresse à tous ces instrumentistes qui ne sont ni des salariés d’orchestre, ni des vedettes internationales.
Vous présentez des parcours de musiciens qui se sont lancés dans les années 1970/80 sans formation professionnelle. Ce genre de carrière est-il encore possible aujourd’hui?
Marc Perrenoud: On constate une institutionnalisation des musiques actuelles. Cette évolution coïncide avec une patrimonalisation du rock, de la pop. Les Beatles sont considérés comme une musique légitime. Aujourd’hui il est plus rare de voir des instrumentistes autodidactes, formés sur le tas. En parallèle les outils technologiques ont évolué dans les musiques électroniques, le hip-hop, pour des artistes qui n’ont pas fait de formation officielle. Des musiciens sont sur scène avec d’autres compétences.
Vous avez commencé vos recherches en France et les avez poursuivies en Suisse. Quelle est l’importance du contexte dans la carrière des musiciens?
L’une des grandes particularités, c’est le statut d’emploi. Les musiciens français sont des salariés intermittents du spectacle. Ce statut existe aussi en Suisse, mais la façon de calculer les droits aux indemnités, ce qu’on appelle la période de référence, n’est pas la même. Or les musiciens ont des emplois fragmentés, il est rare qu’ils aient des semaines entières de travail, contrairement aux comédiens et aux danseurs en création. C’est ce qui explique que, malgré l’existence d’une intermittence à la suisse, les musiciens en sont exclus. Ils ont un statut d’indépendants, ce qui a des répercussions fortes sur leur vie.
20%
des plus de 15 ans ont une pratique musicale en Suisse
Qu’en est-il de la taille du pays?
La Suisse est un petit pays divisé en aires linguistiques et culturelles fortement séparées. La Romandie est tournée vers la France et est beaucoup moins peuplée que la Suisse alémanique. Le marché intérieur est trop restreint pour vivre de la scène. Il est difficile de prétendre gagner sa vie en étant interprète uniquement en Suisse romande. Tous les produits suisses qui n’ont pas un différentiel de qualité suffisant, ce qui vaut pour la littérature, le vin, les groupes musicaux, peinent à s’exporter. Dans ces domaines, les Suisses ne sont pas spécialement meilleurs que les Français, mais ils coûtent plus cher.
En revanche il y a en Suisse une spécificité: une pratique massive de la musique amateur. Environ 20% des personnes de plus de 15 ans en Suisse disent pratiquer de la musique, 16% chantent. C’est le double environ de la moyenne européenne. Cette pratique constitue un marché de l’emploi intéressant. L’enseignement pour les musiciens suisses constitue un débouché professionnel tout à fait important. Ils sont nombreux à dégager une partie non négligeable de leur revenu grâce à l’enseignement.
Vous n’avez pas constaté de dichotomie entre musiciens et profs de musique?
En France si, on est musicien ou prof de musique. En Suisse, être professeur ne vous élimine pas de la scène professionnelle, on peut rester intégré au milieu des musiciens actifs.
«C’est parmi les «créateurs» que l’on trouve les revenus les plus élevés, mais aussi les plus fortes inégalités.»
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